Jean-Louis BRUNAUX, Les Gaulois expliqués à ma fille, Le Seuil, janvier 2010, 106 p.
On n’enseigne plus guère les Gaulois à l’école, tel est le constat de Jean-Louis Brunaux. Leur souvenir s’est peu à peu effacé avec la romanisation de la Gaule et la IIIème République a jeté son dévolu sur le peuple Francs de Clovis pour construire son mythe du peuple français.
A la lumière des dernières recherches archéologiques, Jean-Louis Brunaux nous emmène au plus près de ce peuple méconnu. Chercheur au CNRS, Jean-Louis Brunaux est un archéologue qui œuvre actuellement dans le département de la Somme sur le site de Ribemont-sur-Ancre.
Dans cet ouvrage destiné au grand public, l’auteur s’attache à dépasser les idées reçues diffusées par une célèbre bande-dessinée… et nous plonge au cœur de la civilisation gauloise en privilégiant l’aspect civilisationnel.
Les Gaulois, une mosaïque de peuples mais un seul territoire
Les Gaulois doivent leur nom, mais aussi leur unité aux Grecs et aux Romains qui ont ainsi nommé les peuples vivant dans la France, Belgique, Luxembourg, Suisse, une partie de l’Allemagne et de l’Italie actuelles. Par cette dénomination, les Grecs et Romains crée une entité civilisationnelle recouvrant une réalité plus complexe.
Officiellement, les Gaulois font irruption dans le monde romain au IVème siècle av.J.-C. lorsqu’ils envahissent le Nord de l’Italie et s’emparent de Rome.
Auparavant, l’histoire parle de Celtes, désignation adoptée par les Grecs venus fonder Marseille au VIIème av.J.-C. Les Celtes recouvrent une myriade de peuples s’unissant parfois en une confédération et vivant entre le Massif Central, les Pyrénées et la Méditerranée. Au Nord du Massif Central, le peuplement était plus clairsemé et les peuples entretenaient beaucoup moins de liens entre eux qu’au Sud du Massif Central.
A l’époque de Jules César, au Ier siècle av J.-C., les Celtes ont gagné du terrain et occupent désormais un territoire qui s’étend de la Méditerranée à la Seine en passant par l’océan et les Alpes. Au Nord de la Seine, vivent les Belges et au-delà de la Garonne, les Aquitains. Ces trois confédérations forment ce que les Romains ont désigné par le terme de Gaulois.
L’unité des Gaulois leur a été conférée par leurs voisins Grecs et Romains qui voyaient en ces peuples des similitudes. Mais plus encore, c’est l’unité de leur territoire qui les a marquée, la Gaule, présentant une unité géographique remarquable grâce à ses limites naturelles : l’océan, les mers, les Pyrénées, les Alpes et le Rhin.
Les Gaulois, une histoire par procuration
Les Gaulois n’ont pas écrit leur propre histoire car ils n’utilisaient que très peu l’écriture. Ce sont donc les peuples qui les ont rencontrés, les Grecs et les Romains, qui s’en sont chargés pour eux. L’histoire des Gaulois telle qu’ils la percevaient et la racontaient reste donc un mystère que les druides et les bardes ont emporté avec eux…
Ainsi, l’histoire des Gaulois est très parcellaire et peu évènementielle, leur histoire est avant tout celle des contacts, plus ou moins pacifiques, qu’ils ont pu entretenir avec leurs voisins.
Ainsi, leur première trace est relevée par les Grecs vers 600 av.J.-C. près de Marseille. Ensuite, les Romains les mentionnent lors de l’invasion de l’Italie au IVème siècle. On les retrouve vers 280 av.J.-C. lorsqu’ils pillent le sanctuaire de Delphes en Grèce.
Ces invasions successives par les Gaulois s’expliquent en premier lieu par leur mode de vie ancestral, celui de semi-nomades, ainsi que par leur goût immodéré par la guerre.
Cependant, la période la mieux connue des Gaulois concerne celle de leur conquête par les Romains en deux temps, la Narbonnaise d’abord en 125 av.J.-C. puis la « Gaule chevelue », en 51 av.J.-C.
A partir de ce moment, le destin des Gaulois était lié à celui des Romains et leur histoire prend fin avec celle de l’empire romain d’Occident, en 476.
Une société gauloise fondée sur la guerre
Du Vème au IIème siècle av.J.-C., la guerre occupait une place centrale au sein de la société gauloise. Elle constituait le fondement de l’économie gauloise, par le pillage, et organisait la société entre combattants et non-combattants.
La vertu guerrière était également à la source du pouvoir, c’est elle qui légitimait le pouvoir du chef et des nobles gaulois. Ainsi, la « mobilité sociale » pouvait exister au sein de cette société et toucher le simple mercenaire gaulois qui s’illustrait au combat et arborait ses trophées macabres, les têtes coupées de ses ennemis…
Cette organisation sociétale fondée sur l’art de la guerre préfigure ainsi l’organisation qui prévaut ensuite dans l’Occident médiéval.
Les Gaulois, des citoyens dans une fédération
Aussi curieux que cela puisse paraître, le fonctionnement politique des Gaulois n’était pas si éloigné que cela de celui des Grecs et des Romains.
En effet, chaque peuple constituant les Gaulois connaissaient des formes élaborées de gouvernement : le gaulois était un citoyen, c’est-à-dire un homme libre qui participait à la vie cité, assistait aux assemblées et élisait des représentants, payait des impôts et effectuait un service militaire.
Les élus se répartissaient en deux assemblées, une assemblée de représentants et une assemblée de sages issus des grandes familles gauloises. Ces assemblées administraient le territoire et décidaient de l’avenir du peuple, guerre, paix et alliances.
Deux magistrats étaient élus au sein de ces assemblées : un magistrat civique s’occupant de la vie de la communauté et un « stratège » attaché aux affaires militaires.
La géopolitique de la Gaule reposait avant tout sur un vaste système de clientélisme entre les peuples qui permettait ainsi, au fil des alliances, de limiter les rivalités entre les Gaulois et de former une sorte de fédération.
Les conflits entre ces peuples pouvaient être résolus par l’assemblée annuelle des druides qui se tenait au centre « géographique » de la Gaule, près d’Orléans dans la cité des Carnutes. Cette organisation et conception de la justice en Gaule est alors révélatrice du de gré de conscience des différents peuples d’appartenir à un même ensemble, la Gaule.
Le quotidien gaulois de mieux en mieux connu
Les progrès récents de l’archéologie ont permis de mieux saisir le quotidien des Gaulois et de le confronter aux écrits grecs et romains. Dans cette partie, Jean-Louis Brunaux revient sur les idées reçues concernant l’apparence physique des Gaulois, leur mode vestimentaire, leur alimentation, leur habitations et nous dresse ainsi un portrait détaillé et vivant, rejoignant parfois la légende, des Gaulois.
Il en va ainsi de leur grande stature et de leur longue chevelure ainsi que de leur passion pour la boisson alcoolisée, bière et cervoise ainsi que du vin importé d’Italie…
Enfin, Jean-Louis Brunaux souligne la différence quant à la place de la femme, plus enviable, dans la société gauloise comparée à celle au sein des sociétés grecque et romaine.
Les druides, gardiens de l’univers mental des Gaulois
Jean-Louis Brunaux s’est surtout intéressé au cours de ses recherches à l’univers mental des Gaulois, c’est-à-dire à leurs croyances et leurs modes de pensée, ce qui l’a tout naturellement conduit à se pencher plus précisément sur le rôle obscur des druides au sein de la société gauloise.
Ainsi les druides n’étaient pas de simples prêtres comme on l’a longtemps cru, mais plutôt des théologiens, des savants et des sages très écoutés et respectés par les hommes de pouvoir.
Les druides possédaient donc un rôle politique discret mais incontournable au travers du contrôle du culte public centré autour de la divination.
Les dieux gaulois sont méconnus et leurs sanctuaires, rustiques, n’ont laissé que peu de traces.
A côté de ce culte public sous le patronage des druides, subsistait un culte privé dans lequel les Gaulois rendaient hommage à leurs ancêtres ou des divinités locales.
Enfin, les Gaulois possédaient une vision particulière de l’au-delà fondée sur la réincarnation de l’âme, immortelle, dans un autre individu. De cette croyance découle les modifications en termes d’inhumation, de l’ensevelissement à l’incinération des corps des défunts.
L’héritage des Gaulois, une maîtrise technique pour un paysage transformé
Au contraire des Grecs ou des Romains, les Gaulois n’ont pas laissé, en apparence, de vestiges architecturaux, témoins d’une civilisation élaborée.
Cependant les apparences sont parfois trompeuses et Jean-Louis Brunaux souligne que les Gaulois nous ont laissé un héritage à première vue invisible, un paysage transformé.
En effet, leur maîtrise technique dans le domaine agricole, notamment, leur ont permis de nous léguer ce paysage humanisé de la France que nous connaissons aujourd’hui. L’emploi de la charrue tractée, de la moissonneuse, du marnage et de la fumure ont permis au Gaulois de nourrir une importante population et de subvenir aux besoins de la guerre. Ainsi, lorsque la Gaule devint romaine, elle constitua alors un des tous premiers greniers agricoles de l’Empire.
Les Gaulois étaient également de talentueux artisans maîtrisant les arts du bois, de la métallurgie et de l’orfèvrerie et ont légué quelques grandes inventions dont le tonneau et la cotte de mailles, par exemple.
En conclusion, cet ouvrage est conforme à la marque de la collection « expliqué à… » du Seuil, un propos clair, vivant et détaillé par un spécialiste français du sujet.
Comme pour les autres livres de la collection, on regrettera l’absence d’illustrations, préjudiciable dans un livre destiné en partie aux enfants, ainsi que l’absence d’une bibliographie même succincte pour approfondir le sujet.
Cependant, on sera réceptif au message civique glissé par Jean-Louis Brunaux, en conclusion de l’ouvrage, sur le rôle fondamental des migrations successives dans la constitution et l’identité d’un peuple… A bon entendeur…
Sébastien Coupez