Dans le grand troupeau équestre des historiens et des historiennes, François Delpla fait figure de maverick. Le fait qu’il soit arrivé à écrire l’Histoire par la petite porte explique sans doute le manque de reconnaissance qui lui est accordé. Agrégé d’histoire, professeur de lycée, clionaute, animateur d’un blog stimulant hébergé par Médiapart, le média indépendant que toute la classe politique déteste, François Delpla s’est depuis les années 1990 spécialisé dans l’étude du nazisme et d’Adolf Hitler en particulier. J’avais déjà chroniqué son ouvrage précédent, Hitler et les femmes, paru aux éditions du Nouveau Monde en 2016 et, comme le disait Édouard Husson qui assistait à la soutenance d’habilitation de François Delpla, « je ne partage pas toutes ses thèses mais je les trouve stimulantes ». Néanmoins l’ouvrage m’avait interpellé et c’est avec un certain plaisir que je me suis mis à lire ce Hitler et Pétain, à la façon dont ont lirait un bon Bernhard Günther de Philip Kerr. Mais il n’y a pas que ça. François Delpla utilise énormément les sources, les archives, les témoignages, les lettres (notamment celle de Joachim Von Ribbentrop adressée à Pétain en 1943) et en ce sens fait un véritable travail d’historien, ce qui est paradoxal car on lui reproche souvent de privilégier l’intuition aux preuves sourcées. Et c’est vrai qu’avec Hitler, le personnage est tellement manipulateur que les preuves sont assez rares. Ainsi la lettre envoyée par Himmler à Charles de Gaulle en 1945 serait pour François Delpla dictée par Adolf Hitler. Mais sans preuve formelle. L’idée maîtresse de Depla est que Hitler est cohérent depuis 1919, qu’il est intelligent et extrêmement manipulateur. Il réhabilite le rôle de ce petit activiste autrichien dans le mouvement nazi alors que d’autres ont présenté Hitler comme une personne négligeable pour expliquer le nazisme. Or, et Ian Kershaw l’a bien montré dans son ouvrage de 2012 La fin : Allemagne 1944-1945 le régime nazi ne vit que parce que Hitler vit. Les derniers combats fanatisés sont menés en son nom, et sa mort dans le bunker de Berlin est l’équivalent d’un coup de pied dans la fourmilière, tout s’effondre en peu de temps.

Hitler avait donc besoin, pour s’attaquer à l’URSS, d’une France vaincue rapidement et domestiquée qui lui éviterait d’user ses troupes à l’Ouest. La collaboration de Pétain est une aubaine pour le dictateur, d’autant plus que Pétain rassure et se montre globalement malléable tant que les apparences de l’honneur et de la dignité sont conservées. On lit avec intérêt les premiers pas de la collaboration, l’éviction temporaire de Laval, la période Darlan, l’importance de Fernand de Brinon, ambassadeur de Vichy à Paris, d’Otto Abetz, l’ambassadeur d’Allemagne en France, et de Werner Best, le chef de la section administrative du commandement militaire de Paris. Le rôle de ce dernier est d’ailleurs réévalué par François Delpla, notamment son implication dans les premières déportations de Juifs. Habile, Werner Best devait ensuite construire sa légende de « sauveur de Juifs » au Danemark entre 1943 et 1945, ce qui lui permit d’échapper à la mort après la guerre et de mourir tranquillement en 1989 tout en restant actif dans l’organisation de soutien aux anciens SS, la HIAG. Comme je l’ai dit plus haut, l’ensemble se lit presque comme un thriller politique, de l’entrevue de Montoire jusqu’au château de Sigmaringen où Pétain est de fait captif mais encore utilisé par Hitler comme un de ses « derniers atouts (…) auquel il a conservé un semblant d’existence politique ». Un maréchal Pétain quelque peu dépassé, qui se débat avec lourdeur dans les pièges et les chausse-trappe du petit caporal de Braunau am Inn, tout en espérant jusqu’au bout jouer le rôle de « bouclier » qu’il s’était lui-même inventé.

Mathieu Souyris, lycée Paul Sabatier, Carcassonne.