Antoine Pecqueur est journaliste, spécialisé en politique et économie de la culture. Il travaille pour plusieurs médias écrits ou radiophoniques. En introduction, il retrace l’historique de la notion de « soft power » en rappelant l’importance des travaux de Jospeh Nye. Cependant, il ne faudrait pas oublier que la culture a toujours été un outil diplomatique si l’on songe par exemple à Louis XIV mais on peut citer d’autres exemples au XX ème siècle. Si la guerre armée est en recul, l’utilisation de la culture comme moyen de rayonnement se développe. Culture et « real politik » ne font plus qu’un. Les aspects à aborder sont nombreux, que ce soit le rôle de la France ou le poids des GAFAM. L’ouvrage qui a choisi une approche par continent fournit donc de l’information et propose des visualisations. Cependant, c’est parfois assez répétitif car il n’est pas toujours simple de rendre visuellement ce type d’information.
Europe : des exceptions culturelles
Sept des dix plus grandes maisons d’édition au monde sont européennes. Le tour d’horizon commence par la Scandinavie où la culture se trouve dans le giron des fondations. Pour le Royaume-Uni, on peut se demander si le Brexit est une bonne ou une mauvaise nouvelle et l’auteur avance des arguments pour les deux aspects. Antoine Pecqueur souligne que les régimes nationalistes d’Europe centrale accordent d’importants moyens aux arts, tout en menant une politique de censure. En Hongrie par exemple, le budget de la culture augmente régulièrement. On mesure aussi les tensions qui existent en Pologne autour des musées qui traitent de la Seconde Guerre mondiale. En Russie, l’art devient une partie intégrante de la stratégie militaire. Sous un angle plus optimiste, on peut citer l’initiative allemande de création d’un « orchestre de l’exil » avec des Syriens.
Afrique : la culture, entre offre et demande
L’auteur remarque tout d’abord que de plus en plus d’Africains formés à l’étranger reviennent dans leur pays. La Chinafrique est évoquée sous son aspect culturel, tout en rappelant que les premiers liens furent économiques avec la construction d’un chemin de fer dès 1976. On a assisté récemment à la construction d’un musée à Dakar avec l’aide de la Chine et ceci à quelques mois de la présidentielle au Sénégal. Il faut noter également que l’on voit de plus en plus les chanteurs investir le terrain politique, relançant à leur façon une forme de panafricanisme. Les artistes sont aussi devenus des cibles de la part de certains pouvoirs autoritaires. Au niveau du marché de l’art, deux tendances sont à relever : un mouvement de restitution des oeuvres de la part des anciennes métropoles et une créativité vigoureuse de l’art contemporain africain. Les intérêts économiques ne sont pas loin comme en témoigne la stratégie du groupe Bolloré qui veut créer le premier réseau de salles de cinéma et de spectacles en Afrique. L’auteur évoque aussi l’importance de la production cinématographique au Nigéria en rappelant que le pays est le deuxième producteur au monde de films derrière l’Inde. Pourtant, il n’existait qu’un cinéma dans le pays en 2014 contre 50 aujourd’hui.
Moyen Orient et Afrique du Nord : la culture, révolution et répression
En Egypte, l’électro chaabi était devenue la bande originale de la place Tahrir au moment de la révolte contre Moubarak. Plusieurs monarchies du Golfe s’appuient sur la culture pour augmenter leur influence et améliorer leur image internationale. C’est dans ce cadre également qu’il faut situer le phénomène des « starchitectes » car chaque capitale veut associer son nom à celui d’un architecte reconnu. La culture reste néanmoins sous surveillance comme le prouve le fait qu’un film comme « Le Caire confidential » n’ait pas été autorisé sur les écrans égyptiens. On peut citer aussi cet autre exemple : le ballet « Giselle » a été interrompu à Doha après le premier acte car les autorités jugeaient le spectacle subversif. On peut déplorer néanmoins que très souvent les pays du Golfe ne « s’intéressent à la culture que lors du projet et de l’ouverture mais se désintéressent ensuite du fonctionnement ». En Turquie, les arts participent du discours nationaliste. Le pouvoir a ainsi choisi de construire le centre culturel Ataturk à l’endroit même où se déroulaient les manifestations en 2013, comme pour effacer toute trace de cette période.
Asie : des guerres culturelles
Le chapitre commence par une approche culturelle des nouvelles routes de la Soie. En France, la Comète, scène nationale de Châlons-en Champagne, est un théâtre partenaire et cela sert indirectement à améliorer l’image de la Chine à l’extérieur. Moins connu sans doute, le conglomérat d’Etat « Poly » qui est présent dans de nombreux secteurs comme l’armement, l’immobilier, le spectacle vivant et le marché de l’art ! On lira également une approche du phénomène sud coréen de la K-pop. Le pays est devenu en quelques années le sixième marché au monde de musique. Les artistes de la K-pop sont parfois surnommés les « slave contracts » tant leurs conditions de vie sont organisées pour générer un maximum de profits en un minimum de temps. On apprend régulièrement que certains membres de ces groupes se suicident très jeunes. Il y a en tout cas un impact économique puisque 7 % des touristes qui viennent en Corée du Sud disent avoir choisi cette destination en raison de la K-pop. L’auteur évoque ensuite le cas de l’Inde et la façon dont le premier ministre Modi se sert du yoga comme d’un instrument géopolitique. Il se donne ainsi l’image d’un chef d’Etat pacifique, ce qui est loin d’être le cas.
Amériques : la culture face au clivage droite-gauche
Sur le continent américain, on peut relever cette idée troublante à savoir que ce sont les gouvernements les plus autoritaires qui ont le mieux compris le potentiel géopolitique de la culture. L’auteur revient sur le phénomène de la philantropie aux Etats Unis. « Les citoyens paient, du fait des déductions fiscales, l’expression publique des préférences des riches ». Il faut aussi savoir qu’aux Etats-Unis les dons ne concernent pas prioritairement la culture mais la religion. L’auteur aborde un point peut-être moins connu sur le cinéma aux Etats-Unis en montrant qu’il est au coeur d’une bataille entre républicains et démocrates. Chaque camp a ses propres films, ses propres stars. Le tour d’horizon se poursuit avec la politique actuelle du Canada de reconnaissance de la culture des peuples autochtones. Pour le Vénézuela, l’auteur explique le Sustea, ce programme qui a pour ambition de sortir de jeunes Vénézuéliens de la délinquance grâce à la musique. Le programme est devenu une véritable marque internationale puisqu’il en existe plus de 200 à travers le monde. On pourra lire aussi un article assez édifiant sur le Brésil et la culture à l’heure de Bolsonaro.
En conclusion, Antoine Pecqueur évoque le cas de l’Unesco avec le sous-titre « La culture, un marchandage géopolitique ». C’est en effet bien cette impression qui domine lorsqu’on sait, par exemple, que le journal « Le courrier de l’Unesco » renaît après cinq ans d’arrêt grâce au soutien financier de la Chine. L’organisation internationale apparaît également très liée à des régimes politiquement peu fréquentables. Elle est en plus en difficulté avec le retrait des Etats-Unis qui l’ampute de 20 % de son budget.
Cet atlas de la culture propose donc un tour d’horizon complet des rapports entre pouvoir et culture. Il privilégie une approche par continent ce qui est une option très claire et possible mais on aurait aussi pu imaginer des angles plus thématiques. Il pourra être très utile dans le cadre de l’enseignement de spécialité HGGSP.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes
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