Compte-rendu de François da Rocha Carneiro, Lycée Jean-Moulin, Roubaix.

Sur un ton léger et en 128 pages seulement, la collection « Idées Reçues » a pour but de faire le tour d’une question sujette à des préjugés. Les Belges sont sans nul doute parmi les grandes victimes de nos idées reçues françaises, même si elle se veut aujourd’hui plus aimables que sous Baudelaire qui qualifiait leur pays de « bâton merdeux ».

L’ethnologue néerlandophone Thomas Beaufils, de l’Université Marc-Bloch à Strasbourg, a la difficile mission de renverser ces préjugés. Si le sujet lui permet d’élargir le champ initial de ses recherches, il lui offre également la possibilité de se plonger dans une réalité qu’il connaît bien, puisqu’il est né à quelques kilomètres de la frontière. Il répond alors à 17 affirmations regroupées en 6 thèmes.

Le premier thème se veut une introduction géographique autour de l’idée voulant que la Belgique soit un « plat pays ». L’auteur rappelle immédiatement que le paysage belge est loin d’être monotone et, illustrant son propos, relate la mort du roi-chevalier, Albert Ier, lors d’un exercice d’alpinisme sur un rocher de la vallée de la Meuse. De façon plus anecdotique, Thomas Beaufils souligne la présence de quelques monts en Flandre, près d’Ypres, certes peu élevés, mais, rappelons-le, suffisamment pour rendre les combats de la Première Guerre Mondiale particulièrement meurtriers dans cette région.

Le deuxième thème s’attarde sur « ce qui divise les Belges ». Après un aperçu sur le peuplement antique de la Belgique, entre Gaulois, Gallo-Romains et invasions ultérieures, l’auteur traite de la question fondamentale de la langue. Comme le souligne Benoît Poelvoorde dans la phrase placée en exergue de cette affirmation, « les Français ne connaissent que l’accent belge de Coluche ». La réalité linguistique est beaucoup plus complexe que ce que la simple imitation ridicule pourrait laisser croire. Evidemment, la coupure entre Flamands et Wallons est d’abord de nature linguistique, ou du moins se sert de la langue comme argument premier. Même au sein de la Wallonie, l’auteur souligne la diversité et la variété des accents. De là à considérer que la Belgique est faite « de bric et de broc », il n’y a qu’un pas, que Thomas Beaufils franchit en évoquant les années fondatrices 1800-1830. Les choses sont d’autant moins aisées à saisir que « l’éternelle querelle entre Flamands et Wallons » semble « fragiliser l’Etat belge ».

Le troisième thème consiste à contredire le précédent en étudiant « ce qui lie les Belges ». Parmi les trois idées qui viendraient immédiatement à l’esprit, le roi, la sécurité sociale et les diables rouges, seule la première est retenue. L’ethnologue en profite pour faire un très rapide tableau des différents rois des Belges depuis la création du pays, en insistant pour chaque personnage sur son rôle dans la construction d’une identité belge. L’auteur considère ensuite que le fait que Bruxelles soit la capitale européenne évidente pourrait lier les Belges, mais souligne dans le même temps la méfiance des Flamands face à une possible épidémie francophone qui tomberait sur une ville de Bruxelles trop européenne. Vient ensuite la question du Congo dont la colonisation et la décolonisation ternissent jusqu’à l’image de l’aimé roi Baudouin. La partie s’achève par le traumatisme de l’affaire Dutroux, qui a fait naître, par le « mouvement blanc », une opinion publique belge qui dépassait les coupures habituelles entre Flamands et Wallons.

Dans un quatrième temps, Thomas Beaufils traite des relations entre la Belgique et la France. La première idée reçue est de penser que « la Belgique appartient à la sphère d’influence française ». Si les liens sont étroits, comme l’illustre la longue liste de personnalités belges reconnues en France, ils tendent à se relâcher dans la partie flamande, où les jeunes apprennent désormais plus facilement l’anglais que le français. Ensuite, l’auteur répond à l’affirmation « Les Belges sont bêtes » par une analyse de ces moqueries aussi bienveillantes de la part de l’émetteur que blessantes pour le récepteur et souligne la permanence de l’étrangeté dans certaines créations belges, tant filmiques que télévisuelles ou littéraires.

Le sens de la fête et du goût est l’objet de la cinquième partie. Certes les Belges sont réputés pour être des « fêtards », mais l’auteur nuance le propos en rappelant le caractère essentiellement religieux et empreint de spiritualité des fêtes belges, aussi bien les carnavals que les ducasses ou les kermesses. Ces fêtes sont l’occasion de se régaler de frites et de bières. Si leur présence est certaine dans la gastronomie belge, le trait est pourtant trop caricatural. Thomas Beaufils rappelle ainsi que les frites sont qualifiées de « françaises » en anglais (French fries) et que les Belges ne sont aujourd’hui que les 6e buveurs de bière en Europe. Sans oublier, la petite liste bien appétissante de plats belges autres que les simples moules-frites (au demeurant délicieuses). Quant aux chocolats, ils sont abordés à travers une rapide analyse historique des trois principaux producteurs, Léonidas, Neuhaus et surtout Godiva, qui aurait mérité davantage que les quelques lignes qui lui sont consacré.

Le tour d’horizon des idées reçues s’achève en revenant sur l’idée selon laquelle la Belgique est une terre d’artistes. La figure tutélaire de Brel veille, comme étant le Belge absolu, alors que ses attaques contre les Flamands ne furent pas toujours très bien perçues par ceux qu’elles visaient. Un rapide sort est ensuite fait à l’école belge de Bande Dessinée, depuis l’incontournable Tintin jusqu’aux écoles Saint-Luc actuelles de Bruxelles et de Liège. Enfin, la Belgique apparaît comme « la patrie du surréalisme ». L’hétérogénéité des éléments dans les tableaux du grand peintre belge surréaliste Magritte rappelle, selon l’auteur, les contrastes des assemblages de ce qui fait la Belgique. Des intellectuels belges en viennent à croire que « la Belgique est une œuvre d’art » ou bien que « Ceci n’est pas la Belgique ».

Dans sa conclusion, Thomas Beaufils se montre persuadé que la « Belgique est sans doute trop aimée pour disparaître définitivement ». Optimisme qui semble difficile, malheureusement à partager, à l’heure où les crises constitutionnelles se font de plus en plus difficiles à régler. Pourtant, ce pays qui n’existe pas est déjà sans nul doute un petit bout de paradis envoyé aux Européens, un peu d’une étrangeté sublime, peut-être un des seuls Etats indispensable à l’âme humaine. C’est là un des principaux mérites de l’auteur que de nous le faire partager dans un style très agréable et dans des démonstrations certes rapides (conséquence du format de l’ouvrage) mais surtout riches et bien informées. Le seul bémol qui pourrait y être apporté est la trop faible place laissée à Tintin, traité en une page et demie ! Cela n’empêche nullement l’ouvrage d’apparaître comme un nécessaire rappel, à ceux qui aiment la Belgique (ou plutôt qui l’adorent car il y a quelque chose de divin dans cette vénération des Belgophiles) comme à ceux qui l’ignorent.

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