Ultime échéance commémorative de la Grande Guerre, 2018 marque le centenaire des offensives Ludendorff qui tentèrent de fracturer le front français au cours du printemps 1918. Dernier sursaut allemand du conflit, l’échec de ces attaques est l’objet du troisième opuscule signé par Sylvain Ferreira pour la collection Illustoria. Journaliste spécialisé dans l’histoire militaire de la Première Guerre mondiale, l’auteur a déjà publié chez le même éditeur une étude remarquée sur la bataille de la Marne en 1914 et une autre dédiée à l’échec des Dardanelles en 1916. Puisant dans une bibliographie largement anglo-saxonne, sa troisième contribution à l’histoire-bataille se place dans la perspective globale d’une réflexion sur l’évolution de l’art de la guerre à ses différentes échelles. L’angle peut sembler technique : il est en fin de compte tout à fait prenant, d’autant que le propos est solidement maîtriséRelevons malgré tout une petite erreur factuelle : le chiffre de 26 exécutions capitales dans l’armée française pour réprimer la crise des mutineries de 1917 cité p.38 est erroné, le décompte réel étant de 50 exécutions effectives sur 550 condamnations prononcées..
L’analyse de la conduite des opérations par le premier quartier-maître général du haut commandement de l’armée allemande prend la tournure convaincante d’un procès du mythe Ludendorff. Car le concepteur et maître d’œuvre des cinq coups de boutoir successifs qui ébranlent le front occidental de mars à juillet 1918 est durablement parvenu à imposer sa stature de virtuose germanique de la guerre aux yeux de la postérité. Sylvain Ferreira déconstruit cette auto-célébration avantageuse en pointant clairement les limites du talent surévalué de Ludendorff, tacticien brillant ne parvenant pas à élever sa pensée à une envergure stratégique. Dans le contexte tangent de 1918, l’état précaire des moyens humains et matériels de l’armée allemande face à l’imminente montée en puissance des renforts américains et à l’emploi de l’arme blindée ne suffit pas à justifier le caractère inabouti des attaques dont il assume la responsabilité décisionnelle. En fait, les carences opératives et techniques des troupes allemandes et l’érosion de leurs forces vives sont masquées par une meilleure adaptation tactique qui conduit à surestimer leurs possibilités.
Dès lors, si les succès initiaux spectaculaires des unités spéciales d’assaut (les Sturmtruppen) percent ou font sensiblement reculer le front, ils ne parviennent pourtant jamais à disloquer le dispositif allié malmené. Cet état de chose n’est pas seulement dû à la capacité de résilience des troupes françaises et britanniques et aux bonnes réactions de leurs généraux. Il résulte aussi des décisions mêmes de Ludendorff, que ne guide ni ligne directrice ni conception d’ensemble. La seule boussole du chef allemand est une versatilité opportuniste orientée par les résultats obtenus sur le champ de bataille, dont la logique erratique aboutit à diluer son potentiel offensif et à dilapider ses ressources. De ce fait, Sylvain Ferreira en vient à considérer que les Allemands ont joué et perdu leur va-tout durant la première offensive (baptisée Michaël) de mars 1918. Les suivantes ne seraient que les soubresauts d’un canard sans tête, dans une guerre d’ores et déjà perdue, même si le recul effectif ne s’amorce qu’en août. Et c’est ainsi que Ludendorff se serait infligé à lui-même le fameux « coup de poignard dans le dos » auquel il a imputé la défaite allemande… Cette approche décapante souligne tout l’intérêt du contenu de ce petit livre et confirme, s’il en était besoin, combien l’historiographie de la Grande Guerre demeure vivace.
© Guillaume Lévêque
C’est un très bon ouvrage qui remet Ludendorff au centre de l’état major. Pour bien comprendre l’histoire il faut se séparer de l’affect et se concentrer sur les faits. Sans oublier que, certains maréchaux et généraux furent de bien meilleurs falsificateurs en créant des « légendes » telles que le coup de poignard dans le dos pour échapper au verdict de l’histoire : la Victoire ou la Défaite.
Merci de votre explication, n’étant pas spécialiste de la question et mon ouvrage ne traitant pas de ce sujet, je me suis limité à ce que j’avais « sous la main » et que je considérais comme solide. Je reconnais avoir grandi depuis la fin des années 70 avec en mémoire le chiffre de 48 exécutions jusqu’aux récents travaux de feu le général Bach. Bref, comme vous le dites, ce qui importe c’est la reprise en mains et les moyens utilisés, pas la qualification précise « pour l’exemple ».
Oui, mais sans doute est-ce jouer sur les mots. Sont considérés comme fusillés pour l’exemple ceux qui sont passés par les armes après avoir été impliqués dans une mutinerie sans que soit porté contre eux un grief précis. Alors que d’autres sont exécutés pour des actes et des faits qui leur sont spécifiquement imputés. Mais l’ensemble doit être replacé dans le même continuum de la répression des mutineries.
Le risque à se borner aux seuls « fusillés pour l’exemple » étant de minorer l’ordre de grandeur (du reste limité, et Bach va dans le même sens que Pedroncini) de cette reprise en main. Pour le climat dans lequel tout ceci est vécu par le haut-commandement, voir les pages édifiantes du carnet du général de Barescut, alors premier aide major général au GQG.
Bonjour,
Merci beaucoup pour cette recension.
Je précise que j’ai deux sources qui parlent de 26 ou 27 exécutions « pour l’exemple » dont une émane du site officiel de la Mission du Centenaire qui propose un entretien avec feu le général Bach, spécialiste de la question des fusillés :
http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/fusilles-pour-lexemple-entretien-avec-andre-bach
L’autre source est un article de Johanne Berlemont, conservatrice au Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, paru dans le numéro 14 du MAG du Musée (page 17) en avril 2017 et disponible ici :
http://sam2g.fr/wp-content/uploads/2017/05/Mag14.pdf
Au plaisir d’échanger avec vous sur cette question.
Sylvain Ferreira