Georges Courade propose ici son dernier ouvrage sur un continent qu’il connait bien. Géographe de terrain à l’IRD puis professeur associé à l’Université Paris I il propose une vision des chances et des difficultés de l’Afrique, il définit son propos comme la recherche d’un regard lucide et objectif sur l’Afrique subsaharienne comme une réponse aux propos d’Axelle Kabou cité en p.11 » Les perceptions de « l’Afrique dans le monde » sont passées du noir funéraire au rose bonbon en l’espace d’une petite décennie… L’Afrique, berceau du monde, serait destinée à en devenir le futur par la grâce de l’économie de marché. »
La couverture de ce livre est en elle-même une image qui vient répondre aux préjugés qui collent au continent: Une jeune femme téléphone portable à l’oreille dans une ville moderne.
Trois parties et 18 chapitres bien structurés en facilitent la lecture, des titres parfois percutants aiguisent la curiosité du lecteur mais l’envie de ne rien oublier, la volonté de présenter sinon tous les aspects du moins le plus grand nombre amène à des répétitions en particulier dans la troisième partie. Cependant ce sont de nombreuses interrogations et réflexions qui sont proposées et conduisent à un renouvellement indispensable de tout enseignement sur la géographie de l’Afrique.
L’introduction donne une bonne image du projet : de l’idée d’Afrique subsaharienne aux ajustements structuraux vers un développement plus autonome.
Lire la ligne de vie de l’Afrique subsaharienne
Six chapitres pour interroger les causes diverses attribuées au retard de l’Afrique.
L’auteur revisite les explications d’abord physiques du retard tropical quand la cause est à chercher du côté du climat et des sols, un détour par l’histoire de la géographie qui rappellera aux lecteurs les plus âgés bien des leçons.
C’est ensuite le poids de la colonisation qui est évoqué ou comment écrire une histoire pour des Africains par des Africains hors de toute influence idéologique.
Le culturalisme qui consiste à expliquer les phénomènes sociaux par une culture stable et homogène est à son tour objet d’une critique. L’auteur dénonce un « prêt-à-penser » de l’Afrique et des Africains : quête culturelle, déstabilisation coloniale des ethnies, non reconnaissance des métissages culturels anciens et effacement des classes sociales sous l’ethnicité. Il invite à revisiter bien des a-priori, une lecture salutaire avant tout enseignement de ces questions.
Partant de quelques réalités chiffrées il s’agit de peser le poids de ce continent des extrêmes pour reprendre l’expression de l’auteur : sida, dérives économiques et politiques de l’exploitation pétrolière, conflits frontaliers ou civils (Rwanda, RDC), effondrement de certains Etats et extrémisme religieux.
Sous le titre provocateur L’Afrique des experts-voyants Georges Courade analyse les études prospectives diverses entre inertie, tradition et rupture en insistant sur la question démographique, l’urbanisation, la croissance du PIB mais aussi de la pauvreté.
Il tente enfin une vision au long cours qui va de sociétés en mouvement depuis très longtemps aux traces encore visibles de l’esclavage interne au continent, de l’insertion dans les circuits économiques mondiaux et des découpages territoriaux inducteurs de sédentarité. Il fait une place particulière à la question de la propriété du sol entre héritage colonial et droits coutumiers.
A partir de ces quelques points il montre les traces parfois insoupçonnées d’éléments historiques plus ou moins anciens et met en évidence les points de rupture, d’évolution ou de conflits.
L’avenir reste très ouvert malgré les menaces et défis multiples
Des potentialités qui peuvent devenir des ressources, l’auteur fait ici un tableau des réserves de terre arable (Centre et Est du continent), des terres attractives (hauts plateaux de l’Est, un véritable château d’eau), des réserves en eau mal exploitées aujourd’hui et des grands fleuves sans projet commun des Etats traversés mais aussi de la forêt, grande, mal conservée, surexploitée malgré une grande diversité biologique, des matières premières et énergétiques aux mains des multinationales. De nombreuses richesses réelles mais convoitées.
Il dresse un inventaire des contraintes à lever et des cartes à jouer : enclavement, disponibilité des technologies d’extraction, poids d’une jeunesse à la fois entrave et atout. Les verrouillages sociétaux sont analysés en particulier les évolutions de la famille africaine qui fait écho à l’ouvrage de Jean-Célestin Edjangué : Afrique, que fais-tu de ta jeunesse ? .
Ce sont ensuite les menaces qui pèsent sur le continent africain qui sont énumérées, du changement climatique à la dégradation des sols, des faibles rendements agricoles à l’accaparement des terres pour lesquelles l’auteur parle de « nouvelle colonisation », de la place des multinationales aux mines artisanales (Burkina Faso, RDC).
L’auteur évoque la question religieuse qui pourrait mettre en danger les équilibres comme dans l’actuelle crise centrafricaine ainsi que les risques sociaux-économiques: insécurité alimentaire, problèmes de santé et même piraterie.
Un tableau plutôt sombre que le chapitre suivant sur la dépendance et les rapports de force inégaux ne vient pas éclairé.
Georges Courade passe en revue un certain nombre de pratiques sociales : recours aux sorciers, intermédiaires du développement à la recherche de l’aide, népotisme politique et économique, accaparement du pouvoir par un clan sans oublier l’argent sale (arnaques, prostitution, corruption) qui débouche sur des dérives mafieuses à connotation politique, ethnique ou religieuse. Sont également présentés le poids économique et les redistributions de la richesse liés aux conflits (Tchad, Côte d’Ivoire) et l’évasion fiscale.
Face à ces difficultés il existe des chances pour l’Afrique de développer un système productif compétitif, un entreprenariat innovant, une main d’œuvre compétente et un marché solvable. L’auteur cherche ici quelques exemples des capacités d’adaptation et d’innovation tout en montrant les freins qui pèsent sur l’esprit d’entreprise comme la famille. La croissance actuelle n’est que peu pourvoyeuse d’emploi salarié, les formations pas toujours adaptées tant aux besoins qu’aux réalités peuvent favoriser la fuite des cerveaux.
L’approche des difficultés de financement : crédit, épargne, fiscalité complète cet état des lieux.
Dans le contexte de la mondialisation c’est un continent à la recherche de nouveaux équilibres qui est décrit ici. Entre renouveau militant, nécessaire diversification économique, développement de l’emploi non agricole, l’auteur aborde la question des équilibres entre pouvoir central et pouvoirs locaux, politique de décentralisation et mobilisations des sociétés civiles, place de l’armée et mouvements séparatistes. C’est tout l’équilibre entre provinces et ville centre, capitale politique et/ou économique qui est à trouver, entre solidarités villageoises et intergénérationelles.
Des trajectoires à inventer
Cette troisième partie cherche à montrer des voies possibles vers une nouvelle indépendance dans un monde globalisé.
Les différents thèmes qui sont abordés dans les 6 chapitres ont déjà été évoqués, la reprise propose une approche un peu différente.
L’auteur rappelle que l’indépendance de ces pays est récente, des Etats jeunes qui ont des difficultés à assurer les fonctions minimales d’un Etat et sont à la recherche d’un système de gouvernance, d’un modèle local de démocratie.
Après un retour sur la notion d’enclavement et les complémentarités entre Etats côtiers et Etats de l’intérieur, propriété foncière, inégale répartition des populations et adaptation au changement climatique l’auteur, à l’aide de quelques cartes parlantes, traite d’une nouvelle géopolitique (carte p 197) à partir de trois pays structurants : Afrique du sud, Nigeria, Éthiopie et un rapide bilan des conflits (Soudan, Mali-Niger, RDC), il fait porter la réflexion sur les réseaux urbains et les espaces frontaliers.
L’interrogation sur la capacité de l’Afrique à s’insérer sur les marchés mondiaux est posée, le rôle des zones transfrontalières et la place des échanges intra-africains et l’état actuel des regroupements régionaux (UEMOA, CEEAC,, UDAA) ramène le lecteur vers la réflexion économique. Le recul d’influence des anciennes puissances coloniales au profit des États-Unis et de la Chine est renforcée par l’arrivée de quelques autres partenaires : Brésil, Inde, pays du Golfe…
Un chapitre très utile pour rompre avec les idées habituelles sur l’Afrique.
L’auteur insiste sur quelques points : face à la prégnance des relations de parenté de nouvelles formes de regroupement prennent de l’ampleur : groupes de jeunes, de femmes, organisations paysannes, pauvres urbains et en particulier ceux que l’auteur nomme les » cadets sociaux » en pointe dans l’entreprenariat. La carte sur la croissance économique (p. 256) met en valeur les éléments d’un décollage : système de transport, énergie disponible, moyens modernes de communication, marché urbain, agriculture vivrière à dynamiser. Il s’agit de mettre les richesses au service d’un développement générateur d’emplois.
Dans son dernier chapitre Georges Courade souhaite que les difficultés ne masquent pas les nouvelles dynamiques à l’œuvre. Une conclusion résolument optimiste.
Un index des mots clés complète judicieusement l’ouvrage.
© Clionautes
Lire d’autres comptes-rendus de cet ouvrage :
– par Christiane Peyronnard : édition de 2006, http://clio-cr.clionautes.org/l-afrique-des-idees-recues-3650.html
– par Caroline Jouneau-Sion : édition de 2006, http://clio-cr.clionautes.org/l-afrique-des-idees-recues.html