Questions internationales, numéro 46, novembre-décembre 2010.
Les États du golfe, prospérité et insécurité
la documentation française, 9,80 €.

Cette dernière livraison de la revue question internationale est consacrée au Golfe arabo-persique, une région stratégique entre toutes, en raison de sa richesse pétrolière, de son impact financier et de sa préparation à une économie de l’après-pétrole.

Le premier article, celui de Laurence Louër, traite des évolutions sociales politiques et religieuses de cet ensemble d’État, riverains de ce golfe arabo-persique qui représente un point de passage majeur pour les approvisionnements pétroliers des économies développées et émergentes. Ces effets du golfe présent un certain nombre de particularités communes : des économies de rente menacée à terme par l’épuisement des réserves, des État-providence particulièrement généreux, mais aujourd’hui remis en cause, et une démocratisation sur laquelle beaucoup peuvent s’interroger. Ces états opulents sont également les points de départ d’une contestation islamiste qui s’exprime tout particulièrement dans les zones les plus déshérités du monde arabo-musulman. Ces territoires ont en commun le recours massif à une population d’immigrés venus du sous-continent indien ou de l’Asie du Sud-Est, auquel sont venus s’agréger des populations égyptiennes et palestiniennes.
Dans les années 90 les monarchies du golfe ont entrepris des réformes politiques qui permettent de parler aujourd’hui d’un autoritarisme modernisé sur fond de libéralisme économique maintenu. Cette libéralisation reste toutefois limitée et les familles princières conservent l’essentiel du pouvoir.
L’islam saoudien dont on connaît par ailleurs la spécificité, notamment son rigorisme en matière de mœurs, a eu tendance, depuis la guerre d’Afghanistan, à s’internationaliser. Il reste la référence, malgré les attaques dont il est l’objet, des islamistes les plus radicaux, parce que cette péninsule arabique est bien le berceau de l’islam des origines.
Toutefois, ce berceau de l’islam est tout de même divisé comme le montre d’ailleurs cet encart sur le chiisme qui ne se limite pas, faut-il encore le rappeler, à l’Iran et l’Irak. Les chiites sont également majoritaires sur l’île de Bahreïn et représente environ le quart de la population nationale du Koweït.

Un article de Christelle Capelle présente les états-nations les frontières dans le golfe, des concepts importés et imposés sans doute au moment des accords de partage qui ont précédé et suivi la première guerre mondiale. Pendant cette période, Abdelaziz Ibn Séoud remis en cause cet équilibre en s’imposant comme le gardien des lieux saints comme le souverain d’un État organisé autour de sa famille élargie. L’article développe également certains conflits issus du tracé des frontières. Ces limites territoriales sont largement liées au périmètre des exportations pétrolières et aux concessions aux grandes compagnies internationales, ainsi que l’intervention britannique au début des années 50. On oublie d’ailleurs trop souvent que l’invasion par l’Irak du Koweït en 1990 était également le résultat d’un ancien litige frontalier hérité de la délimitation que les Britanniques avaient été amenés à effectuer entre l’Irak et sa 13e province.

Le pétrole : malédiction bénédiction ? Par Keyvan Piram

La région du golfe persique abrite près de 60 % des réserves mondiales prouvées de pétrole. La particularité de ces réserves c’est qu’elles sont facilement accessibles, de bonne qualité, et situées à proximité des côtes, ce qui en rend l’exportation facile par voie maritime.
Découvert entre 1908 et 1930, de la personne péninsule arabique en passant par la Mésopotamie, ce pétrole a suscité de multiples convoitises. On sait l’importance que les accords entre la monarchie saoudienne et les États-Unis ont pu prendre par la suite.
L’Iran a sans doute été une bénédiction si l’on reprend le titre de l’article dans la mesure où il a permis de susciter une volonté d’émancipation précoce, dans la première se trouve dans cet épisode malheureusement un petit peu oublié, à savoir la nationalisation du pétrole iranien mené par le premier ministre Mohammad Mossadegh en 1951. En faisant appel aux États-Unis pour les débarrasser de cet encombrant premier ministre, les Britanniques ont commencé à perdre toute leur influence dans la région. La crise de Suez de 1156 leur apportait un coup fatal qui les a conduit raccorder par la suite l’indépendance à tous leurs protectorats dans la région, au Koweït en 1961 puis aux Émirats arabes unis, à Bahrein, aux émirats Arabes unis, au sultanat d’Oman et au Qatar en 1971. L’auteur revient sur le contexte de la constitution de l’organisation des pays exportateurs de pétrole en 1960, associant l’Iran et le Venezuela à des pays arabes. Les activités pétrolières nationalisées permettent de justifier un nationalisme pétrolier qui passe d’un nationalisme d’existence un nationalisme de puissance. La création de l’organisation des pays arabes exportateurs de pétrole en 1968, donc après la guerre des six jours de 1967, est à l’origine du premier choc pétrolier caractérisé par une flambée des prix du brut qui passe de trois à 12 $ par baril entre octobre 1973 et janvier 1974.
Tous ces pays qui bénéficient de leur en pétrolières sont étroitement dépendants de leurs exportations. Ils connaissent ce que l’on appelle la maladie hollandaise, c’est-à-dire que les immenses richesses produites par l’exploitation de la rente tendent à rendre non compétitifs les autres secteurs de l’économie en attirant les meilleures ressources humaines, en accroissant la bureaucratie et des pensées improductives. La maladie hollandaise provoque des tensions inflationnistes, une appréciation de la monnaie, une hausse des importations de substitution une baisse des investissements. On a pu dire à certaines époques que la Russie connaît le même type de phénomène, mais peut-être de façon plus atténuée.
L’afflux de pétrodollars liés ou de choc pétrolier, 1973 et de 1979 a été en partie tari par le contre-choc pétrolier de la décennie 1980-1990. Depuis le début des années 2000 les cours pétroliers ont été globalement orientés à la hausse, ce qui a d’ailleurs permis à ces pays d’essayer de développer avec plus ou moins de succès des systèmes de substitution en pétrolières, bref de préparer l’après-pétrole. Cela a pu se faire au prix de programmes de développement au coût pharaonique, comme pour Dubaï, mais il n’en reste pas moins que par ce biais, ces états sont rentrés de plain-pied dans la mondialisation et en tirent globalement les bénéfices considérables. Il n’empêche que si ces pays disposaient de fonds considérables, ils ont quand même eu recours très largement à l’endettement, ce qui a été profondément remis en cause par la crise financière de 2008.

Pourtant, si l’on se base sur l’article de Gabriel Sensenbrenner, spécialiste des systèmes financiers des pays arabes au fonds monétaire international, Les États du Golfe restent des puissances financières internationales de premier plan. Le surplus pétrolier ont permis aux monarchies du golfe de construire un réseau d’infrastructures vouées à devenir indispensable aux échanges entre l’Europe et les pays émergeant d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient. Il joue un rôle central dans les échanges financiers internationaux grâce à leur accumulation ces dernières années le surplus financier lié à l’augmentation du prix du pétrole et du gaz. Leur stock de capital a été investi dans le monde entier et le volume et la variété de leurs investissements extérieurs sont remarquables.
Toutefois, la crise financière de 2008, les a conduits à redéployer leurs investissements dans des projets de développement local qui leur permettent d’envisager, avec une relative sérénité, la fin du pétrole. D’après l’auteur de cet article la récession mondiale a eu un impact limité dans les pays du golfe. L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont même connu une situation de déficit budgétaire en 2000. Toutefois, les importantes réserves financières ont permis d’amortir les conséquences sociales de cette crise pour les nationaux. Il n’en reste pas moins que ces états souffrent de difficultés structurelles, liées à leur forte dépendance par rapport à la volatilité des cours du brut, et à une gestion du système bancaire qui n’exclut pas la prise de risque dont on connaît, depuis 2008, les conséquences.

Mohammed El Oifi, présente dans un article d’un peu plus de deux pages le rôle politique des médias dans le Golfe, avec les chaînes satellitaires Al Arabiya et Al-Jazeera. L’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis font preuve d’un vif intérêt pour le développement de leurs médias nationaux mais également d’une diffusion à l’ensemble du monde arabe.
Les princes ou les hommes d’affaires du golfe possèdent les chaînes d’information continuent les plus influentes dans la région. L’émir du Qatar finance le groupe Al-Jazira tandis que la couronne saoudienne est le principal propriétaire de la chaîne de télévision Al-Arabiya. Les princes saoudiens contrôlent également les principaux journaux arabes d’information générale basée à Londres. Ces médias peuvent jouer un rôle stratégique dans des moments de crise de tension et propose une lecture spécifique des événements, développant ce que l’on pourrait appeler « un point de vue arabe ». La popularité de ce point de vue, exprimée par le biais de la presse écrite ou les chaînes de télévision est tout à fait considérable dans l’ensemble du monde arabo-musulman. Cela est directement perceptible actuellement dans un pays comme le Maroc. La ligne éditoriale de Al Arabiya se montre plutôt favorable la stratégie américaine dans le golfe. La chaîne insiste également sur la nécessité de combattre la contestation islamiste telle qu’elle peut être incarnée par Al Qaïda ou également par l’Iran dont le programme nucléaire inquiète, c’est le moins que l’on puisse en dire, la monarchie saoudienne.
La chaîne Al-Jazira développe plutôt un discours contestataire que l’on pourrait qualifier de « pluraliste ». Le jeu est de se passe dans les alors oui oui non je dis est vrai, on se dit le plus adapté mon droit de vie et de vue de la ville de villes en vue de l’art de la liste des oeuvres alors oui je suis en Le courant islamiste, le courant panarabe le courant libéral sont représentés dans la ligne éditoriale de la chaîne. Le fait qu’il existe une concurrence entre médias dans le golfe permet d’ailleurs de disposer d’une information de qualité tout à fait convenable et d’une couverture de l’événement satisfaisante. Toutefois, l’auteur souligne avec juste raison que l’autorité des états est aujourd’hui contestée par des groupes qui disposent des moyens de filmer et de diffuser leurs actions. Encore une fois, mais peut-être plus encore que dans les grands pays démocratiques, la cyber-dissidence individuelle peut jouer un rôle important dans l’impact médiatique des événements.

Marc Valéri fait un point très précis sur le mode de fonctionnement de ces états, entre consolidation autoritaire et contraintes réformistes.
Il présente ses monarchies du golfe comme des états entiers et patrimoniaux, dans lesquels la famille royale est aux commandes de l’exécutif. Cela n’empêche pas, depuis une bonne vingtaine d’années la contestation de se développer. Toutefois, le fait que ces pouvoirs s’inscrivent en référence à la tradition politique islamique, leur a permis, jusqu’à présent, de ne pas être remis en cause. Aucun des pays du golfe ne dispose d’un véritable multipartisme, à l’exception du Barhein, des « sociétés politiques » sont tolérées. Les parlements sont uniquement consultatifs, et si les élections ont lieu, elles sont dans la plupart des cas, seulement municipales.
Toutefois, l’auteur note que dans la plupart des cas l’influence de force indépendante du pouvoir devient croissante. Il considère que ces réformes survenues durant les années 2000 permettent aux forces d’opposition de se structurer, en véritable opposition politique, comme au Koweït et à Bahreïn, et qu’une société civile saoudienne est en cours d’émergence. De plus, de fortes incertitudes existent pour ce qui concerne les mécanismes de succession. Cela peut ouvrir des perspectives à des mouvements issus de la mouvance islamiste ou des cercles tribaux rivaux du pouvoir en place.

Amélie Le Renard présente la situation des femmes en Arabie Saoudite. D’après cet auteur, le fait que l’Arabie Saoudite soit considérée comme « en retard », par rapport à ses voisins, en matière de statut des femmes, ne doit pas être vu simplement comme une référence à une tradition ancienne. De son point de vue, les femmes tiennent une place centrale dans l’invention de nouvelles images de la nation saoudienne.

Cet article rappelle que le processus de ségrégation entre hommes et femmes, avec le voile qui couvre le visage dans l’espace public, résulte d’un compromis entre le gouvernement et les autorités religieuses étatiques. L’augmentation de la population urbaine a conduit à généraliser à l’ensemble du territoire du royaume la politique de ségrégation. Les activités agricoles et artisanales dans lesquels les femmes jouaient un rôle important ont perdu leur importance, d’autant plus que l’État-providence généreux, permettait aux femmes de ne pas exercer d’activité professionnelle. C’est la hausse des revenus pétroliers, à partir des années 70, qui a permis à la monarchie saoudienne de développer des institutions parallèles strictement féminines, ce qui renforçait la ségrégation. À partir de 2003, « la réforme » souhaitée par le roi Abdallah, vise à renforcer l’intégration des femmes dans le cadre du « dialogue national ». Ces mesures visent à favoriser leur emploi, à les intégrer dans le monde du travail, mais toujours dans un cadre non mixte. Si la nouvelle femme saoudienne doit parler anglais et aspirer à la réussite professionnelle, il n’est pas question pour elle de vivre comme elle l’entend. Paradoxalement, les pouvoirs religieux étatiques, sur lesquels s’appuie la monarchie saoudienne, justifie au nom d’une lutte contre « les coutumes et traditions », la ségrégation des femmes. Si les saoudiennes peuvent espérer un nouveau mode de vie qui leur permette d’exercer une activité professionnelle, y compris en leur nom propre, il n’en reste pas moins que l’évolution de leur statut, toujours plus « spécifique » s’inscrit dans l’histoire de la consolidation de l’État saoudien par l’utilisation d’un référent islamique dont les saoudiens mâles semblent encore s’accommoder. C’est bien à l’origine du problème.

Émile Hokayem est chercheurs spécialisé dans les questions de sécurité du Moyen-Orient à l’institut international d’études stratégiques.
L’auteur présent ici les multiples enjeux de sécurité et de défense que connaît la région du golfe persique. Sept ans après l’implosion de l’ordre régional avec l’invasion américaine de l’Irak et les révélations sur le programme nucléaire iranien, une recomposition du paysage géostratégique s’amorce lentement. Les États-Unis conservent un rôle dominant du fait de la fragmentation des acteurs et des incertitudes quant à l’évolution de l’Irak et du Yémen.
L’Iran refuse clairement le statu quo que les États-Unis ont imposé depuis la fin de la seconde guerre mondiale et cherche à travailler à l’avènement d’un nouvel ordre régional qui exclurait les États-Unis et permettrait d’exercer une sorte de pression à l’encontre d’Israël. Mais les préoccupations de la république islamique sont peut-être plus locales avec la volonté d’exercer une sorte d’autorité dans le golfe persique en jouant sur son poids démographique et sur une éventuelle puissance nucléaire. L’Iran, d’après cet auteur, aurait adopté une doctrine de guerre asymétrique, en se dotant de moyens de puissance susceptible de frapper les éventuelles têtes de pont d’une intervention américaine. Les moyens navals légers, les missiles de croisière et balistique, s’inscrivent dans une logique de dissuasion du faible au fort, visant à faire comprendre à un agresseur éventuel qu’il n’aurait aucun bénéfice à l’attaquer.
Les plus grandes incertitudes demeurent quant à l’évolution intérieure de l’Irak si les États-Unis semblent vouloir se dégager, du point de vue de leurs troupes combattantes, la présence renforcée d’entreprises américaines avec un personnel de sécurité pléthorique montre bien que ce territoire est toujours considéré comme stratégique. Les États-Unis sont, qu’on le veuille ou non, le seul garant de l’intégrité territoriale du pays. L’auteur de l’article ne dit pas pourtant que les États-Unis par leur présence ont entériné une division de fait avec le nord du pays, zone pétrolière et de peuplement kurde.

La situation au Yémen apparaît comme un coup de semonce pour la stabilité de la péninsule arabique. La frontière de ce pays avec l’Arabie Saoudite a d’ailleurs été fixée très récemment, ce pays compte tout de même 23 millions d’habitants, ce qui en fait le géant démographique de la péninsule, et le pays est également apparu comme un terrain de repli pour les organisations terroristes, comme Al Qaïda dans la péninsule arabique, l’équivalent d’un Al Qaïda au Maghreb islamique, à l’origine de l’enlèvement de français au Niger. Le conseil de coopération du golfe est partie prenante d’un effort de stabilisation mais dans la pratique l’Arabie Saoudite fait cavalier seul pour juguler la menace que la stabilité de ce pays fait courir sur sa frontière sud.
Au final, la présence américaine est toujours contestée mais elle n’en demeure pas moins indispensable. Les États-Unis favorisent les efforts de défense des états du golfe, et les montants en jeu sont tout à fait considérables. Il semblerait qu’en quatre ans le niveau des commandes atteigne 123 milliards de dollars jusqu’en 2014 pour les États-Unis seuls. Les États-Unis envisagent également la possibilité de déployer un parapluie nucléaire sur la zone au cas où l’Iran se doterait de la panoplie complète des moyens nucléaires.

Comme on le voit, ce numéro de questions internationales comporte de très nombreuses données précieuses sur l’évolution de ces états du golfe qui ne sont au bout du compte que des créations extrêmement récentes. Un article de Djilali Benchabane consacré aux Émirats arabes unis, comme exemple d’une société traditionnelle globalisée apparaît en effet comme tout à fait intéressant. Ces états de construction récente, avec des sociétés fragmentées, avec une très forte présence de non-nationaux sur leur territoire doivent réinventer en permanence leurs cadres sociaux. L’islam apparaît comme un élément constitutif d’une « identité nationale » de substitution, la recherche de puissants protecteurs également. Du point de vue de la stabilité intérieure ces états ont pu maintenir une sorte de consensus appuyé sur la distribution généreuse la population nationale de prébendes, tout en parvenant pour certains à réaliser leur reconversion dans une économie de services, parfaitement intégrée à la mondialisation à l’instar de Dubaï.

© Bruno Modica