http://www.clionautes.org/spip.php?rubrique151 et bien entendu sur le site Armand Colin
Parmi les conférences qui seront particulièrement suivies, lors des rendez-vous de l’histoire de Blois il en est une qui devrait mobiliser l’attention des étudiants inscrits au concours d’enseignement. La question qui porte sur la géographie des conflits a en effet suscité de la part d’Armand Colin deux parutions importantes.
Philippe Boulanger: géographie militaire et géostratégique, enjeux et crises du monde contemporain
Armand Colin éditeur, collection U, septembre 2011,302 pages. 27.80 €
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Voici une présentation de cet ouvrage qui réunit sous la direction de Béatrice Giblin, qui a participé dès le début à l’aventure de la revue Hérodote, avec Yves Lacoste comme inspirateur principal. Lors du salon du livre de sciences humaines, à Paris, en février dernier, nous avions eu l’immense honneur de présenter Yves Lacoste,
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qui a été depuis le milieu des années 70, l’infatigable défenseur de l’approche géopolitique dans la géographie universitaire. Parce que, comme il l’écrivait dans cet ouvrage qui a fait énormément de bruit en 1976, « la géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, », il était somme toute logique, 35 années plus tard, que cette démarche novatrice dans l’université, mais comprise par les stratèges, depuis plusieurs millénaires, fasse son entrée dans les programmes des concours d’enseignement de l’histoire et de la géographie.
Cette entrée, qui fut un temps qualifié de fracassante, visait à remettre en cause le déterminisme géographique, qui a très longtemps caractérisé « l’école française ».
Dans cet ouvrage, les auteurs sacrifient à cette mode que les enseignants du secondaire reconnaissaient bien, celle des études de cas, avec deux exemples, rédigé cette fois-ci par Yves Lacoste lui-même, le conflit israélo-palestinien, et le conflit afghan. Mais avant cela, les différents auteurs traitent de différentes thématiques, et surtout de différents espaces. Dans la première partie, il est question de la ville, lieu de conflit avec des exemples de confrontation plus ou moins pacifique, en traitant aussi bien de Jérusalem, capitale frontière, que les scènes de guerre dans les favellas de Rio de Janeiro. Dans un autre exemple, avec des implications sans doute très fortes dans l’Afghanistan, le pays voisin, il est question des rivalités ethniques, des affrontements sectaires et des compétitions politiques à Karachi.
Le grand Paris, approche géopolitique
Évidemment, aux côtés de situation aussi dramatiques, la querelle à propos du Grand Paris, pourrait faire pâle figure. Mais Philippe Subra, , en évoquant les différentes péripéties, de cette confrontation entre la volonté présidentielle et la résistance des différentes collectivités territoriales, parvient à montrer que les rapports de force géopolitique ont fini par imposer aux différentes parties prenantes, un compromis. Il est possible de considérer qu’il existe une cohérence entre la volonté de réformer le fonctionnement des collectivités territoriales, avec la loi de décembre 2010, et le désir de faire revenir en force l’État, comme aménageur principal, dans l’espace le plus important de l’Hexagone. Ce sont les élections municipales de 2008, les élections cantonales de 2011, qui ont obligé l’État a passer de nouveaux compromis avec les collectivités territoriales. Les élus à la tête des différents exécutifs, dispose désormais d’une certaine opportunité pour relancer l’aménagement de leur territoire avec l’appui de l’État. Très clairement, grâce à une carte de synthèse, on comprend bien la cohérence du projet, avec une transversale reliant Orly à Roissy mais une transversale qui passe par Orsay et Versailles est une sorte d’anneau qui enserre le Paris des 20 arrondissements avec une large avancée vers l’est parisien. Le retour de l’État se manifeste surtout par le nouveau dispositif de gouvernance, car la société du Grand Paris, établissement public, est une structure totalement contrôlée par le pouvoir central. Si les collectivités territoriales, de la région, aux conseils généraux, en passant par la Ville de Paris, ont obtenu d’être représenté dans le conseil de surveillance, la majorité des membres de ce conseil sont des fonctionnaires, agents de l’État. L’ancienne banlieue rouge qui devient de plus en plus rose, et même parfois verte, sera tout de même la grande bénéficiaire des aménagements entre la défense et Roissy ainsi que du prolongement vers le nord de la ligne 14.
Évidemment, d’autres conflits apparaissent comme ayant des implications beaucoup plus dramatiques, lorsque Frédéric Encel traite de Jérusalem, il envisage cette ville sainte, pour les trois principaux monothéismes, comme une ville frontière, ce qui était le cas au sortir du premier conflit israélo-arabe entre 1948 et 1949. La constance politique des gouvernements israéliens successifs à faire de Jérusalem la capitale éternelle de l’État d’Israël, à reprendre le contrôle sur la partie orientale de la ville, après la guerre des six jours de 1967, a créé une situation véritablement inextricable. La guerre des six jours a été l’un des catalyseurs du développement du fondamentalisme islamique, et la reconquête de la mosquée Al Aqsa, un objectif fondamental. Depuis l’échec des accords d’Oslo, la reprise de la seconde intifada, les autorités israéliennes qui n’avaient jamais cessé de soutenir les implantations de juifs orthodoxes à Jérusalem est, ont entrepris la construction du mur, en faisant rentrer dans les fêtes l’annexion définitive des territoires conquis sur la Cisjordanie, et en aménageant à partir de 2006 une ligne de tramway, longue de 14 km qui impose une emprise de fait sur des territoires annexés.
De Karachi a Rio, villes en guerre
Mais les conflits ne se limitent pas à l’affrontement entre Israéliens et palestiniens, il existe un autre conflit urbain, celui qui oppose les laïques au religieux. Le contrôle du territoire pour imposer un respect total du shabbat résulte d’un rapport de force qui évolue jusqu’à présent en faveur des orthodoxes. Très clairement, l’auteur de cet article s’interroge sur le projet devenu impossible d’une capitale pour deux peuples. Très clairement, s’il n’y a pas d’avancée globale, comme cela peut être envisageable avec la demande d’adhésion de l’État palestinien aux Nations unies, depuis septembre 2011, le statu quo risque de durer encore très longtemps.
Toujours dans les conflits urbains, avec Hervé Théry, on s’intéressera à des scènes de guerre dans les favellas de Rio de Janeiro, scènes de guerres qui ont déjà favorisé la sortie de deux films à grand spectacle, Tropas de elite I et II. Ces deux films racontent les affrontements entre des troupes spécialisées de l’armée brésilienne et les unités armées des trafiquants de drogue, divisées en commando rouge et les amis des amis, qui domine les deux plus grandes favellas de Rio, celle du Sud, la Rocinha, et celle du Nord, le complexo do alemao. La reconquête par la force de ce territoire semble d’après l’auteur inachevé, même si les autorités brésiliennes, sans doute avant la coupe du monde de football que le pays organise, entendent bien briser les affaires du crime. Cela passe par le contrôle de territoires, et pas seulement par l’arrestation des barons de la drogue. Pour l’instant le second objectif a été atteint, mais le premier prendra beaucoup plus de temps.
Enfin, pour Karachi, qui est une mégapole de 18 millions d’habitants, la violence ethnique, sectaires et politiques se fait sur un fond d’accroissement de la population, largement liés au combat entre l’armée et les talibans pakistanais en 2010. Avec un taux de croissance démographique de 6 %, la ville pourrait compter 26 millions d’habitants en 2020. Dans cette ville difficilement contrôlable, homme d’affaires, politiciens et bandits se constituent des territoires, sur fond de guerre des gangs. De plus, les talibans pakistanais utilisent la capitale économique et financière du Pakistan pour ce qu’elle est : un lieu où il est facile de trouver de l’argent pour financer le djihad.
la fameuse Quetta Shura qui réunit des chefs de tribus marchandes à appartenant à l’ethnie pashtun, semble faire de Karachi une sorte de base arrière pour le financement des actions de talibans en Afghanistan, mais également un point de passage dans cette taxe commerciale en liaison avec Dubaï.
Sur fond de mondialisation, dont la vocation serait la construction d’un monde « sans frontières », avec l’existence d’un monde en réseaux transnationaux, jamais les créations de frontières, de murs et de barrières, n’ont été aussi nombreuses. En Afrique, comme en Amérique latine, les découpages territoriaux, qui n’était d’ailleurs pas forcément des frontières, du moins au départ, on finit par faire consensus, à quelques exceptions près. Par contre, d’autres frontières « coloniales », comme celle qui divise le Caucase entre le versant nord qui fait intégralement parti de la Russie, et le versant sud divisé en trois états souverains, depuis 1991, sont toujours des lieux de conflits, et à l’intérieur même de ces états souverains, en Arménie comme en Géorgie et en Azerbaïdjan, des enclaves héritées des divisions conduites à l’époque soviétique sont toujours des lieux spécifiques de confrontation. Mais comme ces confrontations se déroulent sur fond d’opposition entre la Russie qui cherche à reprendre le contrôle de son étranger proche et les occidentaux qui, bien qu’il s’en défendent, entendent revenir à une politique d’encerclement de la grande puissance continentale, les analyses géopolitiques reprennent encore une fois toute leur pertinence. Il s’agit très clairement d’exercer un contrôle sur des territoires en utilisant des aménagements, comme les réseaux de transport d’hydrocarbures, et en même temps la force armée pour les protéger. Encore une fois, on retrouve les thématiques qui composent la quatrième partie de cet ouvrage, la conquête des ressources. Dans cette partie, les différents auteurs traitent des différents litiges qu’il soit lié à l’accès à la ressource en eau, avec le projet du sud-est anatolien celui des espaces maritimes comme en mer de Chine, mais également des enjeux miniers de la guerre au Kivu, un territoire en guerre depuis presque 20 ans, à l’est de la république démocratique du Congo, et en même temps frontalier du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. Ce territoire riche en matières premières minérales, or, diamants, mais aussi cassitérite, étain, cuivre et même le tantale, qui entre dans la fabrication des condensateurs miniaturisés qui équipent les téléphones portables et les consoles informatiques. Ces conflits se déroulent sous forme d’affrontement de milice qui entendent contrôler des territoires ou des mines informelles, utilisant très largement des enfants en raison de leur petite taille, se retrouvent tout de même au final, très largement insérées dans le marché mondial de ces métaux rares.
Ces quelques exemples glanés à partir d’une lecture rapide de cet ouvrage de référence, permettent peut-être d’avoir une idée de la richesse de tous les exemples développés par l’équipe réunie autour de Béatrice Giblin.
Lors des rendez-vous de l’histoire de Blois, il sera donné un très large écho à cette présentation de très nombreux « points chauds » du monde, présentation qui prend en compte les derniers événements d’une actualité en constant renouvellement.
Au-delà de préoccupations qui sont celles de la préparation d’un concours, les professeurs d’histoire et de géographie pourront sans doute trouver dans cet ouvrage des exemples véritablement pertinents, de ces « études de cas » qui sont censées servir de fil conducteur à leur enseignement. En réalité, elles serviront plutôt à transmettre des clés de compréhension, à partir de savoirs fondamentaux, ce qui est, au-delà des modes pédagogiques, la raison d’être de l’enseignement de nos disciplines, l’histoire et la géographie, heureusement réunies dans la géopolitique.
Bruno Modica