Cet ouvrage peut être classé dans la catégorie des « beaux livres » : couverture cartonnée, papier glacé, nombreuses photographies de grande qualité, riche iconographie (reproductions d’affiches, de tracts, de cartes d’adhérents, de papillons), prix élevé ! Il ne s’agit pas d’un ouvrage de synthèse sur la collaboration, phénomène parfaitement connu par l’auteur qui en rappelle d’ailleurs l’historiographie dans une brève introduction, mais des portraits et des itinéraires personnels et politiques de 13 hommes et femmes engagées dans la collaboration, résumés à l’essentiel et richement illustrés par des documents d’archives, issus pour la plupart des archives judiciaires, largement accessibles depuis la loi sur les archives de 2008. Ces portraits sont séparés par des encarts qui sont de courtes synthèses sur des points particuliers (la « cinquième colonne », les auditeurs de l’émission de radio « La Rose des vents », les attentats d’octobre 1941 contre des synagogues, la propagande de la Milice par « Je suis partout », la fin de la collaboration en Allemagne) ou des instances diverses de la collaboration (« Au Pilori », Institut d’étude des questions juives, Groupe Collaboration, LVF, RNP, Francisme, Ligue française d’épuration, Gestapo française) en lien avec les personnages choisis.

Docteur en histoire, chercheur au CNRS (Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, Université de Caen), Laurent Joly est un spécialiste de l’extrême droite française et de la politique antijuive de Vichy. Il a consacré sa thèse au Commissariat général aux questions juives (Vichy dans la « solution finale ». Histoire du Commissariat général aux questions juives 1941-1944, Grasset, 2006.) et a publié d’autres ouvrages sur le même thème : Xavier Vallat, 1891-1972 : du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’État, Grasset, 2006 ; Darquier de Pellepoix et l’antisémitisme français, Berg international, 2002, et, plus récemment, L’antisémitisme de bureau (Grasset, 2011).

« Le choix de 13 « collabos » sujets de nos portraits est bien entendu subjectif, dans la mesure où la curiosité à leur égard est née du hasard de lectures, dans des ouvrages ou des cartons d’archives. La formule adoptée ici s’arrête à un ou deux principes fort simples (…) La première règle impliquait de cibler des seconds et des seconds couteaux, parfois méconnus quand ils ne sont pas parfaitement ignorés (…) mais qui ont joué, un moment ou à un autre, un rôle décisif, dans une campagne de propagande ou une organisation militante. La seconde précaution consistait à réfracter, du mieux possible, le spectre politique de la collaboration : du politicien venu de la gauche au militant fasciste de toujours, de l’apparatchik borné au membre d’honneur du parti, du discoureur professionnel au cagoulard milicien ou au gangster fourvoyé dans la « Gestapo française »… Bref, au risque d’un fouillis apparent, de souligner cette étonnante diversité de la collaboration. »

Les collaborateurs avant la collaboration

Paul Ferdonnet, surnommé « le traître de Stuttgart » incarne à lui seul, tout au long de la campagne 1939-1940, la « cinquième colonne » et le péril de l’espionnage. Il n’était selon l’auteur « qu’un imbécile obsédé par lui-même et par le désir de faire parler de lui ». Il fut d’abord un militant de l’Alliance démocratique, parti de Pierre-Étienne Flandin et de Paul Reynaud, puis il fut journaliste dans quelques officines d’extrême droite. Remarié avec une allemande, il offrit ses services à la propagande hitlérienne, dans les années 1930. Contrairement à la légende, il n’a jamais parlé sur les ondes Radio-Stuttgart. À la tête d’une équipe de trois speakers et d’une demi-douzaine d’assistants, il préparait les émissions et rédigeait les bulletins d’information en langue française de la station. Radio-Stuttgart se fit une spécialité d’émettre de fausses interviews de soldats français et parvint parfois à révéler la position des régiments français sur la ligne Maginot. Ferdonnet fut condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Paris au début de 1940. Arrêté par les troupes françaises d’occupation en 1945, il fut traduit devant la Cour de justice de la Seine, condamné à mort pour trahison et fusillé.

Robert Hersant a été l’éphémère chef du « Jeune front », un groupuscule fascisant et antisémite surgi dans le Paris occupé de l’été 1940. Quelques années plus tôt, sous le Front populaire, il militait dans une section de jeunes de la SFIO ; en 1956 il deviendra député sous la bannière de Mendès France ; dans les années 1970-1980 il sera le grand patron de la presse de droite : il a toujours été du côté du pouvoir.

Les adjoints des chefs politiques

« En voilà un qui ne manque pas d’air : Maurice Levillain, mécanicien garagiste de son état, conseiller municipal parisien durant l’entre-deux-guerres, numéro deux du Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat et partisans du « collaborationnisme avancé » sous l’Occupation. Combinard dénué de scrupules, l’homme à tout les toupets et les plus folles ambitions. » Escroc, dénonciateur, maître chanteur, il sera défendu par Maître Tixier-Vignancour, condamné aux travaux forcés à perpétuité, à l’indignité nationale à vie et à la confiscation totale de ses biens. Amnistié au début des années 1950, il demandera à bénéficier de l’allocation de secours du conseil municipal de Paris, avec rattrapage. La requête sera rejetée, et l’homme décédera en 1974, pauvre et oublié.

Entrepreneur fortuné, financier du PPF dans les années 1930, homme de confiance et ami intime de Jacques Doriot qui l’appelait son « frère », Jan Le Can « est l’un des personnages les plus énigmatiques du monde de la collaboration (…) Il joue un rôle fondamental dans les coulisses du PPF, contribue à l’édification du mur de l’Atlantique, renseigne l’Abwehr, brasse des millions, mène la grande vie. Demeuré fidèle à Doriot jusqu’au bout, il s’occupe de tout, de son bien-être puis de ses funérailles, de sa famille et de ses archives personnelles (il les fait détruire en 1945). »

Alors que Marcel Déat ou Jacques Doriot, ses principaux rivaux dans le monde du collaborationnisme, ont réussi à attirer à eux quelques intelligences et hommes actifs, Marcel Bucard n’a pas trouvé mieux que Paul Guiraud, pour le seconder à la direction du parti Franciste, chanter les louanges et théoriser la pensée du « Chef ».

Épouse d’un français fortuné, Antoinette Masse appartient à la bonne société. « C’est une belle femme, élégante et vigoureuse, excentrique (…) et passionnée par la politique. » Ses amitiés fascisantes l’amènent vers Eugène Deloncle, qui l’embauche comme secrétaire de son Mouvement social révolutionnaire (MSR). Elle acquiert une position importante au sein de ce parti collaborationniste et se lance parallèlement dans un lucratif trafic de devises. Elle tombe éperdument amoureuse d’un des principaux adjoints de Deloncle, un truand et un assassin. Quand la rivalité devient violente entre Eugène Deloncle et Marcel Déat, elle envisage de prendre le parti de ce dernier. Les sbires de Deloncle l’assassinent : elle est assommée, étranglée, ficelé dans deux sacs à charbon puis jetée dans la Seine. « L’affaire Masse a eu des répercussions profondes (…) Elle a révélé au grand jour la folie mégalomaniaque et meurtrière de l’équipe Deloncle, et laissé le champ libre au PPF de Jacques Doriot et au RNP de Marcel Déat. »

L’éditorialiste d’une émission populiste

Robert Peyronnet est en 1940 « presque un pauvre type, qui offre ses services aux autorités allemandes », lesquels déplorent alors (c’est sa chance) de ne pas disposer de « suffisamment de collaborateurs français à leur disposition pour mettre sur pied un programme varié sur Radio Paris ». De droite, admirateur inconditionnel du maréchal Pétain ancien combattant des deux guerres, il est l’homme idéal pour tenir un discours de « vérité » à ses concitoyens. Il anime l’émission « La Rose des vents » dont « le niveau intellectuel laisse à désirer » : les lettres des auditeurs sont lues à l’antenne puis Peyronnet prononce son éditorial. L’éditorialiste transmet consciencieusement la Gestapo, au Commissariat général aux questions juives ou à la Milice toutes les informations qu’il reçoit. En août 1944, il fuit en Allemagne ; en mai 1945 il se rend aux autorités françaises. Condamné à 20 ans de travaux forcés par la Cour de justice de la Seine, il sera amnistié et mourra en 1958.

Le secrétaire de l’institut d’études des questions juives

« Le dessinateur Gotlieb, lorsqu’il créa le personnage de Super-Dupont, avait sans doute en tête des individus du type d’Octave Bellet. Né en 1887, officier pendant la Grande guerre, décoré de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre (avec palmes), ce militant né est toujours là pour lutter contre l’anti-France, avec une inclination pour l’activisme antijuif. Sous l’Occupation, ravi de voir ses idées au pouvoir, il s’abonne à un nombre impressionnant de publications collaborationnistes et adhère à presque toutes les organisations du fascisme français. Cofondateur de l’Institut d’études des questions juives en 1941, il exerce ensuite des responsabilités au sein de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, avant de devenir un administrateur provisoire de biens juifs à Grenoble. Une carrière exemplaire. » Il est mort en 1974, dans sa 88e année.

Deux représentants de la collaboration armée

« Aristocrate, catholique ultra-traditionaliste, militant de l’Action française, cagoulard, administrateur de sociétés fortuné et ambitieux, ancien combattant de 1914-1918 et 1940 » Jacques Dugé de Bernonville est un ultra de la collaboration. En 1941, il dirige au Maroc les services du Commissariat général aux questions juives puis implante le Service d’ordre légionnaire (SOL), troupes de chocs à l’origine de la Milice. Dans l’hiver 1943-1944, avec l’appui des services de renseignement allemands, il crée une école d’instruction à Taverny qui reçoit 500 stagiaires et les verse ensuite dans la Waffen-SS. Nommé chef de corps des Francs-gardes de la Milice, il dirige les troupes qui anéantissent, aux côtés des Allemands, le maquis du plateau des Glières, puis « nettoie » la région de La Chapelle-en-Vercors, avant d’aller semer la terreur en Saône-et-Loire. En 1945, il fuit en Alsace, puis en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis, au Canada, et enfin au Brésil où il est assassiné en 1972, pour un motif crapuleux.

« Vedette du football français au tournant des années 1930, Alexandre Villeplane est un grand joueur. Mais c’est aussi un voyou, un vrai (…) Descendu au dernier degré de l’abjection sous l’uniforme SS, Villeplane ne poursuivra toujours qu’un seul but : l’argent, l’argent et encore l’argent, pour se pavaner dans les bars, entretenir ses conquêtes et, surtout, miser gros dans les courses de chevaux. » Il sera fusillé le 27 décembre 1944 avec sept autres condamnés à mort de la « Gestapo française » de la rue Lauriston, dont Pierre Bonny et Henri Chamberlin dit Lafont.

Des personnalités atypiques

Licenciée en droit et en philosophie, Juliette Goublet s’inscrit au barreau de Paris à 22 ans. Elle publie de nombreux ouvrages pour enfants et des manuels scolaires puis, dans les années 1930, elle collabore à différents périodiques. « De temps en temps (elle) part se purifier en pèlerinage, l’exaltation spirituelle alimente sa libido et elle multiplie les aventures. » Membre du tiers-ordre franciscain, avocate des pauvres, conférencière antifasciste, sympathisante communiste, elle participe à la défense des députés communistes en mars-avril 1940. En juin 1940 elle est membre de l’équipe qui lance La France au travail, journal qui stigmatise l’impérialisme anglais et défend le pacte germano-soviétique. En mars 1941 elle dénonce à la Gestapo une cousine du Général de Gaulle. En 1942, elle prend la tête de la section féminine des « Jeunes de l’Europe nouvelle », dépendant du Groupe Collaboration. Au printemps 1943, elle part travailler volontairement en Allemagne dans la métallurgie. Condamnée en mars 1945 à cinq ans de travaux forcés et à la dégradation nationale vie, elle est libérée en 1947 puis réhabilitée.

Normalien, agrégé d’histoire, docteur ès lettres, docteur en théologie, membre de l’institut de France, cardinal, Alfred Baudrillart est un réactionnaire antisémite, « prisonnier de ses obsessions anticommunistes et anticommunardes ». En accord avec l’archevêque de Paris, le cardinal Suhard, il publie, en juin 1940, un appel vibrant à la collaboration dans les colonnes de l’hebdomadaire La Gerbe, dirigé par son ami l’écrivain Alphonse Châteaubriant. À la fin de juillet 1941, il tente de convaincre l’assemblée annuelle des cardinaux et évêques français de lancer un appel en faveur de la « croisade antibolchevique » engagée par Hitler. Il n’y parvient pas, mais rédige une déclaration publiée dans les journaux de la collaboration, affirmant que la guerre contre l’URSS est celle du « monde civilisé chrétien », qui, « s’est élevé pour sauver et défendre notre société du péril du bolchevisme ». Il gêne l’épiscopat français par ses positions ultra mais il a le bon goût de rendre l’âme en mai 1942, à 83 ans. « Minoritaire dans l’Église par son engagement politique outrancier, desinhibé par l’âge (…), il n’en a pas moins été un porte-parole de l’élite conservatrice de son temps, terrifiée par le péril communiste et, partant, prête à tout miser sur Hitler et la collaboration. »

Issu d’une noble famille provençale, avocat, poète, nationaliste et antisémite, le marquis Xavier de Magallon est un militant royaliste proche de Charles Maurras. Il s’est retrouvé à l’âge de 76 ans, « à jouer les orateurs vedettes pour le compte de la Ligue française d’épuration, l’un des mouvements les plus radicaux -en paroles- de toute la collaboration ». Il fut l’un des piliers de l’agence Inter-France qui inondait la presse régionale d’articles de propagande, souvent d’origine nazie. Il était de toutes les manifestations mondaines de la collaboration où il prononçait souvent des discours très appréciés. Aucune charge ne fut finalement retenue contre lui par la justice de l’épuration.

Une manière vivante et intelligente d’appréhender les réalités du collaborationnisme, ses formes d’activités et les motivations de certains de ses acteurs (seulement des « seconds et des seconds couteaux » rappelons-le). On se prend souvent à regretter que la justice n’ait pas été plus dure et que les lois d’amnistie soient arrivées si vite…

© Joël Drogland