Dans la mythologie soviétique relative à la Grande Guerre Patriotique, les partisans occupent une place à part. Ils sont également très présents dans les souvenirs des soldats de l’Axe ayant combattu sur le front est. Mais au-delà de la représentation, quelle fût la réalité du mouvement partisan ?
C’est une étude passionnante sur ce sujet que nous livre Masha Cerovic. En croisant les sources et archives de l’Ex-URSS (ici surtout biélorusses) et de la Wehrmacht, elle procède à une étude globale du mouvement partisan et à travers celle-ci on a également une vision de la férocité prise par les affrontements sur le territoire soviétique.
Aux origines du mouvement
Le mouvement partisan ne se développe pas avec la même intensité dans l’ensemble des régions occupées par l’Axe. Différents facteurs vont entrer en jeu, et parmi ceux-ci les conditions naturelles vont jouer un rôle déterminant. Les forêts et marais de Biélorussie ou du nord de l’Ukraine vont ainsi devenir de véritables repaires de partisans dans lesquels vont se cacher des dizaines de milliers de combattants, hommes et femmes. Alors que dans les plaines et steppes du sud l’activité partisane reste limitée ou est facilement écrasée par l’ennemi. Mais l’immensité du territoire empêche un maillage dense par les forces d’occupation. Celles-ci privilégient les espaces urbains et les grands axes de communication abandonnant largement le reste aux partisans. Ceux-ci jouent d’ailleurs avec la diversité des structures militaires d’occupation, ils s’implantent souvent en limites de plusieurs circonscriptions administratives allemandes ( Berück, Reichskommissariat …) car cela gène la coordination de ceux qui luttent contre eux. Le cœur du mouvement partisan va ainsi concerner l’arc de cercle allant de la forêt de Brjansk à Minsk via Smolensk et Vitebsk
Malgré tout les débuts sont difficiles. Les percées des divisions blindées allemandes de 1941 permettent de vastes encerclements qui livrent des centaines de milliers de prisonniers. Mais le décalage entre troupes motorisées et infanterie traditionnelle permet aussi à des dizaines de milliers de soldats soviétiques de leur échapper. Si certains vont se démobiliser d’eux-mêmes pensant la guerre perdue, d’autres vont au contraire former le noyau de groupes partisans. Viennent s’y ajouter des groupes de juifs qui ont survécu à l’extermination. Mais aussi des habitants qui, dans un contexte de guerre totale et d’occupation très dure, doivent, s’ils veulent survivre, choisir entre collaborer ou résister. Parmi eux les femmes sont à la fois des combattantes et des « épouses » qui doivent accepter la domination masculine. Si l’on compte des membres du parti, ce qui ressort cependant c’est l’échec des tentatives du parti communiste d’organiser en amont le mouvement.
Une organisation éclatée
Le mouvement partisan se structure peu à peu en « brigades » dirigées par des chefs autoproclamés. Moscou essaie cependant de mettre en place un état-major central du mouvement partisan. Mais les diverse structures du pouvoir (Armée rouge, NKVD, PC..) se disputent la responsabilité du mouvement. Des contacts sont établis par voie aérienne ou à travers les « portes » qui peuvent exister en certains endroits du front. Ainsi du matériel, mais aussi des hommes peuvent circuler, qu’il s’agisse de cadres de renforts ou des blessés que l’on évacue. Peu à peu se dessine une tentative de repise en main du mouvement partisan afin de coordonner les actions, notamment contre les voies ferrées. Là aussi la planification est de rigueur, et là aussi on assiste parfois à des excès pour remplir les chiffres, on fait sauter des voies inutiles…
Les partisans se revendiquent cependant communistes mais de leur communisme à eux qui prend souvent des libertés avec la doctrine prônée par les envoyés de Moscou. Ils n’en reproduisent pas moins souvent l’organisation avec des comités, commissaires etc.. ; ils mêlent les souvenirs de la guerre civile et des tensions des années 30.
Partisans en guerre
L’essentiel de l’ouvrage nous plonge au cœur de la réalité du mouvement partisan, souvent bien loin de la propagande soviétique. L’unité de base est la brigade, de taille et de composition variable, celles-ci représentent le cadre de vie du partisan. Soumise à l’autorité d’un chef qui dispose de tous les pouvoirs, elle contrôle un territoire de taille variable. Disposant d’un armement médiocre, l’unité établi des campements plus ou moins permanents. Cela peut prendre la forme de réseaux de points fortifiés mais certaines se déplacent sur des centaines de km pour échapper à l’ennemi ou plus simplement tâcher de trouver de quoi se nourrir. Dans de telles conditions le sort des blessés n’est guère enviable.
Dans les territoires se constituent de véritables « républiques des partisans » , ceux-ci y organisent leur ravitaillement et celui de la population y perçoivent l’impôt et font régner leur ordre et mobilisent les hommes.
L’auteur montre comment, dans ce contexte de guerre totale, la population se trouve vite prise entre deux forces. On ne peut rester neutre, il faut résister ou collaborer, et les deux camps usent de représailles massives contre les villages considérés comme ennemis, une quasi guerre civile qui n’épargne personne. Les partisans ont tué plus d’auxiliaires russes que de soldats de l’Axe. Ceux-ci ayant délégués à des « policiers » le contrôle des villages.
Les affrontements du quotidien mobilisent surtout des troupes de seconde zone (divisions de sécurité ou alliés de l’Allemagne) et la comparaison des bilans montre des pertes exagérées par les deux camps. Là aussi les principales victimes sont civiles. C’est par centaines que les Allemands et leurs alliés rasent les villages et y commettent des atrocités tandis que les partisans exécutent les auxiliaires et leurs familles.
Les Allemands montent cependant à partir de 1942 de vastes opérations anti-partisans, pouvant mobiliser plusieurs dizaines de milliers de combattants ; Masha Cerovic étudie certaines d’entre elles et montre la volonté de l’envahisseur de créer de véritables zones mortes. Ces opérations gagnent en intensité au fur et à mesure que le recul allemand amène au contact des partisans des unités du front. Mieux entraînés et armées, celles-ci infligent des pertes importantes aux partisans et aux civils qui les entourent à l’image des opérations du printemps 1944 en Biélorussie.
En conclusion
Une analyse globale et pertinente qui met en évidence la particularité du mouvement partisan soviétique par sa force, ses motivations mais aussi ses excès qui le différencie des mouvements résistants d’Europe occidentale. La mise en perspective mémorielle montre comment ceux-ci ont été utilisés par les autorités soviétiques au détriment des mémoires individuelles. Enfin, pour ‘l’enseignant, un certain nombre de documents fournis sont exploitables dans le cadre d’une étude sur la guerre d’anéantissement en première.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau