« (…) Captées dans un entre-deux, par exemple, entre une France d’en haut et une France d’en bas, les classes moyennes présentent une grande dispersion de profils. » (p. 7) surtout si on considère l’affaire à l’échelle mondiale ! Entre déclassement dans les pays développés et apparition dans les pays émergents, la (les) classe(s) moyenne(s) est partout un « épicentre des questions sociales et des préoccupations électorales. » (p. 5)

Cet objet occupe depuis peu Julien Damon. Ce sociologue est venu à la (aux) classe(s) moyenne(s) après avoir beaucoup travaillé la question de l’exclusion par le biais de la condition des SDF dans la ville. Il élargit aujourd’hui ses terrains de recherche aux politiques familiales et à la mobilité (dans le cadre de son investissement au sein de Gares connexions).

Une, puis, des classes moyennes

Aristote, Tocqueville, Marx, Gambetta, Jaurès, Durkheim, Simiand, Halbwachs, Mendras se sont intéressés à la classe moyenne (au singulier) avant que le pluriel s’impose pour celles qui se sont étendues et banalisées. Les définir est un exercice difficile. Trois approches sont possibles : par les appartenances socio-professionnelles, par les revenus et par l’identification individuelle à la catégorie. Selon la définition retenue, les classes moyennes peuvent représenter jusqu’à 80% de la population ! Les définir amène à se demander si les classes moyennes s’établissent « à partir d’un milieu mathématique (des revenus ou des consommations) ou bien si les classes moyennes sont, en elles-mêmes, un milieu social (comme on dit « je ne suis pas de ce milieu ») » (p. 16). Aussi, avec des approches si différentes, il n’est pas étonnant que les analystes ne soient pas d’accord et à plus forte raison, si on veut faire une comparaison européenne voire mondiale !

Les classes moyennes françaises : un enjeu électoral

Le cas français est analysé très précisément. Cette partie est très documentée et argumentée. Julien Damon conclut que l’idée du déclassement qui hante les classes moyennes françaises n’est justifiée que si on considère la base des classes moyennes. Leur situation se rapproche, sur vingt ans, de la situation des classes populaires (fourchette haute). Il rejette l’idée selon laquelle l’espace périurbain serait celui des classes moyennes. « La France des pavillons et des lotissements, de la bagnole et du barbecue, a longtemps renvoyé l’image de l’ascension et du standing moderne des classes moyennes. » (p. 60) Il insiste sur le fait que « (…) les classes moyennes – en tant que catégorie unitaire apprécié nationalement – ne présentent pas de singularité territoriale déterminante » (p. 64). La diversité sociale comme géographique l’emporte. Quelques tendances émergent qui affectent de manière différenciée les classes moyennes : effritement (les classes moyennes ne constituent pas une unité sociologique), écrasement (le cœur des classes moyennes ne profite pas du système français de transferts qui bénéficient aux plus démunis et aux plus riches – niches fiscales), étalement (les classes moyennes nourrissent l’étalement urbain par leurs trajectoires résidentielles), émiettement (politiquement, elles sont courtisées par tous les partis, sauf l’extrême-gauche).

La middle class américaine

Aux Etats-Unis, Charles Wright Mills, sociologue, note dès 1951 l’apparition d’une middle class, constituée de cols blancs (en croissance numérique) : « un démenti aux théoriciens du XIXème siècle qui prévoyaient une société divisée en patrons et ouvriers » (p. 70). La transition d’une société industrielle vers une société post-industrielle (débutée dans les années 1970) se traduit par une baisse des catégories de personnes de niveau intermédiaire. La crise de 2007 a accentué ce sentiment de déclassement, confirmé par les statistiques (-0,6%/an pour le revenu moyen américain sur les dix dernières années contre 3% de croissance/an entre 1960 et 1970). Obama et son Obamacare ont mis au cœur du débat politique les classes moyennes (qui travaillent mais ne peuvent se payer une assurance maladie, malgré la bi-activité des ménages) jusque-là oubliées.

La montée des classes moyennes dans les pays émergents

Quant aux pays émergents, ils sont emblématiques de l’entrée du monde dans une « phase de moyennisation » (p. 98). Estimer le nombre de personnes concernées est compliqué. En Inde, les estimations varient de 50 à 300 millions de personnes ! L’essentiel des classes moyennes se trouve dans la fourchette basse retenue. Quoi qu’il en soit, la montée en puissance des classes moyennes est gage de démocratie si on en croît Aristote : « lorsque la classe moyenne est importante, il y a moins de risques de discordes et de division » (p. 115) même si les aspirations des classes moyennes en termes de droits civils et sociaux se heurtent au pouvoir central (manifestations).

Classes moyennes de tous pays, unissez-vous !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes