On ne saurait aborder ce livre sans songer au décès récent de Jean Bottéro (décembre 2007), au chemin parcouru depuis Samuel Kramer L’histoire commence à Sumer, 1957, rééd. Flammarion, 1993, 316 p. et aux réactions suscitées par la médiatisation des recherches d’Israël Finkelstein.
Un ouvrage de synthèse
Dirigé par quatre chercheurs français, ce travail réunit les contributions de 38 universitaires. Contrairement à d’autres entreprises, celle-ci ne consiste pas en une juxtaposition de contributions diverses réunies en un livre. Le résultat est donc un travail très synthétique organisé minutieusement, dans lequel plusieurs auteurs ont reçu une tâche précise alors que d’autres semblent avoir travaillé en réunion. La liste des auteurs et des contributions particulières est fournie en annexe et reproduite à la fin de ce compte-rendu. En poste en France et en Belgique, ils sont historiens et archéologues, docteurs ou doctorants, agrégés ou certifiés. Leurs situations professionnelles sont hétérogènes: CNRS, EPHE, Université et collègues du secondaire comme Lucile Barberon.
Cet élégant petit ouvrage, à mi-chemin entre le beau livre et l’ouvrage de poche est, de surcroît, abondamment illustré. Ses pages intègrent près de 80 illustrations dont beaucoup sont en couleur. Outre cette riche iconographie, la pédagogie bénéficie également de la générosité de l’éditeur en matière de textes, dont certains peuvent servir de base à une séquence pédagogique, même s’il est dommage que le sujet ne puisse guère être abordé qu’en début de sixième. A ces textes, s’ajoutent des tableaux chronologiques rappelant aussi bien les grandes phases politiques que les âges archéologiques, des entrées d’index et des cartes au graphisme clair et homogène. Rien n’empêche d’ailleurs, quand il s’agit d’aborder la géographie des dynamiques urbaines en seconde, d’inclure comme simple illustration, une carte des villes mésopotamiennes dans un diaporama pour vidéo-projecteur. On illustrera ainsi le propos sur les premières villes.
La bibliographie est ordonnée et fournit des références en langue française et anglaise, plus rarement en allemand. On y présente d’abord les ouvrages généraux au nombre desquels figurent évidemment les noms de Kramer, Bottéro et, plus près de nous, Finkelstein. Viennent ensuite des ouvrages regroupées par thèmes : « art et archéologie », « sources historiques » elles-mêmes divisées entre sources sur la vie quotidienne, sources épigraphiques, textes littéraires, etc. Une liste des ouvrages par partie achève cette bibliographie.
Un plan pédagogique, simple et efficace
L’ouvrage est divisé en quatre parties selon un plan qui traduit l’ambition de rendre accessible tous les champs de la connaissance historique d’un Proche-Orient intégrant ce qu’il est convenu, en France, d’appeler le Levant. Il comprend l’Anatolie des Hittites ou la ville d’Ougarit, détruite à la fin de l’âge de bronze par l’invasion des « Peuples de la mer ». Contrairement au récent ouvrage de Francis Joannes, ce livre n’aborde pas l’Egypte.
La première partie est consacrée au passage du village à la ville. On y aborde la question de l’agriculture irriguée, si importante pour la sédentarisation et l’histoire de l’apparition de l’Etat. Vient ensuite le problème des innovations techniques et des échanges. Le thème de la naissance des villes permet de développer quelques exemples particuliers dont celui de Babylone, qui longtemps après son déclin politique, impressionnait encore Alexandre le grand.
L’Etat fait l’objet d’une seconde partie où se succèdent la cité-Etat, la royauté, l’empire et la vision sur le monde extérieur. La partie suivante est centrée sur la société, vue sous l’angle de la famille, du rôle de l’écriture, de la justice. Un chapitre sur l’organisation sociale permet de saisir la complexité et la prudence avec laquelle on doit manier, pour le Proche-Orient ancien, la distinction entre les libres et esclaves. La famille se reconnaît déjà dans un ancêtre commun éponyme. Le culte des morts, qui sont inhumés, atteste de la croyance en un au-delà. On est loin de l’impression que pouvait donner la lecture de quelques poèmes d’amour réservés à l’élite. Bien avant les épitres de Paul et les prescriptions coraniques, les Assyriennes mariées et jeunes filles de bonne famille de la fin du IIe millénaire portent le voile, lequel reste interdit aux esclaves et célibataires. La stérilité ne saurait être que d’origine féminine, comme le montre le mythe d’Atrahasis. La femme convaincue d’adultère est sévèrement punie tandis que l’homme peut fréquenter les prostituées. L’auteur de coups ayant entraîné une fausse couche est sanctionné en fonction du rang de la victime. Si celle-ci a elle même provoqué son avortement, elle subira l’horreur du supplice sans avoir droit à aucune sépulture, ce qui n’est même pas concevable pour les soldats morts au combat. Notons également que les enfants des esclaves peuvent être vendus sans leur mère.
Des pages consacrées à la mode nous apprennent que les femmes utilisaient déjà le khôl pour le pourtour des yeux. Les costumes masculins et féminins sont également décrits mais on aurait aimé en savoir plus sur le statut et la définition même de la nudité, qu’on voit apparaître dans quelques sources iconographiques illustrant l’ouvrage. Des pages sont également consacrées à l’alimentation. On y relève l’usage de la bière, toujours préparée par les femmes et qui peut être servie au cabaret, du vin, réservé aux riches, du lait, de l’huile, d’épices et de fruits, le tout consommé au cours d’un des deux repas quotidiens.
Dans un quatrième volet, les auteurs ont choisi de nous présenter la vision du monde commune à ces sociétés du Proche-orient. On y découvrira le regard mésopotamien sur les sciences et techniques, les œuvres littéraires ou artistiques et les multiples dieux des panthéons locaux. Il est remarquable que ce nous connaissons de la littérature de ce monde ancien nous soit souvent parvenu par les exercices copiés par des générations d’écoliers sumériens. Leurs devoirs pouvaient aussi simplement consister en un récit du quotidien comme en témoigne ce fameux texte d’un enfant racontant sa journée de classe.
Bien avant tous les autres : le Proche-Orient
Henri Irénée-MarrouxDe la connaissance historique, Le Seuil, 1954, p. 51, soulignait autrefois que l’histoire était une interrogation au présent sur le passé. Sans doute essayons-nous toujours d’atteindre les mystères de l’être humain à travers tous les questionnements historiques. On peut cependant avoir la faiblesse de continuer à croire que cela n’a jamais été aussi vrai qu’avec les hommes des premières civilisations qui affrontèrent la vie fragile et simple, et parfois son horreur, des milliers d’années avant nous. D’où, sans doute, la fascination que l’on peut éprouver pour la banalité du quotidien du troisième ou du second millénaire avant notre ère. Bien avant les Grecs, les Mésopotamiens connaissaient les propriétés mathématiques redécouvertes plus tard par Thalès et Pythagore. Avant les Arabes, ils utilisaient un système de notation positionnelle en base soixante mais sans le zéro. C’est parce qu’ils appliquaient leurs mathématiques à l’astronomie qu’ils crurent judicieux de lire dans les astres le destin des humains et des dieux. Cette dimension astrologique que nous regardons aujourd’hui et chez nous comme une marque de charlatanisme leur a permis de déterminer une partie des constellations que nous connaissons. Certaines de celles qu’ils ont observées n’appartiennent pas à notre regard sur le ciel. C’est le cas de la « Charrue » (sic) Sans doute par volonté de simplification lexicale pour ce qui ne pouvait être qu’un araire. Les traductions françaises d’auteurs grecs évoquent volontiers la charrue plutôt que l’araire. Les traductions anglaises utilisent « plough » plutôt que « swing-plough » et j’ai préféré, pour tout cours en anglais sur l’Antiquité, reprendre le terme grec « aratron », qui évite le côté rétroactif et artificiel de « swing-plough ». A la vérité, c’est la langue française qui opère une distinction et sanctionne l’erreur. Les Anglo-Saxons s’en moquent., constellation qui reprend deux étoiles de notre Triangle et une troisième appartenant à la galaxie d’Andromède.
Bien avant que Crésus de Lydie crée la monnaie, les Mésopotamiens ne se limitaient pas au troc et utilisaient un système fondé sur l’argent ou l’orge. Le « code » de Hammourabi prévoit par ailleurs une sanction contre les cabaretières tentées de jouer sur la différence d’évaluation des bières en orge et en argent. Tous ceux qui ont fait un peu d’histoire économique en premier cycle universitaire se rappelleront les problèmes posés au XIXe siècle, aux Etats Unis et en Europe, par le bimétallisme qui permettait justement de profiter, à la faveur de la conjoncture minière, de la dépréciation d’un métal précieux par rapport à l’autre. Les cabaretières mésopotamiennes avaient compris cela bien avant les Américains des années 1870.
Cette existence d’une forme de précédent à ce que nous connaissons est valable pour l’histoire elle-même. Voulant présenter tout un règne royal dans un seul ouvrage, les Mésopotamiens ne songeaient certes pas encore à l’enquête définie plus tard par Hérodote. Admettons tout de même qu’ils étaient sur la voie de l’écriture historique.
Un ouvrage utile à plusieurs égards
Les collègues soucieux de refaire un point avant d’aborder en sixième le thème de la proto-histoire trouverons ici une mise au point à la fois riche et accessible sur les débuts de l’agriculture et de l’élevage. On note au passage que le porc n’a pas toujours été tabou au Proche-Orient, ce qui doit être relié aux observations de Finkelstein sur la singularité qui commence, au premier millénaire, à distinguer les premiers Hébreux de leurs voisins : l’absence de restes de porc dans l’ensemble des fouilles. Un autre élément est rappelé qui est fondamental pour les croyances judéo-chrétiennes : l’importance en Mésopotamie des mythes comme celui de la création de l’homme à partir de la poussière du sol. Le livre évoque également la double origine du récit biblique du déluge qu’on retrouve dans le mythe d’Atrahasis ou Récit du vieux sage, plus tard intégré à l’Epopée de Gilgamesh.
Sans doute l’ouvrage manque-t-il parfois d’originalité en proposant plusieurs textes déjà publiés par Kramer. C’est le cas notamment du récit d’écolier sumérien, de Gilgamesh ou du « Code » de Hammourabi. Il reste que la pertinence et la facilité d’accès ne commandent pas de chercher à tout prix à publier des choses inédites. Ce livre évite donc les écueils rencontrés par beaucoup d’ouvrages généraux, notamment la tendance à ne plus rappeler des faits que l’auteur croit connus de tous et auxquels il se contente de faire allusion. Sans être dans le secret des dieux, peut être pourrait-on utilement s’interroger sur la capacité de ce livre à faire découvrir le Proche-Orient ancien à un candidat aux concours ayant tiré un sujet d’oral intitulé « Assurbanipal », «La Perse de Cambyse » ou « Leçon de sixième sur les débuts de l’histoire ».
Sans doute pourra-t-on regretter la difficulté qu’il y a à retrouver une information précise dans l’espace et dans le temps au milieu d’une synthèse couvrant plusieurs millénaires. Micheline Zanatta semblait adresser le même reproche au récent ouvrage de Francis Joannes. Dans ce cas, le lecteur se reportera à des travaux plus spécialisés, comme on se doit de le faire après la consultation d’un ouvrage de base. S’il faut expliquer ce qui différencie ce livre de celui qui a été publié en 2006, on pourra souligner que Les débuts de l’histoire n’a pas la configuration d’un ouvrage de base pour étudiants mais plutôt celle d’une édition plus élégante et moins axée sur un usage utilitaire immédiat.
Liste exhaustive des auteurs : Philippe Abrahami, Luc Bachelot, Lucile Barberon, Laura Battini, Anne-Claude Beaugeard, Raya Ben Guiza, ME Marie-Françoise Besnier, Pierre Bordreuil, Catherine Breniquet, Françoise Briquel-Chatonnet, Yves Calvet, Michèle Casanova, Annie Caubet, Philippe Clancier, Sophie Démare-Lafont, Hedi Dridi, Xavier Faivre, Jean-Jacques Glassner, Laetitia Graslin-Thomë, Éric Gubel, Jean-Louis Huot, Brigitte Lion, Jean Margueron, Maria-Grazia Masetti-Rouault, Valérie Matoïan, Cécile Michel, Béatrice Muller, Christine Proust, James Ritter, Carole Roche, Olivier Rouault, Hedwige Rouillard-Bonraisin, Martin Sauvage, Arnaud Sérandour, Agnès Spycket, Aline Tenu, Emmanuelle Vila, Pierre Villard.
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