Qui se souvient de Xavier Riaud ? Ce docteur en chirurgie dentaire avait sorti dans les années 2000-2010 d’intéressants ouvrages sur la dentisterie, notamment pendant la guerre de Sécession et sous le troisième Reich. On est toujours intéressé par ces auteurs qui ne sont pas historiens de formation, mais qui sont passionnés par leur sujet. C’est le cas de Bernard Allemandou, qui est pédopsychiatre et qui se lance ici dans une imposante monographie sur les enfants abandonnés, les « bourdeaux » à Bordeaux entre 1811 et 1870, un ouvrage complété par un second volume intitulé Enfants en marge, enfants de la misère, Bordeaux 1811-1870. Ceux qui ont lu Dickens ou Hugo savent que le statut d’enfant abandonné pendant cette période n’est pas un statut très enviable. Bâtiments inconfortables au financement aléatoire , éducation sommaire, culpabilisation, pauvreté qui se superpose à la pauvreté des origines sociales de ces enfants souvent laissés par des filles-mère. Allemandou montre bien la charge émotionnelle et psychologique que subissent ces orphelins, ainsi qu’une charge physique due à une alimentation incomplète. La question que se pose Allemandou est la suivante : est-ce un sauvetage ou un massacre qui s’opère à cette période ? Car la plupart de ces enfants auront une vie brève et seront exploités une fois devenus adultes dans les domaines agricoles du Bordelais, ou serviront dans la marine de guerre comme mousses. L’ouvrage est précis et très bien documenté, les tableaux démographiques sont nombreux. Allemandou étudie de nombreuses archives d’hospices bordelais avec de nombreux tableaux de démographie locale. On constate que l’abandon est important à Bordeaux, et trahit une véritable misère sociale, même si le chiffrage reste approximatif faute de sources complètes. On voit aussi que la mortalité infantile est un véritable fléau dans ces hospices, de nombreux nourrissons décédant dans les mois qui suivent leur abandon. Toutefois, Allemandou tranche et répond à sa problématique en écrivant que « en préservant la vie d’un enfant exposé sur trois, l’hospice a été un lieu de sauvetage pour les enfants de la misère ». Reste l’effrayant tableau de cette société bordelaise partagée entre la nécessaire et salvatrice charité chrétienne de l’époque et la peur du pauvre en général, et des enfants pauvres en particulier ici, qui sont extrêmement stigmatisés.

Mathieu Souyris

Lycée Paul Sabatier, Carcassonne.