Cet ouvrage de science politique est rédigée par deux professeurs de cette discipline qui travaillent sur les engagements radicaux, pour Xavier Crettiez, et sur les violences armées et les situations post- conflictuelles, pour Nathalie Duclos.

La recension de cet ouvrage sera présentée à deux niveaux :

  • Dans la perspective de l’enseignement de spécialité, histoire, géographie, géopolitique et science politique, pour le second degré.

 

  • Dans la perspective d’un l’approfondissement pour les candidats au concours de l’armée de terre, plus particulièrement l’école militaire interarmes et le diplôme militaire supérieur.

L’introduction présente une série de définitions et de typologies des violences politiques. La mesure de la violence est caractérisée par l’intensité de la souffrance ressentie que celle-ci soit physique ou non physique. Plusieurs auteurs sont mobilisés, comme sociologue norvégien Johan Galtung, le philosophe Michel Foucault, le sociologue Pierre Bourdieu et enfin, le polythéiste Philippe Braud.

Pour Galtung, il s’agit d’opposer la violence directe, physique, à une violence structurelle, impersonnelle, que l’on qualifie parfois de violence sociale. On peut aborder cela sous l’angle de la violence économique.

Michel Foucault pour ce qui le concerne aborde deux oppositions, celle entre la raison et la violence d’une part, le droit et la violence d’autre part. Cette utilisation du droit peut produire également une forme d’exclusion, et donc une forme de violence.

Pierre Bourdieu traite pour sa part du concept de « violence symbolique ». Si la lutte des classes y est intégrée, cela ne se limite pas au champ économique. La violence symbolique apparaît comme invisible, mais redoutablement efficace parce que le plus souvent intériorisée chez ceux qui la pratiquent, comme chez ceux qui la subissent.

Philippe Braud propose une définition de la violence symbolique axée sur les atteintes à l’estime de soi ou représentation identitaire des individus ou des groupes. La souffrance ressentie devient un témoignage de la violence subie, mais comme ses prédécesseurs, il aborde cette violence, le plus souvent comme « non physique ».

La caractérisation de la violence politique se distingue des autres formes de violence. Les auteurs de l’ouvrage en présentent cinq éléments : l’auteur, la cible, l’intentionnalité, les effets et la justification.

L’auteur des faits de violence permet d’en déterminer le caractère politique.

L’État, une organisation politique, un groupe armé, un mouvement social.

Le lien est parfois ténu entre la violence politique et la violence criminelle. Les braquages révolutionnaires ont pu être commis à différentes époques, sous l’empire russe, dans différents pays d’Amérique latine, en Europe occidentale. Le gang de Roubaix composé d’islamistes convertis se livrait par exemple au début des années 90 à des attaques de grandes surfaces commerciales au moment de la fermeture. L’objectif était évidemment politique.

La seconde variable insiste sur la cible de la violence pour la caractérisée comme politique. Les violences contre l’État, les pouvoirs publics, les représentants de l’État et des services publics, relèvent bien de la violence politique.

Forcément, les attentats aveugles, qui ont pu être commis à toutes les époques, relèvent également de la violence politique, tout comme les massacres de masse, voire les génocides.

Violence politique, l’intention

L’intentionnalité est la troisième variable. L’objectif est d’obtenir un changement de politique, de personnel politique, de système de gouvernement.

La quatrième variable semble plus importante pour qualifier violence de politique : des actes de désorganisation, destruction, blessures dont l’objet, le choix des cibles les victimes, les circonstances, l’exécution et/ou les effets acquièrent une signification politique, c’est-à-dire tendent à modifier le comportement d’autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social. NIEBURG 1969.

La violence politique, qu’elle soit le fait de l’État, du groupe contestataire, de génocidaires d’organisation clandestine, quelle qu’en soit la forme, est toujours justifier moralement, éthiquement, religieusement ou politiquement par ceux qui la pratiquent.

Le premier chapitre aborde les modèles d’analyse de la violence politique. Si pour les marxistes le conflit qui conduit à des situations de violence est inhérent à la société capitaliste, pour les fonctionnalistes la violence survient lorsqu’elle traduit un dysfonctionnement de la machine étatique qu’il convient de régler au plus vite.

Pour les théoriciens fonctionnalistes, la violence advient lorsque le système politico-économique se grippe, soit à cause des demandes irréalistes de la société, soit parce que l’État ne parvient pas à y répondre ou y répond mal.

Une juste violence ? Violences et radicalités militantes depuis les années 1970

À partir de ces éléments, on peut retrouver bien des situations, y compris parmi les plus récentes, que cela soit le mouvement des gilets jaunes, et même certaines attitudes que l’on a pu observer dans certains pays, à propos des mesures restrictives, pendant la crise sanitaire.

violence politique, les causes

Le sociologue américain Robert Gurr aborde les situations de violence sous l’angle de la frustration.

« L’occurrence de la violence politique suppose la probabilité d’une frustration relative parmi un  nombre substantiel d’individus dans une société ; en conséquence, plus la frustration relative est importante, plus sera probable la survenance d’un niveau intense de violence politique ». Cette frustration qui peut être individuelle, peut-être agrégée, et ouvrir la voie à des violences collectives.

On passera sur les théories psychologiques d’explication de la violence, abordées par Freud dans « malaise dans la civilisation » (1929).

Le paradoxe que Freud souligne réside dans l’emprise de la culture, inventée pour délivrer les hommes des souffrances qui devient elle-même pourvoyeuses de souffrances intimes beaucoup plus grandes. Dès lors qu’il y a renoncement pulsionnel, ce renoncement même est générateur de souffrances, et donc de violence, contre soi, et contre les autres.

Konrad Lorenz écrit d’ailleurs en 1969, « l’agression, une histoire naturelle du mal. »

Le chapitre consacré aux modèles d’analyse de la violence politique, aborde donc les différentes théories qui peuvent conduire à ce que l’on qualifiera d’extrémité. Les auteurs abordent les théories émotionnelles, que l’on peut illustrer par des violences provoquées par une confrontation entre des corps, des regards, des sensations, des pauses et des gestuelles.

Une approche complémentaire aborde également les théories de la reconnaissance, ce qui permet d’aborder la question des réactions des individus, de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, et de l’image que la société peut leur renvoyer.

Le deuxième aspect de ce déni de reconnaissance aborde celui des valeurs partagées par une collectivité. Il s’agit donc de refuser ou de maîtriser les valeurs fortes qui structurent une communauté politique.

les deux auteurs abordent toujours dans cette partie concernant les modèles, celui de la violence inhérente en abordant successivement les théories marxistes, les théories identitaires, les théories stratégiques. On pourra retrouver dans les théories marxistes une forme de méfiance à l’égard des violences spontanées qui peuvent aboutir au renforcement du pouvoir en place, mais également une analyse de la violence sociale induite par la société capitaliste.

Pour ce qui concerne les théories identitaires, on peut y retrouver de très nombreuses formes de violence que l’on peut situer dans l’histoire en abordant aussi bien les conflits internes comme la guerre au Liban entre 1975 et 1990, mais également l’action de l’Ira en Irlande ou encore l’opposition entre hindous et musulmans en Inde.

Pour les théories stratégiques d’utilisation de la violence politique, on retrouve également cette démarche dans les formes d’actions terroristes qui peuvent être le résultat d’un calcul rationnel permettant d’apporter une forme de visibilité politique notamment. On s’intéressera en particulier à cet encadré sur le clanisme et la violence politique en Corse qui se développe à partir de 1976 et qui sera à l’origine de plus de 4000 attentats. D’après les auteurs le clanisme serait le résultat d’une appropriation, avec la duplicité de l’État, des richesses de la Corse. Cela aurait entraîné le séparatisme et le régionalisme. On pourrait quand même se demander dans ce cas précis quels sont les liens qui ont pu être tissés entre les indépendantistes corses, qui s’appellent eux-mêmes les Natios, les groupes mafieux, et peut-être même les clans qu’ils dénoncent.

Violence politique, les formes

le deuxième chapitre aborde les formes de la radicalisation, un terme largement discuté et est qui souvent l’objet de savantes querelles.

Ces lectures peuvent être différentes, notamment sous l’angle de la socio-politique. La frustration semble être le fil conducteur de cette approche, entre frustration économique, politique ou encore scolaire. On s’étonnera à ce propos de cette vision selon lequel le rejet de l’institution scolaire, doublé de celui de trahir la confiance familiale, constituerait une sorte de tremplin vers le djihadisme.

En opposition à cette dimension socio-politique, les auteurs inventorient la dimension stratégique et instrumentaliste de la radicalisation, en fonction d’un contexte géopolitique. Différentes incitations conduisent à cet usage de la violence entre les incitations matérielles mais également symboliques. les promesses de l’État islamique en Syrie, entre les bénéfices en termes de logement et l’octroi de femmes forcément soumises ont pu jouer un rôle dans cette radicalisation.

On abordera également dans cet inventaire l’importance de la hiérarchie qui permet, tout au long d’un parcours violent, de progresser afin d’atteindre le sommet. La s’inscrit dans un rite initiatique, que l’on peut retrouver indifféremment dans les groupes politiques mais également dans la criminalité crapuleuse.

Enfin l’aspect psychologique est également examiné, entre l’exigence de reconnaissance ou celle du surinvestissement identitaire. Dans ce cas précis il s’agit d’être meilleur musulman, un meilleur nationaliste, un meilleur prolétaire, selon que la radicalisation soit islamiste, identitaire ou située à l’ultra gauche. À certains égards le groupe action directe a pu constituer un exemple de cette dérive. On peut y associer tout de même d’autres sollicitations, et notamment cette vie en circuit fermé avec le groupe qui sert à la fois de famille, de réseau et au final finit par constituer un objectif en soi.

La question des violences appelle forcément une définition, surtout lorsque cela est associé au terrorisme.

Le traité de Genève de 1937 aborde pour la première fois la définition du terrorisme, « comme des faits criminels dirigés contre un État dont le but où la nature est de provoquer la terreur chez des personnes déterminées ou dans le public ».

Violence politique, une définition du terrorisme ?

Cette définition ne fait pas forcément consensus, et cela a d’ailleurs évolué y compris aux Nations unies avec la résolution 3034 qui crée un comité spécial le 18 décembre décembre 1972, après la prise d’otages des athlètes israéliens à Munich, pour essayer de trouver des solutions contre le terrorisme international.

Cette partie est assez intéressante puisqu’il faut attendre 2003 pour obtenir des Nations unies une définition relativement aboutie du terrorisme relevant de « tout acte commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, qui a pour objet, par sa nature ou son contexte, d’intimider une population, de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire ».

On peut considérer en effet que cette définition est aboutie avec une déclinaison nationale, notamment en France avec des renforcements successifs du code pénal depuis le 9 septembre 1986, jusqu’en 2014, et encore en 2015,2 1016,2 1017 jusqu’au 20 août 2020. Il s’agit de précisions notamment sur les différentes possibilités de renseignements et certaines dispositions ont pu être censurées par le conseil constitutionnel. Le législateur s’adapte aux nouvelles technologies notamment sur la consultation des sites Internet comme en 2016, mais également les dispositifs d’aspiration des communications par la loi du 24 juillet 2015.

Les différentes variables de l’action terroriste sont ainsi examinées avec certains coup de projecteur portés sur différents types d’action. Au niveau idéologique on retrouve les terrorismes d’extrême droite et d’extrême-gauche, ce que les auteurs appellent le terrorisme fondamentaliste, dont on peut considérer qu’il s’agit bien d’un terrorisme islamiste. Pour mémoire on pourra citer le terrorisme mafieux et bien entendu, car il a pu être largement présent, le terrorisme d’État. Des pays comme la Libye ou l’Iran, ou encore la Syrie mais également par le biais de manipulations de la fraction armée rouge, la république démocratique allemande avant 1990, peuvent être cité.

À partir du cinquième chapitre de cet ouvrage, on passe clairement à une violence plus collective, plus globale, entre les violences de guerre et celle qui accompagnent les mouvements sociaux.

Encore une fois il s’agit davantage d’une approche de sociologue que d’historiens, et certainement pas de praticiens au sens où il ne s’agit pas de proposer « des solutions » d’ordre politique ou juridique. On s’intéressera, notamment pour les militaires étant amenés à réfléchir sur ces questions aux violences de guerre, mais également aux politiques internationales de sortie de la violence ainsi que la justice transitionnelle et les sorties des conflits armés.

Incontestablement cet ouvrage est un manuel, on pourrait à partir de sa table des matières l’origine d’un certain nombre de fiches qui constitueraient autant d’exemples « opérationnels ». Derrière ce terme j’y mettrai la nécessité, dans une situation particulière, non seulement de réfléchir sur ces notions de violence, mais également d’envisager une remédiation.

En ce mois de mai 2021, au moment où j’écris ces lignes, un débat en quelque sorte anxiogène traverse la société française. Violences contre les représentants de l’État, forces de l’ordre, élus locaux, enseignants, alimentent sur les chaînes d’information en continu des échanges permanents sur lesquels des hommes tronc, autoproclamés « spécialistes », « experts », occupent du temps d’antenne par des commentaires que les animateurs de plateaux télévisés relancent.

Le caractère barbare de certaines violences, pratiquées en bandes ou individuellement, choque évidemment l’opinion et le relais sur les réseaux sociaux crée un effet d’amplification qui est lui-même repris par les chaînes d’information en continu, dans un mécanisme de causalité circulaire.

On pourrait s’interroger toutefois sur les conséquences de cette « irruption de violence », dans le champ politique justement. Parmi les violences politiques qui n’ont pas été forcément abordées par les auteurs de ce manuel, on pourrait s’interroger sur une forme de violence qui serait celle de son instrumentalisation même. Et puisque l’on parle d’instrumentalisation, ce serait certainement pour atteindre un objectif politique. On peut très bien imaginer lequel.

Cazouls les Béziers, le 11 mai 2021