Les vacances scolaires sont propices à la lecture. Celle du livre dirigé par Philippe Duhamel et Rémy Knafou s’y prête plus particulièrement, surtout quand on appartient au type « urbain » de touriste plutôt qu’à celui qui préfère descendre des pentes enneigées en cette saison. Les 30 auteurs de cet ouvrage collectif proposent ainsi une promenade urbaine à l’échelle de la planète. Leur objectif était de ne pas faire un énième livre sur le « tourisme urbain » mais de mener une réflexion sur les relations entre le tourisme, la ville et l’urbain. La question du tourisme urbain permet de croiser avec les mobilités, l’urbanité, la recomposition des espaces et des réseaux urbains. Ce livre est issu du colloque « Les mondes urbains du tourisme » qui s’est tenu en 2005 et dont la revue espaces-temps s’est fait l’écho.

Le présent ouvrage reprend les communications du colloque. 30 auteurs, pour l’essentiel géographes, mais aussi des urbanistes, des architectes, des historiens, des sociologues et même des paysagistes, venus du monde entier, ont contribué à ce livre. Réunis par l’équipe MIT (Mobilités Itinéraires Territoires), ces différents articles s’organisent en 3 grandes parties : « Habiter », « Politique », « Urbanité ». Cette approche est inspirée de celle du Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés coordonné par Michel Lussault et Jacques Lévy. Chaque partie commence par un article d’introduction qui reprend l’essentiel du contenu des articles présents dans la rubrique et qui souligne aussi les limites de certains des regroupements d’articles. Ainsi, la partie Habiter touristiquement la ville rassemble des articles assez hétéroclites qui semblent se trouver là à défaut d’avoir pu être placés ailleurs. De même, certains développements sont particulièrement spécifiques et montrent leurs limites dans l’insertion à la problématique du livre. La dernière partie du livre Urbanité est sans conteste la plus intéressante et la plus novatrice grâce à l’article de Michel Lussault, notamment. Des études de cas, facilement transposables en classe, ponctuent cette partie. On retiendra ainsi celle de Miami menée par Jean Pierre Augustin, celle des croisières dans les Caraïbes présentée par M. Desse, ou bien encore celle du tourisme balnéaire tunisien traitée par R. Vidal, H. Rejeb, K. Dhaou dont on prolongera la lecture avec bénéfice en lisant l’article de Yannick Mével Du tourisme scolaire à la géographie du tourisme publié par les Cahiers pédagogiques, ce mois-ci.

De la richesse de l’ensemble, je retiendrai trois angles d’approche.

La ville, origine et aboutissement du tourisme

La ville est à la fois lieu d’impulsion du voyage mais aussi point de départ, lieu de passage, lieu d’arrivée ou de séjour. C’est un lieu qui attire qu’on le veuille ou non, même si il existe un mouvement touristique de retour à la nature. Le tourisme « urbain » représente 32% des séjours et 39% de la consommation touristique. Si la ville attire les touristes, c’est qu’elle présente suffisamment d’altérité. On quitte sa ville pour aller dans une autre qui présente des caractéristiques semblables mais qui offre des fonctions n’existant pas dans la sienne. La ville touristique cumule trois fonctions en tant que lieu : lieu patrimonial, lieu de la modernité, lieu d’évènements. La création d’évènements est centrale pour attirer les touristes. C’est ce qu’ont bien compris les conseils municipaux des grandes métropoles (même si certains s’en défendent) en organisant Nuit Blanche, Paris Plage, Nuit des Lumières, évènements sportifs…
Toutefois, toutes les politiques touristiques mises en œuvre ne suffisent pas à développer le tourisme dans des endroits choisis. Le développement touristique relève d’une alchimie particulière que les acteurs institutionnels ont bien du mal à comprendre. La déambulation, le shopping tiennent une place importante dans les pratiques touristiques urbaines mais ils ne suffisent pas. Le touriste a besoin, pour venir dans une ville, d’un « alibi culturel » même si, dans le cas de Prague, par exemple, la fréquentation touristique consiste aussi dans la tenue de stag parties (entendez par là : saouleries à la bière). Le marketing joue un rôle important pour mettre une destination à la mode. Il faut créer l’évènement par la mise en œuvre de grands projets architecturaux, par exemple. Ensuite, quand les médias s’en emparent et relaient le message en consacrant dossiers et numéros spéciaux : le tour est joué. C’est ainsi que certaines villes ont vu leur image toilettée. (Bruxelles, Lille, Bilbao…) L’image d’un lieu est totalement construite. Le touriste l’ignore complètement.

La concurrence pour l’espace

On assiste, parallèlement au développement d’infrastructures touristiques à une gentrification des quartiers centraux quand il ne s’agit pas de ville touristifiée. L’enjeu est de réussir à proposer des attractions ou des visites de lieux qui ne soient pas saturées. « Trop de tourisme tue le tourisme ». De même, toute grande ville touristique cherche à attirer trois catégories de touristes : le touriste, proprement dit ; les congrès et les voyages d’affaire. Seules les métropoles mondiales sont capables de cumuler ces clientèles. Il faut pour cela disposer d’équipements en adéquation. Le touriste urbain est de plus en plus exigeant en terme de qualité de vie.
Le développement du tourisme pose la question de la concurrence pour l’espace. Différents acteurs se disputent les lieux : les résidents, les touristes, les commerçants, les navetteurs. Pourtant, dans le cas de Zanzibar, le tourisme permet de rénover d’anciennes maisons ou des palais omanais qui seraient tombés en ruine, malgré le classement de Stonetown au patrimoine mondial de l’UNESCO. La cohabitation touristes / résidents existe mais elle est le résultat d’une sorte de rite initiatique, d’apprentissage à l’Autre. On peut aller jusqu’à parler d’hybridation, limitée toutefois lorsque le lieu est investi par un trop grand nombre de touristes. Dans ce cas, les résidents fuient. L’article consacré au Paris des années 1855 – 1937 montre bien que la concurrence pour l’espace n’est pas nouvelle. A l’époque, les résidents pestent contre la présence des Britanniques sur les Champs Elysées et Rue de la paix. La mise en contexte historique est nécessaire pour qui veut prendre du recul face à « l’accaparation » actuelle de la « plus belle avenue du monde » par des dynasties saoudiennes ou chinoises.

Le touriste, un « genre commun »

Michel Lussault qualifie ainsi le tourisme. Le tourisme est devenu un genre commun (en raison de la généralisation des mobilités) alors qu’avant c’était une différence spécifique. Contrairement à ce qu’en dit Jean Didier Urbain (L’idiot du voyage), l’acte touristique est un apprentissage de soi, de l’altérité, de la relation spatiale au monde. Malgré tout, la pratique touristique est assujettissante puisqu’elle se déploie au sein de sociétés structurées et hiérarchisées. L’espace du tourisme est très contrôlé. C’est une « civilisation des mœurs » (cf. Norbert Elias). Michel Lussault qualifie la pratique touristique comme « une expérience actorielle doublée d’un évènement spatial ». Sa définition se distingue de celle de Rémy Knafou qui voit dans le tourisme « un système d’acteurs, de pratiques et d’espaces qui participent de la « récréation » des individus par le déplacement et l’habiter temporaire hors des lieux du quotidien ». Pour Lussault, il faut cesser de faire la « géographie » d’un espace touristique mais en saisir, par le biais des acteurs, comment cet espace est construit. Sur ce conseil, les enseignants du secondaire pourront ainsi dépoussiérer leur manière de faire de la géographie et faire prendre conscience à leurs élèves qu’ils sont les acteurs de leur territoire. La dernière livraison des Cahiers pédagogiques (Enseigner la géographie aujourd’hui, N°460) leur sera très utile pour méditer sur des exemples de mise en pratique de géographie active.

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