Les Editions Tallandier sont maintenant bien connues pour leurs ouvrages de référence, à la fois synthétiques et rigoureux, permettant de présenter en 100 questions un sujet bien déterminé. Ici, il s’agit du Brésil, pays à l’émergence qui peut paraître interminable car liée à un long processus historique qui a façonné ce géant.

Multiplicités, disparités et contradictions du Brésil

Si nous aimons parfois réduire la Brésil à certains clichés comme le football, la violence, la fête, la capoeira ou encore les plages, ceux-ci ne sont que des « miroirs grossissants et déformants de la société brésilienne » (p.1O) et réduisent le Brésil à un pays qui serait figé. Frédéric LouaultFrédéric Louault est professeur de science politique à l’université libre de Bruxelles, directeur du Centre d’étude de la vie politique (CEVIPOL) et du Centre d’étude des Amériques (AmericaS). Il a notamment publié, avec Olivier Dabène, l’Atlas de l’Amérique latine (6e éd., 2022) et l’Atlas du Brésil (2018). ne nie pas ces aspects mais en fait des portes d’entrée vers un Brésil en mouvement marqué par des dynamiques anciennes et présentes. On peut prendre l’exemple de la musique où la bossa-nova fait bien sûr partie intégrante de le culture brésilienne mais où le funk carioca devient un nouveau référent culturel chez les jeunes.

L’auteur nous livre un portrait du Brésil dans toutes ses multiplicités, « des villages amazoniens à la jungle urbaine de Sao Paulo » (p.10), mais aussi avec les contradictions d’un pays qui affiche une étonnante unité nationale malgré des disparités territoriales et sociales profondes et marquées (1% des Brésiliens détiennent 50% du patrimoine). La capitale Brasilia reflète parfaitement cette contradiction brésilienne : l’ambition égalitariste ainsi que la quête d’harmonie sociale du projet initial ont laissé place à la ville la plus inégalitaire du pays. Pour l’auteur, « l’utopie initiale s’est renversée jusque dans l’imaginaire national. Brasilia symbolise aujourd’hui l’isolement et les excès politique » (p.55).

Le développement d’une puissance, un long processus historique

Les succès de certaines entreprises brésiliennes soulignent le développement du pays (Petrobras, JBS, Vale, …). L’abondance des ressources est un facteur important de la puissance brésilienne  : les nombreuses cultures (soja, canne à sucre, café, cacao, vignes, …) et l’élevage, les ressources souterraines (or, fer, uranium, plomb, pierres précieuses, …), les ressources halieutiques, les réserves offshores d’hydrocarbures, ou le développement des énergies renouvelables (éolien + solaire).

L’insertion du Brésil dans l’économie mondiale s’est historiquement appuyé sur les exportations du bois, du sucre des minerais, du café, du cacao, du caoutchouc, des oranges, … selon des cycles économiques qui ont marqué le XIXe s. et le début du XXe s. A partir de la deuxième moitié du XXe s., l’industrialisation du pays « réoriente profondément l’économie brésilienne » (p.191). Certaines pratiques ont été tolérées afin d’accélérer ce développement. Dans le domaine agricole, on pense bien sûr au recours aux pesticides ainsi qu’aux OGM.

Le processus de l’émergence brésilienne n’est donc pas linéaire car lié à des vagues, alternant des phases d’accélération du développement et de projection internationale (les années 1930 et les années 1950 sous la présidence de Getulio Vargas puis les années 2000 sous la présidence de Lula) avec des périodes de repli, voire d’endormissement » (p.283-284). Ces dernières années les crises politiques et économiques ont fragilisé le pays, ses institutions ainsi que sa place internationale. 

« Le Sud du Nord et le Nord du Sud », une puissance à géométrie variable

En termes d’intégration régionale, pour l’auteur, on peut « considérer que le pays est potentiellement tout-puissant dans la région, mais qu’il n’exerce que modérément cette puissance » (p.276). D’un point de vue international, la position brésilienne est complexe : une certaine méfiance vis-à-vis des Etats-Unis (impérialistes), le rapprochement avec la Chine par intérêt économique (1er partenaire commercial du Brésil depuis 2010) ou avec la Russie de Poutine sous l’ère Bolsonaro. Pour Frédéric Louault, le Brésil cherche encore sa place, il « est en quelque sorte le Sud du Nord et le Nord du Sud. Il n’est ni périphérique, ni central. C’est une puissance à géométrie variable, un pays d’interstices qui navigue au gré de ses intérêts dans les flots tourmentés de la politique internationale » (p.314).

Des défis à relever

Mais les défis aussi sont immenses pour le géant brésilien :

  • stabiliser le développement
  • ne pas entrer dans une situation de dépendance économique et commerciale avec la Chine : 1/3 des exportations brésiliennes partent en Chine, les produits industriels envahissent le marché brésilien et fragilisent son tissu industriel, d’autant plus que l’implantation croissante de la Chine en Amérique latine concurrence les exportations brésiliennes dans la région
  • valoriser son potentiel (touristique par exemple)
  • réduire les inégalités socio-spatiales
  • reconquérir les territoires « abandonnés » par l’Etat
  • réduire la part du travail informel (en 2022, + de 40% de la population active travaille dans ce secteur !)
  • répondre aux aspirations d’une jeunesse ainsi que d’une partie de la population désabusées et/ou désorientées
  • préserver les ressources naturelles et les droits de chacun

L’Amazonie, région ou les droits des populations et la préservation de la biodiversité sont sacrifiés « sur l’autel de la de la productivité » (p.219) de l’agrobusiness, concentre une grande partie de ces défis ! Les populations amérindiennes, qui représentent 0,4% de la population brésilienne, malgré des avancées concrètes notamment depuis la fin de la dictature et la Constitution de 1988, sont actuellement menacées par la déforestation, le dérèglement climatique et par la politique de Jair Bolsonaro qui leur est ouvertement hostile.

Le Brésil de Bolsonaro

Pour Frédéric Louault, « l’élection de Jair Bolsonaro en 2018 représente à la fois le résultat et un accélérateur de cette dégradation démocratique » (p.15). Elle intervient après 14 années où le PT a exercé le pouvoir dans un contexte d’embellie économique mais dont l’erreur a été de ne pas s’attaquer « aux racines structurelles des inégalités » (p.135). En 2016, la destitution de Dilma Rousseff, « dérive du présidentialisme de coalition » (p.138) plutôt que coup d’état, n’a fait que renforcer cette défiance de certains Brésiliens à l’égard de la gauche et de la démocratie en général. Les réseaux sociaux jouent un rôle considérable dans la diffusion de cette défiance et sont particulièrement utilisés par Jair Bolsonaro. 

Désormais, les inquiétudes démocratiques sont nombreuses :

  • le refus du président de concéder ne serait-ce qu’un centimètre carré de terre supplémentaire aux populations indigènes
  • la légitimation de la violence passant par l’apologie de l’utilisation des armes à feu et de la torture ainsi que la glorification du coup d’état de 1964. L’auteur rappelle les « provocations » de Bolsonaro : « la seule erreur de la dictature a été de torturer sans tuer »  ainsi que la phrase « à la mémoire du colonel Carlos Alberto Ustra, la terreur de Dilma Rousseff »
  • l’octroi des droits des femmes et des communautés LGBT freiné par le puissant lobbying de l’Eglise évangélique dont les pasteurs les plus influents sont très proches du président favorisant son élection (Edir Macedo, le fondateur de l’Eglise universelle du royaume de Dieu) et intégrant son gouvernement (Damares Alves)
  • la militarisation de la vie politique (la proportion de ministres hauts gradés est plus importante que sous la dictature de 1964 à 1985)

Le populisme de Bolsonaro, rupture ou continuité ?

Frédéric Louault différencie le populisme de Bolsonaro de celui de certains de ses prédécesseurs. Il différencie ainsi le « populisme classique » de Getulio Vargas dénonçant les élites financières et utilisant la radio comme moyen de communiquer avec les masses, le « néopopulisme » de Fernando Collor de Mello dont l’ennemi principal sont les fonctionnaires et utilisant la télévision et enfin le « populisme ultraconservateur » de Bolsonaro accusant principalement la gauche à travers des réseaux sociaux. Pour l’auteur, « tous trois se posaient en rupture avec un système dont ils faisaient partie intégrante » (p.115) comme Bolsonaro ayant siégé près de 30 années à l’Assemblée fédérale et changé 8 fois de parti politique !

 

A la veille du second tour de l’élection présidentielle de 2022, on peut d’ores et déjà affirmer qu’il sera un moment charnière dans cette longue histoire brésilienne. Cette actualité est l’occasion pour nous de mieux comprendre ce pays au travers de cette synthèse très agréable et facile à lire grâce à un découpage efficace (Histoire, Société, Environnement et développement durable, Economie et développement, Le Brésil dans le monde, …). L’ouvrage pourra aussi particulièrement intéresser les candidats au CAPES externe 2023 qui préparent la nouvelle question sur l’Amérique latine.

 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX

 

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