Le monde dans lequel nous vivons est d’une grande complexité. Il semble chaque jour plus dangereux et plus difficile à comprendre. Dans ce contexte, et largement véhiculées par les réseaux sociaux, les idées reçues se développent et se diffusent rapidement. Elles ont l’apparence de l’évidence mais masquent la réalité. Il semble plus facile de céder à leurs sirènes de que de les interroger. C’est pourtant ce que propose Pascal Boniface dans cette nouvelle édition de 50 idées reçues sur l’état du monde. Directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et célèbre géopolitologue, Pascal Boniface est l’auteur de plus de 70 ouvrages traitant des relations internationales et de grands thèmes d’actualité. Il décrypte également l’actualité internationale sur sa chaîne Youtube et dans son podcast Comprendre le monde.
Pourquoi analyser les idées reçues ?
Pascal Boniface met en évidence plusieurs freins à notre compréhension du monde, à commencer par l’idée que les experts sont obligatoirement synonymes de sérieux et d’objectivité pour le public, leur parole ne pouvant être remise en question. Un expert peut avoir développé une connaissance approfondie sur un sujet, sans pour autant être un gage d’objectivité. La scientificité de l’expert doit limiter au maximum sa subjectivité. Néanmoins, l’actualité et les réseaux sociaux sont remplis de faux experts, qui s’inventent des titres universitaires ou des fonctions fantaisistes. La présence d’experts sur les plateaux télévisés qui interviennent sans le recul nécessaire à tout raisonnement argumenté est également un frein à notre compréhension du monde.
Un autre frein est celui de la tentation de la simplification à l’extrême, la grille de lecture des événements se retrouvant réduite à deux paramètres opposés (bien/mal, amis/ennemis…). La guerre actuelle en Ukraine renforce cette tendance, faisant comme principales victimes la vérité et la nuance.
Les idées reçues ne touchent pas seulement le grand public mais également les experts, les enseignants, les chercheurs, les journalistes… Elles sont tellement répétées qu’elles deviennent des évidences dont on ne discute plus les fondements, de peur de défendre un point de vue différent de celui de la majorité. Elles sont présentes partout : sur Internet, à la télévision, dans les débats politiques, dans les médias, dans les livres, incluant des ouvrages érudits. La première idée reçue à être remise en cause par Pascal Boniface est : « c’est vrai, je l’ai lu dans un livre » (avec, notamment, l’exemple des manuels d’histoire, objets de diffusion idéologique). Ces idées reçues sont d’autant plus efficaces qu’elles ont l’apparence du vraisemblable et du bon sens.
Dans cette 13e édition, l’auteur se propose de traiter 50 idées reçues parmi les plus répandues sur les affaires du monde. Si plusieurs idées reçues ont disparu par rapport aux précédentes éditions, d’autres persistent et de nouvelles apparaissent, montrant que le travail réalisé doit être poursuivi.
Un éclairage à contre-courant sur les questions internationales qui agitent le débat public
La structure des chapitres, de deux ou trois pages, est efficace. Après avoir énoncé l’idée reçue, son évidence et les raisons de celle-ci, Pascal Boniface analyse ce qui se cache derrière l’apparence, replaçant les faits dans leur contexte afin de déconstruire ces 50 idées reçues. Il montre systématiquement qu’un examen scrupuleux des enjeux et rivalités géopolitiques suffit à déconstruire les jugements à l’emporte-pièce. Il propose une vision du monde nuancée et décentrée par rapport à certaines analyses centrées sur la France, notamment dans les médias. Les chapitres sont une invitation à réfléchir, à approfondir les sujets qui nous intéressent et non pas des analyses exhaustives. L’objectif est de pousser le lecteur à s’interroger afin de mieux appréhender notre monde dans toute sa complexité et ses nuances.
Ces idées reçues sont classées en cinq grandes parties : la mondialisation, qui dirige le monde, les guerres et les conflits, la démocratie et le terrorisme. Certains des thèmes abordés sont répandus depuis maintenant plusieurs années et étaient présents dans les précédentes éditions, comme l’impact de la Covid-19 sur nos sociétés, le terrorisme islamiste et tous ses amalgames hasardeux avec l’Islam, le 11 septembre a changé le monde, etc.
Cette édition 2023 offre une belle place à la guerre en Ukraine et son impact sur le monde. La place de la Russie par rapport à l’Occident est également discutée. La Chine fait l’objet de beaucoup d’idées reçues avec pas moins de sept chapitres qui lui sont consacrés. A noter, les chapitres sur l’idée d’une guerre froide Chine/Etats-Unis et sur la Chine dirige le monde qui sont très intéressants. En lien avec la guerre en Ukraine et la place de la Chine dans le monde, l’auteur analyse des idées reçues sur l’Union européenne et la France, sur leur indépendance et leur place dans le monde. Enfin, d’autres thèmes sont abordés, comme les enjeux du changement climatique ou, encore, l’impact de la révolution numérique sur nos sociétés.
La partie sur la démocratie et l’idée que les démocraties sont « toutes blanches », ne font pas la guerre, que les valeurs occidentales sont universelles et que certains régimes sont infréquentables est, pour moi, la plus intéressante. Elle offre une vision décentrée de nos démocraties occidentales, montrant que les normes occidentales ne sont pas meilleures que les autres et qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les cultures. Elle remet en cause une vision du monde centrée sur l’Occident et replace les démocraties dans le contexte international. L’idée reçue que les démocraties ne font pas la guerre est représentative de notre vision d’un monde occidental pacifique, garantissant la paix et les libertés de ses citoyens.
Un ouvrage indispensable dans les collèges et les lycées
Pour conclure, avec simplicité, cet ouvrage nous rappelle que notre vision du monde peut être très facilement déformée par les influences auxquelles nous sommes soumis, notre parcours, nos origines, nos fréquentations, etc. Il nous offre des réponses simples à des idées reçues, fondées sur l’expertise de Pascal Boniface sur les questions internationales. C’est un plaisir de se questionner et de se laisser emporter par cette invitation à approfondir les différentes thématiques.
Cette vision globale du monde est présentée de manière très pédagogique, les courts chapitres pouvant facilement être appropriés par des lycéens. Cet ouvrage, est une ressource précieuse en EMC pour apprendre aux élèves à décrypter l’actualité, faire de l’éducation aux médias, ou encore dans le cadre de la spécialité HGGSP. Pour les enseignants d’histoire-géographie qui apprennent à leurs élèves à avoir une vision critique du monde, ces textes concis et très accessibles me paraissent indispensables.