Professeur des Universités à l’INALCO, Jean Radvanyi a créé en 1992 et dirigé l’Observatoire des États postsoviétiques (qui fait partie du Centre de recherches Europe-Asie) à l’INALCO. Il a aussi dirigé, entre 2008 et 2012, le Centre d’études franco-russe de Moscou. Géographe et géopoliticien, spécialiste des questions régionales et nationales en Russie et dans l’espace postsoviétique. Il est l’auteur de La Nouvelle Russie (Armand Colin, 2010, 5e édition) et de Retour d’une autre Russie. Une plongée dans le pays de Poutine (Lormont, Le Bord de l’eau, coll. « Clair & net », 2013) .

Cet ouvrage, qui en est à sa 3e édition, nous propose les contributions d’une équipe de chercheurs et doctorants de l’Observatoire des États postsoviétiques. Enrichi de cartes et de données statistiques sur les 15 États postsoviétiques, de notices biographiques, d’une chronologie sur les accords dans la CEI et hors CEI et d’une abondante bibliographie, il s’ouvre sur une analyse de « L’espace postsoviétique comme champ de forces » (p. 5-12), puis dresse un tableau des 15 États selon plusieurs axes : l’installation dans le statut d’État-nation de chaque pays, les évolutions du système politique, de l’économie et du positionnement géopolitique et leur rôle dans le processus d’affirmation nationale. Ces changements ont eu trois moteurs, assumés ou rejetés : la perspective libérale, le passé soviétique, les racines anciennes, sans oublier les relations avec l’extérieur (anciennes « républiques-sœurs » ou pays étrangers). Si la question qui se pose à la Russie est celle de la reconstitution de sa puissance, pour tous les autres la transition n’a pas été univoque vers la démocratie et l’économie de marché, et géopolitiquement l’enjeu majeur est celui des rapports avec la Russie.

La conclusion de l’ouvrage propose une approche plus comparative de ces trajectoires différentes. Les Etats baltes ont connu une évolution originale, s’étant intensivement réformés pour entrer dans l’OTAN (mars 2004) puis l’Union européenne (mai 2004). Pour les autres, le « modèle occidental » idéalisé par la majorité des populations n’a pas été aussi rapidement, voire pas encore, adopté, tant sur le plan politique (beaucoup de pays ont connu des dérives autoritaires variées) qu’économique (les économies restent instables, marquées par l’implication des États, le poids des groupes oligarchiques et l’importance de la corruption). Socialement le bilan est aussi contrasté : seule une minorité (classe moyenne en formation, « nouveaux riches ») a vraiment profité des nouvelles libertés et de la croissance retrouvée. La majorité a subi de plein fouet les crises, l’accroissement des inégalités, le délitement des systèmes sociaux et des aides d’État qui se traduit par l’explosion du chômage, l’essor de la tuberculose ou du SIDA, le retour de l’illettrisme.

Géopolitiquement, l’affirmation des souverainetés a empêché la formation (un engagement initial) d’un vaste espace commun de circulation des hommes, des marchandises et des capitaux. Face au terrorisme et à la montée de l’islamisme, devant l’essor des trafics et des migrations illégales, sans oublier les volontés protectionnistes des États, les frontières se sont renforcées. Et Moscou n’a pas joué un rôle d’impulsion dans le sens de l’ouverture : la zone économique commune envisagée en 1991 n’a été mise en place qu’en 2011 et seulement avec la Biélorussie et le Kazakhstan. La plupart des nouveaux États ont cherché des facteurs d’indépendance, d’équilibre et de croissance hors de la CEI, particulièrement vers l’Occident, provoquant en retour un renforcement de la volonté russe d’implication régionale, particulièrement depuis le tournant de la guerre russo-géorgienne de 2008, mais aussi avec la montée en puissance des sociétés russes dans les secteurs stratégiques (l’énergie particulièrement) des pays voisins. On peut ainsi parler du renouveau d’un impérialisme régional russe.

On trouvera donc dans cet ouvrage non seulement un précieux outil de travail mais aussi une utile mise au point pour comprendre les enjeux en cours dans cette partie de l’Eurasie.

Laurent Gayme

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