Michel Sivignon : Les Balkans, une géopolitique de la violence. Éditions Belin, collection mappemonde, Janvier 2009. 207 pages, 24 €
Cet ouvrage sera présenté lors de la table ronde du salon du livre des sciences humaines –
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« L’Europe a-t-elle une fin ? Quelles limites pour l’Europe ? »Zone de prospérité ou de turbulences ? À l’heure où l’Union européenne est remise en cause par ses crises financières, où l’on s’interroge sur la pertinence d’une adhésion de la Turquie (voire de la Russie), poser la question de la « fin » de l’Europe, c’est à la fois s’interroger sur son devenir et sur ses limites.

Dimanche 6 février, 16h30-18h : Table ronde animée par Les Clionautes (Discutant: Marie Anne Vandroy)
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Auteurs:

Michel Foucher: les frontières de l’Europe La Documentation française,
Sylvain Kahn, Dictionnaire critique de l’Union européenne, Armand Colin
Michel Sivignon, Les Balkans, une géopolitique de la violence, Belin

Professeur à l’université de Thessalonique, Michel Sivignon est de ces géographes qui associent avec bonheur Eugéa, la muse de la géographie, et Clio, celle de l’histoire.
Sur ce territoire que l’on a parfois du mal à délimiter géographiquement, Michel Sivignon s’interroge sur la place que les Balkans peuvent occuper dans l’Union européenne. Dans cet ouvrage qui dresse un tableau extrêmement précis d’une situation extrêmement complexe, l’auteur interroge d’abord la définition de cette appellation qui est d’abord et avant tout celle de ses habitants eux-mêmes. « Ici ce sont les Balkans, par contre en Europe », entend-on souvent de Bucarest à Zagreb en passant par Sofia et Thessalonique.

Sur un ouvrage de plus de 200 pages ce sont quand même 25 cartes, largement inédites, qui permettent aux lecteurs de situer très précisément les problèmes dont il est question. Le livre a été publié peu de temps après l’indépendance proclamée du Kosovo, le 17 février 2008. Dans cette région couturée de cicatrices, une nouvelle frontière venait d’apparaître. Cette indépendance proclamée, et largement reconnue par une partie de la communauté internationale, n’a pourtant pas mis un terme à une situation de violence qui a commencé en juin 1991 lorsque les Slovènes, un des peuples qui composait la Yougoslavie, a proclamé son indépendance. Michel Sivignon fait preuve d’ailleurs d’un certain pessimisme, il dit très clairement, dès son introduction, que l’histoire n’est pas finie et que les braises n’en finissent pas de couver sous la cendre. Si au bout de 10 ans, les armes se sont tues, il n’en reste pas moins que les affrontements violents peuvent reprendre à tout moment comme en 2004 au Kosovo.
La démarche de l’auteur apparaît en effet comme double : il s’agit dans un premier temps de fournir un état présent des lieux en décrivant une situation sur le terrain d’une périphérie de l’union européenne qui n’est pas fixée sur son sort et qui évolue de jour en jour. Il est question également de rappeler les fondements historiques des forces en présence, les enracinements séculaires des populations et les héritages que ces populations reçues non par souci de précision académique mais dans la mesure où ces rappels sont nécessaires pour éclairer les évolutions en cours.

Périphérie de l’union européenne que les Balkans certes, mais surtout territoire à propos duquel les Européens eux-mêmes ont du mal à définir une politique commune. L’Europe hésite sur l’attitude à tenir et beaucoup de mal à parler d’une même voix. L’Europe a dû essayer de concilier deux principes difficiles à faire cohabiter : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes d’une part et l’idée que les entités étatiques multinationales basées sur la mixité ethnique et les pratiques de bon voisinage peuvent avoir des effets positifs. L’Europe s’est également révélée impuissante à empêcher les affrontements et il aura fallu l’intervention des États-Unis pour parvenir à stabiliser cette péninsule balkanique. Ce ne sont d’ailleurs pas les principes européens qui ont été mis en œuvre, notamment avec l’accord de Dayton, mais bien la construction, en Bosnie-Herzégovine d’une entité basée sur une séparation ethnique entre les Serbes et ce que l’on appellera pour des commodités de langage « les musulmans bosniaques ».

Périphérie émiettée de l’Union

La péninsule balkanique et notamment le territoire de l’ex-Yougoslavie est en effet marqué par un émiettement territorial. L’indépendance du Kosovo en février 2008 et le dernier événement du genre mais il avait été précédé auparavant, par l’indépendance du Monténégro en mai 2006. Cela avait d’ailleurs donné lieu à diverses interrogations à propos de la participation à la coupe du monde de football suivante de l’équipe de Serbie-Monténégro, formation d’un pays qui n’existait plus au moment de la compétition.
L’affaire du Kosovo a créé une situation tout à fait particulière, puisque, contrairement aux autres républiques formant la Yougoslavie qui ont accédé à leur indépendance, ce territoire n’était pas une entité fédérale. L’indépendance du Kosovo a été littéralement arrachée et contribue à amputer le territoire serbe de 10 800 km² et de 2 millions d’habitants. Il n’est pas évident que cette indépendance du Kosovo soit la dernière de la série. Au nord de la Serbie la minorité hongroise de Voïvodine qui avait la même position que le Kosovo à l’époque yougoslave serait fondée à revendiquer une évolution similaire.
Cette fragmentation du territoire yougoslave a eu des conséquences particulièrement dommageables pour ce qui concerne les réseaux de transport et les populations ressentent confusément la nécessité de l’intégration à l’union européenne comme une solution pour éviter l’émiettement territorial.
Mais ces états ont également des exigences de sécurité, et malgré le soutien économique de l’union européenne, l’OTAN reste pour la plupart d’entre-eux la seule solution possible. La Grèce est membre de l’alliance atlantique depuis 1952 tout comme la Turquie, la Slovénie depuis 2004. L’Albanie, la Croatie, sont considérés comme candidats et leur admission définitive ne devrait pas rencontrer d’obstacles, tandis que l’admission de la Macédoine se heurte à l’opposition de la Grèce qui exige que son nom soit préalablement modifié.

Dans le deuxième chapitre, la guerre des Balkans : 1991-1999, Michel Sivignon commence par rappeler le fonctionnement de la Yougoslavie, un château de cartes qui s’est effondré après la mort de Tito et la fin du pacte de Varsovie, dont la Yougoslavie ne faisait d’ailleurs pas partie.
Au début des années 80 les populations Slovènes et croates les deux républiques les plus prospères de la fédération yougoslave, avaient le sentiment de travailler seules pour le reste du pays. Une xénophobie latente au début, de plus en plus affichée ensuite, s’exprimait à l’encontre des albanais, des macédoniens, et bien entendu des Serbes.

Le rivage où la barbarie commence

Dans le troisième chapitre, Michel Sivignon interroge les définitions ou plutôt les appellations de cette région. En effet, le terme géographique de Balkans, pour désigner l’Europe du Sud-Est et d’un usage récent, ne semble pas admis par tous les intéressés et il apparaît comme fortement connoté, surtout de façon péjorative. Pendant longtemps en effet le terme de Balkans n’a pas été utilisé mais plutôt celui d’Orient. La « question d’Orient » traitait en même temps les Balkans et le Proche-Orient. Il est clair que pendant près de quatre siècles l’empire ottoman à exercer son influence dans la région. Chateaubriand arrivant à Trieste parlait de sa première étape du voyage en Orient comme « le dernier souffle de l’Italie expirée sur ce rivage, où la barbarie commence ».
Au cours du XIXe siècle, la limite de l’Orient s’est éloignée vers l’Est avec l’indépendance des états balkaniques acquise en in siècle entre l’autonomie de la Serbie, l’indépendance de la Grèce, et la naissance du royaume d’Albanie. Les peuples balkaniques souhaitent s’extraire de l’Orient et surtout de la domination ottomane. Il est clair que les Balkans ont été assimilés à une part de l’empire ottoman, la Turquie d’Europe. Mais comme la Croatie et la Slovénie sont dans l’empire Habsbourg, il apparaît difficile de les inclure dans les Balkans. C’est donc en 1808, sous la plume d’un géographe allemand, que le terme de Balkans est apparu dans la littérature géographique.
C’est une chaîne de montagnes ainsi appelée par les Turcs qui a donné son nom à l’ensemble de la péninsule. Cette chaîne de montagnes porte le nom de Stara Planina en bulgare. Cette dénomination est apparue comme assez rapidement péjorative. Le géographe André Fremont affirmait que : « les Balkans constituent depuis plus d’un siècle une sorte de honte de la conscience européenne ».
Il est vrai que si l’on regarde superficiellement les territoires où les affrontements les plus sanglants ont lieu pendant la guerre de 1991 à 1999, on a toutes les raisons de s’interroger sur les enjeux réels qui conduisent les populations de ces micro-territoires à s’affronter.

Balkanique, expression péjorative

Cette dénomination est en réalité mal acceptée par les habitants de la péninsule de même. Les Slovènes comme les Croates refusent d’être comptés au nombre des pays balkaniques, les Grecs se voient comme méditerranéens, les Turcs ne sont plus vraiment présents dans les Balkans. Seuls les Bulgares se considèrent encore comme tels.
D’après l’auteur il semblerait que le terme de Balkans fortement connoté ne soit remplacé à terme par celui d’Europe du Sud-Est qui a l’avantage d’être beaucoup plus naître. Sur une des cartes, celle de la page 47, on voit bien que les limites des Balkans ont été extrêmement fluctuantes. D’après l’Inion européenne aujourd’hui, les Balkans occidentaux, encore une division, seraient limités au territoire de l’ex- Yougoslavie et de l’Albanie. La délimitation traditionnelle englobe la Bulgarie et la Grèce tandis que la définition élargie pourrait aller jusqu’au nord de leur Hongrie et à la Moldavie et à la Roumanie.

Le géographe Michel Sivignon se révèle lorsqu’il évoque les terres balkaniques et l’on retrouve dans cette description minutieuse de la péninsule le souffle qui a pu animer Yves Lacoste et même Fernand Braudel. Le terme de péninsule appliquée aux Balkans serait d’ailleurs un abus de langage comme le disait déjà Max Derruau en 1958. Le géographe parlait de la péninsule grecque et de l’Europe danubienne et refusait cette appellation péninsulaire pour les Balkans. Dans ce chapitre, l’auteur évoque à propos de cette région les rapports entre les contraintes du relief et l’histoire politique. Le déterminisme géophysique a incontestablement joué un rôle dans l’image que l’on a pu avoir des Balkans. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle la domination ottomane se traduisait par une situation relativement paisible, grâce à une organisation civile et militaire et une efficacité qui apporte la prospérité. Le repli de l’empire ottoman a eu des effets sur les mouvements de population. Dans les régions qui ont accédé à l’indépendance les populations sont descendues des montagnes, des axes routiers se sont développés, la population des villes s’est accrue. Les régions de hautes terres sont globalement pauvres. Les mouvements pastoraux étaient un palliatif aux difficultés d’approvisionnement en céréales. L’autre ressource de ces régions accidentées étaie le brigandage dont le rôle social était pour le moins ambigu. Ce banditisme a pu servir les causes indépendantistes, notamment en Macédoine. Le fait que la région disposait d’un réseau routier de qualité extrêmement médiocre a été vécu comme un avantage par les populations locales.

Banditisme social

Les difficultés de pénétration de ce territoire permettaient aux populations de hautes terres d’échapper pour une bonne partie à l’impôt. Les montagnes montrent d’ailleurs des cas nombreux de peuplement dense au regard de leurs ressources limitées, ce qui confirme leur fonction de refuge.
En matière de peuplement les guerres yougoslaves ont changé la répartition des populations. Au Kosovo, la purification ethnique a été de courte durée et le retour des personnes déplacées s’est opéré en quelques mois. Par contre, pour ce qui concerne les Croates ou les Serbes, en Bosnie-Herzégovine, il semblerait que les populations ne puissent envisager un retour sur leur terre d’origine.

Le cinquième chapitre de cet ouvrage traite spécifiquement de la construction des nations. Les Balkans ont connu un processus particulier de formation des différentes identités nationales. Pour l’auteur, l’apparition de la nation est un phénomène historique contemporain de la révolution industrielle. Le modèle de constitution des États-nations et spécifiques à l’empire des Habsbourg et se révèle directement transposable dans les Balkans. L’idéologie nationale menée se développe lorsque des intellectuels d’origine rurale, confrontés dans la ville à une culture impériale dominante qui s’exprime dans une autre langue, cherchent à mettre en valeur les témoignages de la culture populaire et servent d’intermédiaire entre la culture populaire et la culture lettrée. Le processus de formation de la langue serbo-croate en est un bon exemple.
Les religions ont également joué un rôle majeur dans la constitution des identités nationales dans les Balkans. La distinction première au moment où les nations se constituent et celles qui séparent les musulmans des chrétiens. L’installation de l’islam a été relativement tardive, entre la fin de l’empire byzantin en 1453 et l’établissement des ottomans en Thrace. Près d’un siècle s’est écoulé. Les communautés musulmanes des Balkans ne sont pas seulement le résultat de la conversion à l’islam de population locale, même si la volonté d’échapper à l’impôt spécifique aux gens du livre a pu jouer. Les migrations de population musulmane d’origine extérieure à la péninsule, les Turcs d’Anatolie, les tatars de Crimée, sont également à l’origine de l’implantation de l’islam dans les Balkans. La présence turque est différente selon les lieux d’habitation. Les populations appartenant à l’appareil d’État, et donc résidant dans les villes se sont retirées lors du repli de l’empire ottoman.

Présence turque et ottomane

Par contre, pour les Turcs ruraux, exploitant de petites propriétés paysannes, le repli de l’empire ottoman a marqué le début d’une situation difficile. Au lendemain de la guerre de 14 18, lors de la signature du traité de Lausanne en 1923, 2 millions de personnes au total ont été déplacés. Le traité de Lausanne ne mentionne qu’une appartenance religieuse et non une nationalité. Le déplacement de population ne concernait pas des Grecs et des Turcs mais des chrétiens orthodoxes et des musulmans. Malgré ces déplacements de population, et la volonté de donner à cette région une cohérence linguistique et culturelle, les turcophones représentent un groupe de populations de près de 1 million, sans compter les 200 000 Turcs de Chypre.
L’islamisation des populations slaves du Sud est également évoquée par Michel Sivignon. Ce phénomène est lié à un faisceau de conditions fiscales, politique, sociale et psychologique. Dès lors que l’organisation sociale et politique des sujets du sultan découlait de leur appartenance religieuse, une partie des populations chrétiennes pouvait espérer par la conversion à l’islam un statut plus favorable. Toutefois, le sultan n’avait aucun intérêt à augmenter par la conversion le nombre de ses sujets musulmans puisqu’il aurait par là-même réduit considérablement ses ressources fiscales.
Le mouvement de conversion à l’islam à affecter très différemment les régions de l’empire : en Bosnie, la noblesse terrienne locale a souhaité garder son statut social et économique au sein de l’empire ottoman. Les villes étaient davantage islamisées que les campagnes d’ailleurs. Aux frontières orientales de la Bosnie, la région qui garde le nom Turc de Sandjak a été également islamisée.
Chez les Bulgares, les Pomaks sont musulmans. La grande majorité est située au sud et déborde dans la Thrace grecque. Cette population a souffert d’une certaine forme de discrimination avec l’indépendance de la Bulgarie. On lui reprochait sa participation aux atrocités commises en 1876 par l’armée turque avec des troupes irrégulières recrutées dans cette communauté.

La dimension religieuse et linguistique

La seule population qui s’est massivement convertie à l’islam et la population albanaise dont 80 % des 5 millions et demi est musulmane. Toutefois les albanais ne revendiquaient pas leur appartenance religieuse comme élément de leur identité nationale puisqu’il s’agissait pour eux de se libérer de la tutelle ottomane. En réalité, à aucun moment de l’histoire, la péninsule balkanique n’a été majoritairement musulmane.

L’orthodoxie a joué un rôle central dans la répartition religieuse du territoire. Avec la division de l’empire romain, effective avec la fondation de Constantinople en 330, et le schisme entre les deux églises, d’Orient et Occident, la séparation entre les deux cultes chrétiens est devenue définitive. La plus grande partie de la péninsule de confession orthodoxe s’est rangée sous la prééminence spirituelle du patriarche de Constantinople tandis que les peuples les plus situés à l’ouest, les Croates les Slovènes, ont adopté le catholicisme romain. Dans le monde orthodoxe, l’église a entretenu un lien génétique avec la nation. Dès lors que l’église contribue à sacraliser l’État et que l’État protège l’église, une église autocéphale se constitue. Sous la domination ottomane, le système du millet, qui définit une communauté soumise à des règles spécifiques, à favoriser dans une certaine mesure l’identification religieuse à la nation. Au fur et à mesure de l’indépendance des territoires de l’empire ottoman, la Grèce puis la Serbie, les églises nationales se sont constituées. Le système du millet a abouti à conforter les prérogatives de l’église, seule structure des communautés chrétiennes reconnues par le gouvernement impérial.
Les questions linguistiques ont joué joue également un rôle central dans la construction historique des nations balkaniques. Il existe des six états au début du XXe siècle ils sont au nombre de 13 depuis l’indépendance du Kosovo proclamé en février 2008. Les promoteurs des nations ont voulu que les patois locaux deviennent des langues nationales, comme condition de base de la mise sur pied d’une nation. Les nationalistes pensent qu’il n’y a pas de langue sans nation et pas de nation sans langue. La langue est une construction homogène qui appartient à une nation et l’aire linguistique à des frontières nettes. Les deux langues nationales les plus anciens dans les Balkans sont le grec et l’albanais. Les langues slaves, Slovènes, Bulgares et le serbo-croate sont apparues ensuite. Ces langues sont le résultat de l’installation des slaves dans les Balkans aux alentours du XVIe siècle. La constitution des nations à favoriser la constitution de langue nationale. Le macédonien se séparait du Bulgare, moldaves du roumain et à l’intérieur du serbo-croate on parle désormais du serbe, du croate et du bosnien. Le serbo-croate langue commune aux populations serbes, croates, bosniaques et monténégrines s’est constitué en temps que tel au XIXe siècle à l’initiative de linguistes croates et serbes qui avaient choisi comme matrice de la langue commune le parler en usage en Herzégovine orientale. Toutefois, les transcriptions graphiques du serbo-croate étaient différentes : alphabet latin pour les Croates, cyrillique pour les Serbes et arabe pour les Bosniaques jusqu’à la fin du XIXe siècle.
La querelle linguistique servi de détonateur à la crise politique de la Yougoslavie dès avant 1990. L’intercompréhension entre les langues de la famille serbo-croate reste totale mais depuis les guerres des années 1990, chaque population insiste et cultive sur ses variantes dialectales. Il faut toutefois noter, à la suite de l’auteur, que l’usage de l’alphabet latin a été vécu par une partie des populations comme un moyen de se rapprocher de l’Europe occidentale.
Avec une mosaïque de traditions religieuse, de différences linguistiques la perspective européenne apparaît comme la seule envisageable pour atténuer les contradictions. Les sept états qui se sont constitués depuis l’implosion de la Yougoslavie se sont construits contre leurs voisins et non plus comme un empire lointain comme pouvait apparaître l’empire ottoman.

En conclusion, Michel Sivignon qui a au préalable présenté successivement les différents peuples qui occupent la péninsule et qui s’est également livré à une présentation cartographique des entités nationales, montre cette contradiction entre les nostalgies concurrentes des grands royaumes et des empires dont certaines populations se considèrent comme héritières et le droit d’habiter, un droit nié à plusieurs époques dans la péninsule. La purification ethnique n’est pas une nouveauté liée aux actes d’une partie des Serbes pendant la guerre de 1991 à 1999. La première purification ethnique de masse est une des conséquences du traité de Lausanne de 1923 avec le déplacement, parfois sous la contrainte, de populations turcophones et où musulmanes, en dehors des territoires qu’elles occupaient, comme en Crête. Il semble donc évident que l’intégration des territoires balkaniques à l’union européenne ne pourra se réaliser que lorsque le droit d’habiter sera reconnu par l’ensemble des états concernés. Mais même cette hypothèse optimiste n’est pas forcément évidente, car au-delà des états, ce sont les comportements des populations elles-mêmes qui doivent être changés.

© Bruno Modica
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