Comme le disait Aragon dans son poème Fou d’Elsa, « L’avenir de l’homme est la femme ». Cette maxime quelque peu modifiée a ensuite été popularisée par Jean Ferrat dans l’une de ses chansons. Cependant, si les femmes sont l’avenir des hommes, on ne peut que constater qu’à l’heure actuelle, elles sont surtout leurs victimes, tant les inégalités sont importantes. Les violences commises envers les femmes sont aujourd’hui davantage médiatisées, surtout depuis l’affaire Weinstein et la naissance du mouvement #MeToo. L’égalité homme/femme est par ailleurs proclamée « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron le 25 novembre 2017 lors d’un discours prononcé à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes. Si l’égalité homme/femme et les violences faites aux femmes sont devenues des préoccupations de notre époque, on peut se demander « quelle a été la place des femmes dans les sociétés humaines et préhumaines ? Quelle a été leur place dans l’évolution ? » Ce sont les questions que se pose Pascal Picq, paléoanthropologue, maître de conférences au Collège de France, dans son dernier ouvrage, Et l’évolution créa la femme, paru aux éditions Odile Jacob en octobre 2020.
La femme : grande oubliée de la recherche
Pascal Picq fait le constat que les femmes ont souvent été les grandes oubliées des travaux sur l’évolution de l’Homme, car les disciplines de la préhistoire et la paléoanthropologie n’ont pas échappé à la domination masculine. En effet, on ignore tout de l’évolution des femmes, car cette évolution est avant tout celle de l’homme. L’auteur se demande alors « à quand remontent les formes de l’idéologie et de l’oppression masculine : à la préhistoire, aux premières civilisations, à la modernité ? » Il s’interroge également sur les transformations qui ont marqué l’histoire humaine : ont-elles « amélioré ou aggravé la condition féminine ? » Pour P. Picq, Homo sapiens se différencie de toutes les autres espèces de mammifères, y compris les grands singes les plus proches, comme étant l’espèce la plus violente envers ses femelles : les femmes. Par conséquent, l’auteur tente « une approche phylogénétique de l’évolution de la coercition sexuelle envers les femelles et les femmes depuis les origines jusqu’au commencement de l’histoire ».
Aux origines des violences faites aux femmes
Au sein de cet ouvrage, P. Picq se donne pour objectif de « restituer dans une trame évolutionniste ce que l’on sait de l’évolution du sexe, du genre et du rôle des femmes dans la lignée humaine ». Il tente de comprendre les origines des violences faites aux femmes, tant domestiques, publiques, physiques que symboliques. Il veut également déterminer les logiques biologiques et culturelles des violences. Pour répondre à cet ensemble de questions, l’auteur fait appel aux disciplines de l’éthologie et de la paléoanthropologie. Pour ce travail sur l’évolution des femmes, il reprend également les thèses déjà développées dans ses précédents ouvrages sur la coévolution influencée par les facteurs biologiques, environnementaux et culturels.
P. Picq a divisé son essai en cinq chapitres organisés en deux parties distinctes, laissant une place plus grande à l’éthologie dans la première et à la paléoanthropologie dans la seconde. En effet, dans la première moitié de l’ouvrage comprenant trois chapitres, l’auteur réalise un état des connaissances sur les conditions des femelles et de leurs rapports aux mâles ainsi que sur les formes de coercitions qu’elles subissent. Cette analyse est réalisée en partant de l’observation des mammifères, principalement des singes et des grands singes dont l’homme fait partie. Dans la seconde partie, formée de deux chapitres, l’auteur s’intéresse davantage à l’évolution des systèmes sociaux et aux formes de coercition imposées par les hommes.
Le premier chapitre intitulé « Deux sexes pour le meilleur et pour le pire » résume la signification évolutionniste du sexe et de la sexualité. En effet, la majorité des espèces est divisée en deux sexes, mâle et femelle avec pour conséquence dans le monde des animaux une « guerre des sexes ». La domination des mâles envers les femelles n’est pas la règle chez les animaux. Cependant elle est beaucoup plus répandue chez les mammifères sans que cela n’implique systématiquement une coercition sexuelle des mâles. Dans le second chapitre « la condition des femelles », l’auteur s’intéresse aux primates et aux singes en particulier alors que dans le troisième chapitre « femelles et femmes », il réalise une comparaison entre les gibbons, les grands singes et les hommes. Ces trois premiers chapitres permettent à l’auteur de dresser un diagnostic assez cinglant : les formes de la coercition des hommes envers les femmes sont diverses et particulièrement violentes.
Dans le quatrième chapitre « Lucy et les femmes », P. Picq propose de reconstituer l’évolution de la lignée humaine depuis les australopithèques jusqu’aux premiers hommes. Malgré les changements considérables de systèmes sociaux entre les femelles australopithèques et les premières femmes, il est impossible pour les paléoanthropologues de savoir si elles subissent différentes formes de coercition de la part des mâles. Une partie de ce chapitre est consacré aux transformations morphologique, physiologique et cognitive subies par les premières femmes. L’auteur rappelle que les femmes accouchent dans la douleur pour des raisons biologiques. À ces transformations s’ajoutent la coercition masculine puis tout un arsenal idéologique de la domination masculine. Enfin, le cinquième chapitre intitulé « la discrimination des femmes : entre nature et culture » permet d’étudier le statut des femmes à la fois chez les derniers peuples dits traditionnels dont l’économie repose sur la chasse, la pêche et la collecte, mais également dans les sociétés horticoles, agricoles et d’éleveurs.
Pour conclure, l’ouvrage de Pascal Picq se révèle fort instructif. Il permet de mieux appréhender les origines des violences sexuelles et domestiques faites aux femmes et du contrôle de leur corps par une société dominée par les hommes. L’auteur dresse un tableau bien sombre de notre espèce puisque les hommes apparaissent comme étant les meilleurs ennemis des femmes.
Il rappelle cependant que tous les hommes ne sont pas violents quelque soit leur système social. En réalisant cette étude en partant de l’observation des grands singes, P. Picq montre qu’il n’y a pas de fatalité dans la coercition sexuelle. En effet, il ne constate pas de domination ni de violence chez les bonobos contrairement aux chimpanzés, car la place de la femelle est très différente d’une espèce à l’autre. L’auteur n’est pas en mesure de déterminer si notre dernier ancêtre commun avait un comportement plus proche de nos cousins chimpanzés ou bonobos, mais il fait le constat que les féminicides n’existent chez aucune autre espèce qu’Homo sapiens.
Le vocabulaire employé dans l’ouvrage est parfois complexe car les mots utilisés sont précis et relevant de la sémantique scientifique. Toutefois, grâce au glossaire présent à la fin de l’ouvrage, mais surtout parce que P. Picq est toujours très pédagogue dans son écriture, permettant une bonne compréhension de ses réflexions, cette lecture s’avère abordable y compris à celles et ceux ayant peu de connaissances en paléoanthropologie et phylogénétique.