Et le tout forme un récit. Mis à part que cette fois, le dessin n’est pas le résultat du travail de l’auteur lui-même (à quelques exceptions près). Comme l’illustration de la couverture le montre, Raphaël Meyssan a rassemblé, sélectionné, assemblé, et parfois décomposé et recomposé des dessins anciens pour former un récit cohérent. Ce procédé rappelle celui des architectes qui utilisent des pierres de remploi, qui ont servi à des édifices détruits, afin d’en bâtir un nouveau. Il y a également une façon de renaissance dans le travail de Raphaël Meyssan, puisque les images servent à tout autre chose que ce pour quoi elles ont été réalisées originellement. On salue d’ailleurs le travail de découpage qu’il a opéré (pp. 24, 50, 95, 118, entre autres), comme par exemple la figuration d’une pluie formée par les tranches fines du dessin d’un immeuble (p. 7). On est tenté de rapprocher ce procédé de l’utilisation d’images similaires dans le Monty Python’s Flying Circus, même si le but n’est pas tout le même…
On peut craindre une absence d’unité. L’auteur, en réalité, indique avoir trouvé une source au travers des six tomes de l’Histoire illustrée du Second Empire, de Taxile Delord, avec le même illustrateur.Maintenant qu’on a dit cela, on peut s’attendre à la réaction des élèves face à l’annonce d’un film en noir et blanc (et pire : quand il est muet) : c’est vieux, c’est poussiéreux, et ça va forcément être inintéressant. Et comme à chaque fois, le résultat est l’inverse, même si le procédé peut dérouter, et si les images présentent un caractère graphique dont on n’est plus guère familier. Ici, Raphaël Meyssan effectue une enquête, entreprise par hasard (si on en croit son ouvrage), sur un personnage qui a habité dans la même rue que lui et au même endroit: un Lavalette, qui a vécu au 6 rue Lesage, à Paris. L’un de ses voisins, en somme, à 150 ans près. Il ne s’agit absolument pas du tout d’une invention romanesque : Charles Hippollyte (ou Gilbert) Lavalette a réellement existé, à telle enseigne qu’il figure dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, tome XIII. S’il a participé activement à la Commune de Paris, son histoire est difficile à reconstituer. Raphaël Meyssan a imaginé (quoi que rien ne soit moins certain) une Victorine B., dont il a fait l’épouse de Lavalette. Et c’est par elle, notamment, que l’on part à la rencontre de l’époque et de ce qui est désigné comme son compagnon.
Les Damnés de la Commune ont leur place dans les CDI. Ils vont permettre aux plus jeunes d’entrer dans un XIXe siècle qui est trop loin d’eux, d’autant que les programmes ne permettent guère de l’aborder. Mais on peut aussi le considérer comme un outil pédagogique intéressant : la reprise d’anciennes illustrations, pourvu qu’elles proviennent de sources assez cohérentes d’un point de vue graphique et avec précautions, peut être un procédé pédagogique intéressant pour constituer un récit : celui de personnages fictifs ou réels, celui d’une ville à un moment historique donné, etc. La reconstitution d’une époque est permise par le même moyen, ce qui oblige à consulter des sources historiographiques.
Le deuxième volume est attendu avec impatience. Mais il a fallu six années à Raphaël Meyssan pour parvenir au terme de celui-ci.
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Frédéric Stévenot