Après avoir dressé régulièrement depuis 1984 le portrait des Français, on n’avait plus depuis 2012 de nouvelles d’une actualisation de cet outil à la fois indispensable et ludique. Le voici à présent sous un format à la fois proche et différent mais toujours fourmillant d’informations.

L’art de la prospective
Gérard Mermet est toujours à la tête de cet ouvrage mais il a décidé de le faire un peu évoluer et d’offrir un ouvrage plus ambitieux. L’ouvrage est découpé en trois parties d’inégal volume : le décor, les modes de vie et la synthèse. Comme le précise l’auteur, l’ouvrage peut se lire de plein de façons différentes : par thème, en ne lisant que les intertitres en couleurs, ou encore en suivant les renvois entre pages. Il est vrai que par le jeu des titres ou l’utilisation du gras, le lecteur pressé pourra aller rapidement à l’essentiel. On trouve également un certain nombre d’encarts pour chacun des thèmes abordés. Chaque thème est abordé sous l’angle actuel puis de façon prospective. L’auteur rappelle d’abord ce qu’il entend par prospective : « ce n’est pas une projection simple du passé récent, pas plus qu’une prédiction de l’avenir ». Chaque thème est donc décrit avant d’être envisagé de façon prospective. On apprécie la dernière sous-partie intitulée « Et si… » qui à chaque fois donne des exemples de divergences possibles. C’est un exercice risqué mais très stimulant.

Le décor
Il s’agit ici de décrire les facteurs de changements en cours et à venir, avec une place importante pour les innovations scientifiques et technologiques. A l’intérieur de cette première partie, plusieurs domaines sont examinés en commençant par l’environnement et la démographie mondiale. C’est d’abord une approche globale car il est de toutes façons impossible d’étudier la France comme un isolat. On aborde progressivement notre pays où aujourd’hui 75 % de la population n’occupe plus que 18 % du territoire alors que c’était 50 % en 1936. Il faut aussi retenir que l’espérance de vie augmente de trois mois chaque année depuis 70 ans. Au niveau mondial, le poids de la France recule en pourcentage puisque le pays est passé de 4,4 % du PIB mondial en 1980 à 2,2 % aujourd’hui. Gérard Mermet se livre ensuite au délicat exercice d’approche des mentalités en France. Il contourne d’une certaine façon l’obstacle de l’essentialisation en pointant dix handicaps et dix atouts français. Il s’attache ensuite au rôle de l’innovation et cherche là aussi à mettre en lumière les principaux domaines. Il se donne la profondeur de temps nécessaire pour rappeler qu’en d’autres temps, pas si lointains, certaines innovations ont fini au cimetière des bonnes idées comme le Bi-Bop. Gérard Mermet se risque enfin à désigner des exemples d’innovations qui pourraient changer notre vie quotidienne : les vêtements auto-nettoyants, l’impression 3D d’os en céramique ou le robot de surveillance.

Les modes de vie
Fort de tous ces éléments de décor, l’auteur propose alors d’analyser les conséquences probables sur la vie quotidienne. C’est la partie la plus conséquente de l’ouvrage avec près de trois-cents pages organisées en thèmes eux-mêmes subdivisés. Ainsi l’entrée « Famille » propose comme déclinaison couples, enfants, jeunes et seniors. Gérard Mermet propose des alternatives possibles au tableau qu’il brosse sous forme d’un texte en italique, ce qui est très pratique.

Individu et Famille
On pourra retenir que la taille moyenne des Français augmente mais en même temps cet accroissement sera moindre demain. Notre corps pourrait être de plus en plus accessoirisé et l’ouvrage pointe les 4P de la médecine de demain, à savoir personnalisation, prévention, prédiction et participation. L’auteur souligne également la question de la perception du temps ou de son manque. Vous pourrez ensuite tout savoir sur les évolutions des pratiques sexuelles, sur le coût du troisième enfant ou encore sur le nombre de générations qui vivent ensemble aujourd’hui. Les évolutions alimentaires sont marquées par une consommation toujours moindre de viande. On découvre ensuite les évolutions liées à l’automobile avec notamment un graphique qui montre bien la diminution de la mortalité routière en quarante ans.

Société, travail et argent
C’est l’occasion d’aborder la question du transhumanisme et on trouve aussi un utile encart «  C’était mieux avant ? ». Le chapitre suivant s’attaque à la délicate question des évolutions de travail en s’interrogeant au préalable sur la « robolution ». L’auteur rappelle également le poids toujours moins important que représente le temps de travail dans le temps d’une vie. Le temps absolu de travail a diminué de moitié en un siècle alors que l’espérance de vie s’est accrue des trois quarts. La question du pouvoir d’achat est abordée en la resituant elle aussi dans un continuum. Il a augmenté pendant six décennies mais le sentiment général est pourtant celui d’une baisse ! Difficile sur un tel sujet d’opposer la réalité des chiffres à la force des représentations.

Consommation et loisirs
Le marketing doit se réinventer pour séduire le consommateur. Gérard Mermet s’interroge sur un refus massif de celui-ci d’être prisonnier des algorithmes. Certaines tendances se renforcent comme le commerce électronique. Son chiffre d’affaire a augmenté de 14 % en 2017 par rapport à 2016 et il a doublé depuis 2013. Que fera-t-on de notre temps libre sachant qu’en 2030 il représentera 30 % du temps éveillé d’une vie contre 9 % pour le travail ? La presse papier connait une crise et une mutation et, là aussi, il faut réinventer d’autres modèles économiques viables dans un environnement marqué par une défiance envers les médias ! Gérard Mermet passe ensuite en revue un certain nombre de loisirs comme le jardinage ou le cinéma qui se maintient à 200 millions d’entrées par an grâce notamment au confort de la taille de ses écrans.

La synthèse
Le lecteur pressé pourra commencer par là. La première partie est résumée en huit pages, la deuxième en vingt-cinq et Gérard Mermet propose un chapitre «  le futur en questions » pour réfléchir sur l’avenir de la société. Il le fait sous forme d’une foire aux questions, ce qui est donc très ouvert. Ainsi, demain sera-t-il meilleur ou moins bien ?, la science solution ou problème ? entre autres thèmes. L’ouvrage se termine par un « dicotech » c’est-à-dire un dictionnaire des innovations de rupture. Sans être exhaustif, c’est passionnant et vous pourrez découvrir ce qui pourrait faire changer notre vie ou la change déjà comme les chatbot, NATU ou l’édition moléculaire. Une bibliographie et un index permettent d’aller plus loin et de se repérer facilement dans le livre.

Gérard Mermet a donc su renouveler son classique et, s’il glisse quelques expressions pour résumer des nouvelles tendances à l’oeuvre, il ne se contente pas de jouer sur les mots car chaque acronyme avancé s’appuie sur des chiffres. Il propose en outre à la fois un tableau de ce qui est aujourd’hui, de ce qui pourrait être, en laissant la place pour des divergences. Il ne s’interdit pas de regarder en arrière si nécessaire pour mieux faire comprendre ou mesurer des évolutions de société. Un nouveau classique !

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes