En croisant enquête historique et contemporaine, « La fabrique des Français » raconte un pays pluriel et illustre une histoire de France plutôt que son immigration. Cet ouvrage est une fiction documentaire inspirée des recherches de Françoise Davisse et Carl Aderhold. Ces derniers ont précédemment réalisé le documentaire « Histoire d’une nation » diffusé sur France 2. Le dessin de Sébastien Vassant est très agréable à suivre et fait preuve de variété sans perdre le lecteur. Rappelons qu’il est l’auteur de nombreuses bandes dessinées dont « Histoire dessinée de la guerre d’Algérie » avec Benjamin Stora.
L’esprit de la bande dessinée
Après le documentaire, la bande dessinée offre un nouvel imaginaire. Elle traite à la fois des grands évènements à connaître, mais c’est surtout un récit aux voix multiples qui fait la part belle aux histoires. L’auteur ne peut que constater le caractère répétitif de certaines lois, la récurrence des discours de haine ainsi que le rôle des immigrés tout au long de la période. Le quart de la population française trouve ses origines à l’extérieur du territoire.
Qu’est-ce qu’une nation ?
Sébastien Vassant montre d’abord que le mot de nation a pris son sens officiel à la Révolution française. La France est au XIXème siècle une ribambelle de patois, de croyances. L’auteur choisit donc 1870 comme point de départ, c’est-à-dire après la défaite française. La III ème République décide de « faire des Français ». Pour cela, elle s’appuie sur des symboles comme la fête nationale ou sur des moments comme le service militaire.
La situation de 1870 à la fin du XIXe siècle
La démographie française est atone et les étrangers qui arrivent alors sont souvent des voisins comme des Belges. Des Italiens s’installent également en France et travaillent, par exemple, à l’édification de la Tour Eiffel. Mais lorsque l’un d’eux se tue quelques jours avant l’inauguration, tout est fait pour cacher cette chute. En 1893, ils subissent une attaque à Aigues-Mortes. On mesure dès cette époque la diversité des situations avec aussi le cas spécifique de l’Algérie et de ses populations.
Les lois sur l’immigration
La bande dessinée est rythmée par la mise en évidence de plusieurs lois. Il y a d’abord celle de 1889 qui instaure le droit du sol : tous les enfants nés en France deviennent automatiquement français à leur majorité sauf s’ils y renoncent un an avant. En 1927, une nouvelle loi assouplit les conditions de naturalisation. Le régime de Vichy met en place également une législation pour démanteler ce qui venait d’être fait. En 1972, le racisme est pour la première fois pointé du doigt dans une loi. Le regroupement familial est instauré et il devient le visage de l’immigration. En 1993, la loi Pasqua remet en question le droit du sol, rompant ainsi avec plus de 150 ans de modèle républicain.
Portraits de connus et d’inconnus
On énumérera pas tous les intervenants, mais l’auteur fait le choix très intéressant de mêler personnages connus et anonymes. Dans la première catégorie, on trouve Mouloudji, avec un père venu d’Algérie et une mère bretonne. On peut citer aussi Marie Curie, Léon Zitrone, Yves Montand, Emanuel Ungaro, Yori Djorkaeff ou Amel Bent. Son témoignage est particulièrement fort. Le petit frère de son père a été victime d’une bavure policière dans les années 80. Son père insista toujours pour lui dire que « c’est pas les policiers qui ont tué mon frère, c’est un homme qui portait l’uniforme de policier ». La bande dessinée donne aussi la parole à Anne-Marie, dont le grand-père est venu de Chine après la Première Guerre mondiale, à Marie-Claude dont les parents vinrent eux de Pologne ou à Lorette venue, elle, d’Italie.
De 1914 à 1939
La carte d’identité, qui est aujourd’hui la preuve de la nationalité française, a été inventée en pleine guerre pour mieux contrôler les étrangers. Elle oblige à rester là où on a été embauché. Après guerre, des Polonais arrivent. Des Italiens venus d’Emilie-Romagne, une région à l’agriculture avancée, apportent avec eux de nouvelles techniques agricoles efficaces. Paris devient une ville de plus en plus cosmopolite. La crise et le chômage atteignent la France dans les années 30 : l’extrême-droite se développe et 500 000 étrangers quittent le territoire. La bande dessinée livre aussi de savoureuses anecdotes comme celle du bébé cadum. Ce bébé qui incarna la France s’appelait Maurice Obréjan, était juif de père était roumain et de mère polonaise.
De la Libération à la fin des Trente Glorieuses
L’ouvrage rappelle l’importance des troupes étrangères comme lors de la bataille du Monte Cassino. Il faut aussi se souvenir de l’’importance de Brazzaville comme foyer de résistance. Après le conflit, le besoin de main-d’œuvre se fait pressant dans un contexte marqué par la décolonisation. L’Algérie, comme précédemment, continue d’être un cas à part. Alors que les Algériens sont 210 000 en France en 1954, le chiffre atteint 710 000 en 1974. D’autres nationalités gagnent le territoire comme les Portugais qui fuient la dictature de Salazar. Luis Rego fait partie de cette diaspora qui pratiqua ce qu’on appelait le salto pour venir en France. Les conditions de vie sont marquées pour beaucoup par les bidonvilles. C’est le temps de l’intégration qui doit se faire par l’école et qui touche les enfants de ceux qui sont arrivés. Les années après 1968 rendent les travailleurs étrangers plus visibles comme en témoignent certaines luttes des années 70.
La crise des années 70
La crise économique fragilise d’abord la situation des étrangers. Des circulaires sont édictées pour contrôler et réglementer la situation des étrangers. Pendant l’année 1973, 52 Algériens sont assassinés et plusieurs tabassages se déroulent sur le territoire. Avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, de nouvelles mesures sont mises en place avec la régularisation ou encore une loi qui renforce la lutte contre le travail clandestin et instaure des sanctions contre les employeurs. D’autres nationalités continuent d’arriver en France. Généralement cela s’explique par la situation dans le pays de départ comme pour le Chili ou le Cambodge.
Immigration et politique
Le front national est créé en 1974. L’immigration devient le « symbole du laxisme de la gauche face aux clandestins ». L’époque est marquée par des signaux contradictoires entre la victoire municipale du FN à Dreux et la marche des potes qui rassemble 100 000 personnes à Paris. Alors que la musique et la culture continuent de s’enrichir par des apports étrangers, c’est aussi le moment Pasqua. La bande dessinée parle ensuite de l’église Saint-Bernard en 1996, du moment de consensus lié au Mondial de football 1998. La présence de l’extrême-droite au second tour de la présidentielle de 2002 montre que ce moment n’était que fugace. Le livre évoque aussi des faits plus contemporains comme les propos de Nicolas Sarkozy ou ceux de Manuel Valls.
Et maintenant ?
Pour finir, on a envie de citer des extraits du texte de la dernière page : « immigration et république, une histoire mêlée depuis 150 ans qui a conduit à la mise en place d’un modèle républicain, celui de l’intégration…. Si l’école reste le terreau de cette union, il est temps que tous regardent la nation comme elle est aujourd’hui : un pays d’immigration. Plus de 20 millions d’entre nous portent cette histoire en eux. Notre histoire. »
C’est une bande dessinée à fortement conseiller, précise et argumentée.