Actuellement attaché temporaire d’enseignement et de recherche en histoire contemporaine à l’Université Paris-est-Créteil et chercheur partenaire à l’UMR SIRICE, Guillaume Pollack a soutenu sa thèse de doctorat consacrée aux réseaux de résistance de la France combattante (1940-1945) sous la direction de Alya Aglan en 2020 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Avec pour titre A travers les frontières, la résistance des réseaux (1940-1945), « cette thèse a pour but de poser les premiers jalons d’une étude globale sur la résistance des réseaux déployés par les services secrets alliés durant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945) ». La problématique centrale de l’étude est celle des frontières : comment les réseaux ont-ils réussi à surmonter l’obstacle des frontières politiques dans l’Europe nazie, à construire des communications transfrontalières, et à « bousculer les frontières politiques, sociales et genrées des sociétés » ?
La « première étude globale et transversale » des réseaux de résistance en France
L’ouvrage dont nous rendons compte ici est une version de cette thèse rendue accessible à un plus large public. Si la problématique des frontières nous a semblé quelque peu artificielle, le grand intérêt de ce gros travail pionnier est d’être la première étude globale sur les réseaux de résistance en France ; mouvements et maquis étant bien davantage présents dans la mémoire collective et dans les préoccupations de la recherche historique. L’étude est fondée sur le dépouillement d’une masse de documents d’archives devenus accessibles depuis le début des années 2000, et davantage encore dans les années récentes, en particulier au Service historique de la Défense à Vincennes. L’auteur a consulté des centaines de dossiers administratifs individuels d’homologation des services résistants des agents des réseaux dans la série GR 16 P, les dossiers d’homologation des réseaux de résistance dans la série GR 17 P, ainsi que les dossiers des agents, des missions et des réseaux dans la série GR 28 P. Le chantier est immense et, si l’auteur entreprend la « première étude globale et transversale » des réseaux, il ne prétend pas à l’exhaustivité, conscient que « ce travail en appelle beaucoup d’autres ».
L’ouvrage est construit en cinq chapitres. Le premier traite de ce que sont les réseaux : leur définition, leur nombre et celui de leurs agents ; le dernier aborde la question du genre dans les réseaux (une sorte de passage obligé dans la recherche actuelle !). Les trois chapitres qui constituent l’essentiel de l’étude traitent plus traditionnellement des réseaux de sauvetage, de renseignement et d’action. Le texte est complété par une cinquantaine de pages de notes, trois index (personnes, lieux, organisations), la liste des sources et une solide bibliographie. C’est un ouvrage dense, qui expose quantité de situations personnelles concrètes, en même temps que des analyses et des considérations plus synthétiques. Titres et sous-titres permettent d’en repérer aisément la structure, néanmoins les développements auraient été plus aisément lisibles par de plus fréquents retours à la ligne et sauts de ligne entre les paragraphes, ainsi qu’avec des conclusions partielles et des idées directrices clairement énoncées.
Le réseau de résistance, « fruit d’une rencontre d’une résistance pionnière et des services secrets »
Guillaume Pollack commence par une réflexion préalable sur la définition même de son objet d’étude. L’expression « réseau de résistance » est souvent utilisée pour qualifier sans distinction toute organisation de résistance. L’auteur rappelle que la distinction s’impose entre le réseau et le mouvement, qu’elle « est largement acceptée aujourd’hui par la communauté historique », et que cette distinction fut établie à l’origine par le résistant Claude Bourdet : le réseau est une organisation créée en vue d’un travail militaire précis, l’évasion, le renseignement et le sabotage, alors que le mouvement est centré sur la propagande et l’action politique. Il se livre néanmoins à une critique argumentée de l’origine de cette définition, établie en 1975 par un résistant « hostile aux services secrets qu’il accuse de vouloir accaparer les forces de la résistance intérieure (…) hostile envers l’action des services de renseignements et des réseaux ».
Après sa longue plongée dans le monde des réseaux et de leurs agents, Guillaume Pollack propose une nouvelle approche de la réalité du réseau. Il n’est pas « une entité dotée de structures qui, créées en amont, agrégeraient ses agents », ni « un instrument exécutant aveuglément des directives venues de Londres ou d’Alger ». « Il est le fruit d’une rencontre d’une résistance pionnière et des services secrets qui s’efforcent de prendre pied sur le continent. » Il reprend à son compte la tripartition entre réseaux d’évasion, de renseignement et d’action (qui ne se limite pas au sabotage) et en établit une autre, entre réseaux « opératoires » (chargés d’entretenir les communications transfrontalières pour garantir l’arrivée et le départ du personnel), réseaux « préparatoires » (chargés de recevoir et de stocker le matériel) et réseaux « saboteurs » (qui frappent les infrastructures industrielles et de transport).
Les réseaux ont eu un recrutement fonctionnaliste, recherchant des agents utiles par leur situation professionnelle ou géographique. Ce sont des hommes et des femmes majoritairement inexpérimentés dans le combat clandestin, bien intégrés dans la société, souvent mariés avec des enfants, un emploi, un revenu convenable (souvent il leur faut utiliser leurs propres ressources pour financer l’activité du réseau), demeurant en ville et à la campagne ; les clandestins ne sont parmi eux qu’une minorité. Les femmes y sont à l’égal des hommes, absentes d’aucune forme d’engagement, et ne bénéficiant d’aucune forme de protection de par leur genre. Leur ennemi principal est l’Abwehr, plus particulièrement sa section III, chargée du contre-espionnage, qui emploie nombre d’infiltrés et qui coopère avec la Sipo-SD (communément qualifiée de Gestapo). Les ravages de la répression sont grands dans la mesure où les réseaux ne peuvent être aussi cloisonnés qu’il le faudrait (et que les organigrammes prétendent qu’ils le sont), où les agents sont inexpérimentés face à des services allemands professionnels, où la torture est une méthode redoutablement efficace, où l’infiltration est une méthode essentielle.
268 réseaux de résistance homologués parmi les Forces françaises combattantes (FFC)
268 réseaux de résistance furent reconnus parmi les Forces françaises combattantes (FFC), à la suite d’une procédure administrative menée après la guerre par une Commission nationale d’homologation. Nombre d’organisations ayant eu une existence réelle ne furent pas homologuées de même que leurs agents ne furent pas reconnus.
Les services secrets dont dépendent les réseaux sont tous, à l’exception du MI6 (l’Intelligence Service) des « inventions de la Seconde Guerre mondiale » : le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) créé par De Gaulle pour « renforcer sa légitimité et peser sur les relations avec les Anglais », le MI9, créé en décembre 1939 pour récupérer des soldats britanniques bloqués en territoire étranger, le Special Operations Executive (SOE), créé par Churchill en juillet 1940, rattaché au ministère de la Guerre économique et doté de sections nationales (pour la France, la Section F, commandée à partir de la fin de 1941 par le major Maurice Buckmaster assisté de Vera Atkins), l’Office of Strategic Services (OSS) créé en juin 1942, ancêtre de la CIA dont la mission est de créer des réseaux en Europe et autour de la Méditerranée, de coordonner l’action des services spéciaux et de fournir une aide logistique et financière aux organisations de résistance intérieure. Les gouvernements belge, néerlandais, polonais et tchécoslovaque, repliés en Angleterre après l’invasion et la victoire allemande, organisent leurs services secrets et créent des réseaux.
Etablir la liste des réseaux et celle de leur membres a été un tâche ardue, menée de manière empirique par des « officiers liquidateurs », anciens agents choisis par des amicales crées après la guerre et chargés de défendre devant une commission d’homologation les droits des agents qu’ils représentent. Au sein d’un réseau, personne ne connaissait tous les membres du réseau et de plus beaucoup avaient disparus. L’auteur retrace la chronologie et les modalités de cette élaboration. Une liste « définitive » de 82 réseaux parue au JO du 16 novembre 1946, aucun réseau du SOE n’y figurait, omission « à replacer dans le contexte de l’hostilité de la France libre à l’égard du service secret britannique ». De nombreuses mises à jour furent ultérieurement publiées pour parvenir à la liste vraiment définitive de 268 réseaux, 325 groupes non homologués étant rattachés à des réseaux plus vastes. Au total 114 réseaux furent coordonnés par le BCRA, mais le SOE compte une cinquantaine de réseaux parmi les FFC. De 1940 à 1942, les réseaux du MI6 et du MI9 sont plus nombreux que ceux du BCRA. La tendance s’inverse en 1942 et 1943, mais en 1944 le SOE équilibre le BCRA. Plusieurs organisations vichystes sont homologuées parmi les FFC.
Evaluer le nombre de résistantes et résistants des réseaux suppose d’abord de définir ce que résister veut dire ! Trois catégories d’agents furent retenues : les agents P0 (activité occasionnelle), P1 (activité continue sous couvert d’une occupation personnelle), P2 (activité permanente, intégralement consacrée au réseau). Les listes furent à de multiples reprises rectifiées par addition et suppression. L’auteur parvient au chiffre de près de 90 000 agents homologués au sein des FFC, un peu moins de la moitié ayant appartenu au BCRA, un peu plus de 20% au SOE et environ 13% à l’IS.
Les réseaux d’évasion, organisateurs d’un « cycle du sauvetage »
Les réseaux d’évasion sont nés de la rencontre entre le MI9 et quelques filières apparues dès l’été 1940 pour évacuer des soldats bloqués en Europe occupée. Plus tard il s’agira de permettre à des aviateurs tombés en Europe de regagner l’Angleterre. A la base ce sont toujours des civils qui agissent pour cacher et convoyer. Il s’agit donc d’une forme de « résistance civile » qui « met en valeur la réaction d’une société refusant d’abandonner ses anciens alliés ».
Guillaume Pollack présente la filière marseillaise de Ian Garrow créée par des Britanniques pour évacuer des soldats britanniques, à la base du réseau Pat O’Leary ; la filière belge créée par Andrée de Jongh aidée par la suite par son père, créée pour évacuer des soldats cachés en Belgique et qu’il fallait convoyer à travers la France puis les Pyrénées pour gagner l’Espagne et Gibraltar, à l’origine de l’important réseau d’évasion Comète ; la filière créée à Nancy par Pauline Gaillard, à l’origine du réseau Marie Odile, rattaché aux services du 2e Bureau puis au BCRA. Dans un second temps, vient la rencontre entre ces résistants pionniers et un service secret, chacun ayant un besoin indispensable de l’autre, les résistants manquant de moyens et les services secrets manquant de connaissance du terrain. L’auteur retrace alors la naissance, l’évolution, les acteurs et la répression du réseau Comète, du réseau Pat O’Leary et des réseaux du BCRA : le réseau Brandy créé par Pierre Montet auquel succède son frère Maurice Montet et actif de mai 1942 à juin 1943, le réseau Bordeaux-Loupiac de Jean-Claude Comors et le réseau Bourgogne de Georges Broussine.
L’auteur présente l’organisation des réseaux d’évasion comme un « cycle du sauvetage » divisé en trois secteurs qui survivent grâce au soutien de la population : le secteur de sauvetage qui a pour mission de récupérer les soldats égarés dans la campagne de 1940 puis les aviateurs alliés tombés au sol lors des opérations de bombardements ; le secteur de transit situé en région parisienne, point de passage obligé sur la route du Sud ou vers l’Ouest où les réseaux installent leurs « clients » chez des logeurs recrutés avec soin ; le secteur d’évacuation, situé à la frontière avec l’Espagne et secondairement en Bretagne. Les convoyeurs font la liaison entre chacun de ces secteurs. Il procède ensuite à la présentation de chacun de ces secteurs. Des agents locaux rationalisent le ramassage en cherchant à identifier les lieux de crash des avions et les refuges qu’ont trouvés les aviateurs. Il faut recruter des logeurs, fournir de faux papiers, masquer la présence des aviateurs et leur imposer le respect de règles de sécurité. Les soldats et aviateurs sont regroupés dans des villes connectées à Paris par le réseau ferré. L’installation à Paris d’un secteur de transit s’explique par des raisons pratiques : c’est un pôle d’échanges multimodal vers où convergent les lignes de chemin de fer empruntées par les convoyeurs et les aviateurs venus des secteurs de ramassage. Les logeurs sont majoritairement des couples mariés aisés, car loger des aviateurs coûte cher, habitant près d’une station de métro connectée à une grande gare parisienne. A Paris, il n’y a pas de cloisonnement des réseaux d’évasion entre eux et avec d’autres organisations de résistance ; ainsi Georges Broussine prend-il en charge des aviateurs confiés par Frédéric de Jongh. Les secteurs d’évacuation doivent faire traverser la montagne ou la mer, ce qui nécessite une logistique particulière. Le convoyage se fait toujours en train et souvent en groupe avec une escorte de un ou deux résistants, souvent des résistantes. Toulouse devient une plaque tournante. Conduits au pied des Pyrénées, les aviateurs sont confiés à des passeurs qui connaissent la montagne, c’est alors « la souffrance, la peur, et parfois la mort qui peuvent être au rendez-vous ». Rennes est une place tournante pour les évacuations par la Bretagne, qui se font plus tardivement et où le réseau Pat O’Leary est bien implanté.
Pour survivre, les agents ont recours à des « stratégies de dissimulation » : cloisonnement, recours à des pseudonymes et à des mots codés. Mais la répression est efficace car « la lutte est cruellement asymétrique entre des amateurs improvisant leurs propres moyens d’action et l’appareil répressif composé des professionnels, parfois rivaux, mais déterminés à éradiquer toute velléité d’aide aux aviateurs alliés ». L’auteur retrace les grandes phases de la répression des réseaux, constatant que le « taux de perte » est élevé mais qu’un bilan chiffré est trop incertain : « les chiffres, ici, ne veulent rien dire. Du fait des écarts constatés, il ne font au mieux, que masquer la cruauté et la violence auxquelles sont soumis les agents ».
Les réseaux de renseignement
« La fondation des réseaux de renseignement entre 1940 et 1941 est empirique, et s’opère une fois de plus par la rencontre entre des agents envoyés à l’aveugle et des groupes constitués qui attendent un contact extérieur pour développer leurs activités. » Les premières initiatives sont celles des services polonais et tchécoslovaques repliés à Londres, ainsi que celle du MI6 britannique. Le réseau polonais Interallié (qui s’appellera F2 après mi-1943), fondé par Thadée Jekiel, s’implante à Nice, puis le long de la côte méditerranéenne et dans les villes portuaires de l’Atlantique dès la fin de 1940, recueillant des renseignements sur la circulation des navires marchands, des bâtiments de guerre, et sur les défenses côtières. Il s’installe ensuite dans le nord de l’Italie, à La Rochelle et à Toulon. Les renseignements sont transmis tous les 15 jours par courrier transitant par avion via l’Espagne et le Portugal. Antoine Ryback fonde un réseau dépendant du 2e Bureau du gouvernement tchèque en exil. Le MI6 installe le réseau Cartwright avec l’arrivée de Michel Coulomb en Bretagne, déposé par un bateau de pêche, répondant à l’exigence de Churchill de connaître les préparatifs d’une éventuelle invasion allemande. Le MI6 s’appuie sur des groupes déjà constitués avec lesquels il entre en contact et implante d’autres réseaux : Jade-Fitzroy, Famille-Martin, Agir, Georges-France fondé par Alice George et Robert Palloc qui recrute dans les ports de Bordeaux à Dunkerque et de Nice à Marseille. Le réseau le plus connu du MI6 est le réseau Alliance, fondé par Georges Loustaunau-Lacau, nationaliste, réactionnaire, cagoulard, antisémite, soutien de Franco, et Marie-Madeleine Méric, devenue Fourcade. Après être passé très près de s’engager dans la collaboration comme en témoigne une lettre à Otto Abetz du 17 août 1940, Georges Loustaunau-Lacau rencontre un recruteur du MI6 et s’engage aux côtés d’une Angleterre qu’il a qualifiée dans la lettre à Abetz de « juive, financière et maçonnique ». Il transmet ses premiers renseignements en avril 1941.
Les premières initiatives du BCRA pour créer des réseaux en France occupée tournent au rapidement au désastre. Les premiers chefs des réseaux, Maurice Duclos (réseau Saint-Jacques), Honoré d’Estienne d’Orves (réseau Nemrod), Gilbert Renault (Confrérie Notre-Dame, CND), Pierre Fourcaud « partagent une identité commune » : ils sont de la même génération (nés au tout début du siècle), tous « parfaitement intégrés à la société de leur temps », catholiques pratiquant, tous engagés dans les années 1930 dans les ligues d’extrême droite, aucun n’ayant la moindre expérience du renseignement. Seul subsiste après quelques mois la CND. La répression a éliminé les autres. Le dispositif du BCRA s’étoffe en 1941 avec le réseau Johny, et celui, peu connu jusqu’alors, créé par Edmond Salles en zone non occupée.
Les agents « se heurtent à trois écueils majeurs ; les errements des liaisons internes, la fragilité de leurs liaisons externes aggravée par la défaillance des opérateurs inexpérimentés, et le perfectionnement des techniques de repérage des émissions radio ». C’est donc sur les liaisons radio que doit porter l’effort, et c’est la mission dont Passy, chef du BCRA, charge Pierre Julitte, parachuté en France le 10 mai 1941 avec un poste émetteur. Cet agent constate tout de suite que le BCRA londonien est bien trop inconscient des spécificités de la lutte clandestine en France. Il rédige un rapport sur les moyens de faire progresser l’efficacité des liaisons radio qui ne sera pris au sérieux qu’après l’arrestation des chefs du réseau Alliance le 7 novembre 1942, dont l’une des causes est « l’efficacité de la radiogoniométrie allemande ».
Entre 1942 et 1944 le MI6 renforce son dispositif de renseignement, le BCRA réorganise le sien, les Etats-Unis créent le leur, et les réseaux belges s’étendent en France. Tous les réseaux prennent de l’envergure, se structurent sur un plus vaste espace, sans pour autant échapper à la répression. Alliance s’implante sur tout le territoire. Alors qu’il recensait 39 agents en février 1941, le réseau en homologue 2405 à la Libération, « chiffre probablement sous-estimé ». Les autres réseaux du MI6 connaissent les mêmes dynamiques. Le BCRA incite à la création de réseaux à partir des mouvements de résistance : Phalanx à partir de Libération-Nord, Cohors-Asturies qui s’en détache en zone occupée, confié à Jean Cavaillès, Centurie à partir du mouvement Organisation civile et militaire (OCM). Le dispositif est complété par la création en France de réseaux de l’OSS. En février 1943, Allen Dulles, chef de l’OSS propose à Henry Frenay, chef du mouvement Combat, un soutien financier en échange de la transmission à l’OSS des renseignements collectés en zone sud, déclenchant « l’affaire suisse » et la colère de Jean Moulin.
Pierre Truc monte le réseau Nouquette qui travaille pour l’OSS en croyant travailler pour la France libre. L’OSS implante et coordonne d’autres réseaux dans les deux zones. Leur particularité est de préférer le système des passeurs transfrontaliers aux liaisons radio pour la transmission des renseignements. Des réseaux belges étendent leurs activités en France, considérés comme des sous-réseaux par les Belges et homologués en France sous leur indicatif belge auquel est ajouté « France » : Zéro-France, Marc-France. La grande réforme de l’organisation du BCRA consiste dans la création de « centrales » qui reçoivent les informations collectées par un système de réseaux et dont elles assurent le traitement et la transmission. La centrale est dotée d’un « centre d’antennes » qui dispose d’une équipe de radios munis de postes, un service d’écoute, un service de codage et de décodage et de toutes les liaisons nécessaires. La centrale Phratrie coordonne cinq sous-réseaux, elle dispose d’un réseau de transmission et d’un réseau opératoire pour procéder aux atterrissages. Les atterrissages de petits avions Lysander servent également aux réseaux Action : ils permettent de déposer des agents venus de Londres, de livrer de l’argent, d’acheminer vers Londres le courrier qui contient les renseignements. D’autres centrales sont implantées, Coligny, Périclès, Phidias, Praxitèle.
Des réseaux sont aussi créés dans l’Empire, dans des territoires demeurés vichystes et où il reste un ennemi à combattre, pour l’essentiel en Indochine et en Afrique du Nord. Huit réseaux sont implantés en Indochine, leur action se prolonge après la libération de la France, jusqu’au 9 mars 1945. Ils sont rattachés à la France libre, animés par des militaires, des industriels, des planteurs, avec des femmes comme agent de liaison. Leur mission est d’observer les mouvements et installations militaires des Japonais, ainsi que le trafic maritime et aérien. Les informations transitent par l’Intelligence Service à Singapour et à Hong Kong, mais aussi par les services américains, néerlandais et même chinois. Le 9 mars 1945, les Japonais brisent en quelques heures la souveraineté française ainsi que les réseaux dont les chefs sont torturés et exécutés ; 2000 soldats français sont tués, 3000 envoyés mourir dans des camps, et 1500 disparaissent. La France libre échoue à implanter des réseaux en Afrique du Nord. Par contre Alliance et F2 s’y installent. André Verdier et Paul Mounier collectent pour les Anglais des renseignements sur les convois ennemis qui se rendent à Tripoli qui se rendent à Tripoli et croisent au large de Tunis, sous couvert d’une Société d’études et de pêcheries.
Les réseaux Action
Ils sont implantés dans un objectif de sabotage, d’« action immédiate », par la section A/M (Action militaire) du BCRA et par la section F du SOE. Le premier agent parachuté en France par le SOE est Georges Bégué, bilingue et spécialiste de transmissions radio. Après une formation rapide, il est parachuté seul, avec un poste radio, sans équipe de réception, dans la nuit du 5 au 6 mai 1941. Le premier organisateur parachuté en France par le SOE est l’industriel Pierre de Vomécourt, bientôt renforcé par ses deux frères, Philippe et Jean. Membres d’une famille noble de Lorraine, anglophiles et anglophones, les frères Vomécourt vont créer le réseau Autogiro et être d’actifs agents du SOE en France. Philippe profite de sa fonction d’inspecteur des chemins de fer pour organiser des sabotages spectaculaires sans utiliser d’explosif. Ils contactent Georges Bégué, divisent la France en trois secteurs (zone occupée, zone interdite, zone non occupée), recrutent le marquis Léonel de Moustier (le seul député de droite à ne pas avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain). Ils créent des groupes de sabotage, fabriquent des explosifs, font homologuer des terrains de parachutages et réceptionnent des armes et munitions (avec des surprises quand, par exemple, ils découvrent, parachutées dans le Limousin, des mines magnétiques sous-marines !). Pierre de Vomécourt fait la connaissance de Mathilde Carré qui va s’avérer être une redoutable agente double (« La Chatte »).
Le BCRA incite les mouvements à séparer leurs activités de propagande, de renseignement et d’action. Des groupes d’action immédiate, ou « groupes francs » sont créés et armés par le BCRA. Après l’arrestation de Jean Moulin et du général Delestraint, chef de l’Armée secrète, le BCRA constate le désastre d’une organisation centralisée et y renonce. Il divise alors la France en 12 régions militaires autonomes, dirigée chacune par un Délégué militaire régional (DMR), accompagné d’un chef des opérations aériennes responsable des parachutages, et d’agents spécialisés dans la transmission radio. Ces équipes seront homologuées à la Libération parmi les réseau FFC sous le terme « Action » suivi de l’initiale de la région militaire, Action A, B, C , D, M et P (région « parisienne » qui couvre un très vaste espace du Bassin parisien), Action R1 à R6 pour la zone sud. Les DMR coordonnent l’action armée et entretiennent les liaisons avec Londres. Ils travaillent à l’union des chefs locaux, à la coordination des maquis, à la création des états-majors FFI départementaux. Des missions spécifiques chargés de sabotages seront homologuées après guerre comme réseau Action, ainsi celle d’André Rondenay chargé du « Plan Tortue » (ralentir l’arrivée des blindés allemands sur les lieux du Débarquement).
Parachuté le 1er octobre 1942, Francis Suttill crée le réseau Physician, actif d’octobre 1942 à juin 1943. Son adjointe, Andrée Borrel est une survivante du réseau Pat O’Leary. Ils recrutent des agents dans le réseau Carte d’André Girard après que ce réseau se soit effondré et que son chef ait gagné Londres. Le réseau s’étoffe, est présent dans 12 départements, reçoit une quarantaine de parachutages, des armes et de l’argent, et Suttill « devient le référent incontournable de la plupart des réseaux du SOE qui s’implantent au même moment ». La chute du réseau est totale est brutale. Il a beaucoup été écrit que les Anglais avaient délibérément sacrifié ses agentes et agents, les intoxicant de fausses informations destinées à faire croire aux Allemands l’imminence d’un débarquement dans le Pas-de-Calais en septembre 1943, puis les faisant prendre par les Allemands qui seraient ainsi désinformés. Dans un paragraphe intitulé « l’histoire contre les complots », l’auteur recense cette littérature qui accuse les Anglais de bien d’autres machiavélismes meurtriers, explique le succès de ces théories, et montre les causes réelles de la chute des réseaux : trop grande extension, absence de cloisonnement, efficacité de la police allemande : le contre-espionnage allemand sait presque tout des réseaux du SOE, et pas seulement de ceux-là.
Guillaume Pollack établit une typologie des réseaux SOE. Les « réseaux opératoires » assurent le franchissement des frontières extérieures et font entrer ou sortir des agents des territoires occupés. Les « réseaux préparatoires » organisent la livraison et la réception du matériel à destination des groupes de résistance. Les « réseaux saboteurs » détruisent des cibles en relation avec la préparation du Débarquement et la libération du territoire. Les « réseaux maquisards » sont installés près des maquis dont ils assurent l’encadrement, les liaisons et l’armement.
Genre et engagement dans les réseaux de résistance
C’est le titre et le thème du dernier chapitre de l’ouvrage. Devenue un passage obligé de la recherche historique, la problématique du genre est déclinée ici autour de trois thèmes : la question du pouvoir autour de la personne du chef, la question de l’expérience combattante et celle de la répression. Si la problématique est claire, sans être originale, elle ne conduit pas à de claires réponses.
Les résistants sont des volontaires qui acceptent l’autorité d’un chef. Le pouvoir du chef repose sur le charisme, la reconnaissance par le service secret référent, le contrôle et la fourniture des moyens de liaison et du financement. Il est beaucoup question dans cette partie de Marie-Madeleine Méric, devenue cheffe du réseau Alliance dont elle a établit l’histoire dans son livre L’Arche ce Noé, et dont elle contrôle de fait la mémoire. Elle n’est pas la seule cheffe de réseau ; elle est la cheffe du plus puissant réseau ; elle n’est pas cheffe durant toute la durée d’existence du réseau. Elle s’impose au moment où elle est la seule à disposer de la liaison avec les Anglais. Pour des raisons pragmatiques, les Anglais ne se livrent à aucune discrimination entre les sexes. Ni le MI6, ni le MI9 n’ont hésité à confier le commandement à des femmes. Une femme peut exercer le commandement sur des hommes au sein d’un maquis comme le montre l’exemple de Pearl Witherington qui s’impose parce qu’elle est l’intermédiaire entre Londres et les maquisards, détenant les clés de la fourniture des armes.
Néanmoins tous les cadres du réseau Alliance sont des hommes, ainsi que les cadres subalternes et les chefs de secteurs. Les femmes dans les réseaux occupent des postes secondaires. Au sein des réseaux du BCRA aussi, les effectifs sont majoritairement masculins, encore plus dans les réseaux Action, dont elles ne sont cependant pas absentes. Analysant la « répartition genrée des rôles », l’auteur se livre à une comparaison des parcours de Jeanne Bohec et de Daniel Cordier, c’est la femme qui intégra un réseau Action comme instructrice de sabotage, quand l’homme devenait secrétaire. De nuances en contradiction on finit par ne plus savoir ce que l’auteur veut montrer ou démontrer. Il affirme cependant dans sa conclusion que « la guerre redéfinit les relations entre les sexes et leurs représentations, et le recrutement s’affranchit assez largement des normes sociaux-sexuées ».
L’analyse montre une absence de différence entre les sexes dans la répression des réseaux. La torture s’exerce quel que soit le sexe de la personne captive. « Bourreau par ailleurs n’est pas une affaire de sexe : des hommes comme des femmes ont occupé la place de tortionnaire. » Analysant le massacre des agents et agentes anglais du réseau Alliance, Guillaume Pollock montre la différence se situe seulement dans la méthode d’exécution.
Un lourd bilan humain
Le bilan chiffré exact de la répression des réseaux n’est pas aisé à établir et l’auteur insiste sur le fait que les chiffres auxquels il parvient sont très vraisemblablement au-dessous de la réalité. Ce sont presque 13000 femmes et hommes qui sont morts fusillés ou dans les camps, soit 14% du nombre total des agents. L’hécatombe a commencé dès 1940 et a touché tous les réseaux.
© Joël Drogland pour les Clionautes