La collection Histoire Vivante ayant déjà fait l’objet de plusieurs recensions dans la Cliothèque, on ne reviendra que brièvement sur ses caractéristiques : dirigée par François Gilbert, par ailleurs président de l’association Pax Augusta, elle se donne pour objectif de proposer au grand public une vision concrète de l’aspect des combattants et civils du passé, en s’appuyant sur le travail des associations de reconstitution historique. Les reconstituteurs sont en effet de plus en plus nombreux en Europe, et, si leurs motivations peuvent être très diverses, une partie d’entre eux oeuvre au plus près des sources et des études sur le sujet, n’hésitant pas à pratiquer l’archéologie expérimentale. On ne s’étonnera donc pas de voir leur travail utilisé et mis en valeur chez Errance, éditeur traditionnellement orienté vers l’universitaire, par le biais de la dite-collection, qu’on pourra considérer comme de la vulgarisation haut de gamme.
Days of the future past
L’Antiquité y ayant été favorisée jusqu’ici, et après la parution de plusieurs remarquables ouvrages sur les Romains et Gaulois, il était logique qu’Histoire Vivante s’oriente maintenant vers les Germains, autres incontournables protagonistes de l’histoire de l’Europe Occidentale pendant ces siècles. L’ouvrage, comme de coutume, est dû à la plume de membres de la fédération Gallia Antiqua, créée en 2002 autour d’une charte mettant en valeur les soucis d’authenticité, de réalisme et de pédagogie. Il s’agit ici de Gontran Munier et Pierre André Kanape, qui dirigent le groupe de reconstitution Ordalies, consacré à l’évocation de la vie des Germains du Vème s.ap.J.-C. Il est classiquement composé de dossiers de 4 à 6 pages présentant chacun un type de combattant, à travers un texte (alliant une contextualisation à une description détaillée de l’équipement) et de nombreuses photographies en couleurs, un aperçu général du personnage étant complétée par diverses vues de détail. Quinze reconstitutions de combattants sont ainsi proposées, les auteurs ayant bénéficié pour certaines d’entre elles du concours d’autres associations françaises. Le cadre évoqué court de la célèbre bataille de Teutoburg (9 ap.J.-C.) remportée par les coalisés d’Arminius sur les trois légions de Varus à l’essor du royaume franc de Clovis au tournant des V-VIè s. ; aux portraits s’ajoutent trois encarts thématiques consacrés au scramasaxe (emblématique coutelas des guerriers germains), à l’organisation et aux tactiques de combat des armées germaniques, et à la technique de fabrication de l’épée damassée (dans laquelle les Francs excellèrent, particulièrement à l’époque mérovingienne).
La menace fantôme
Comme le reconnaît d’entrée de jeu la première phrase de l’ouvrage, « il n’a pas été simple de créer un ouvrage sur les Germains, du fait du peu de reconstituteurs en France à évoquer cette période ». On ajoutera que cette carence peut apparaître compréhensible au vu du peu de sources laissées par les Germains : comme le rappellent les auteurs dans leur introduction à l’ouvrage (p.13-14), la culture germanique étant essentiellement orale, les témoignages écrits qu’il nous reste à leur sujet sont majoritairement d’origine latine, et donc sujets à raccourcis et/ou partialité. A titre d’indication, on trouvera sur ce problème une très synthétique mise au point de Y.Le Bohec dans un récent ouvrage : L’armée romaine dans la tourmente, p.97-98. Compte-rendu ici : http://clio-cr.clionautes.org/l-armee-romaine-dans-la-tourmente.html#.U2S87tiKA5s. Quant à la documentation archéologique, elle est surtout funéraire, avec toutes les difficultés d’interprétation que cela suppose ; ce domaine n’a de plus guère été exploré en France. La couverture par l’historiographie française du thème reste donc bien incomplète, ce qui explique sans doute le caractère effectivement sommaire de la bibliographie ainsi qualifiée fournie p.93. Précisons cependant que, si le lecteur intéressé pourra avantageusement la compléter par d’autres références, il n’est pas anodin qu’elle soit très nourrie par les contributions figurant dans le beau volume Rome et les Barbares : la naissance d’un nouveau monde, issu de l’exceptionnelle exposition du même nom qui se tint au Palazzo Grassi de Venise en 2008. Sous l’égide, rappelons-le pour la petite histoire, de Jean-Jacques Aillagon, ancien Ministre de la Culture devenu administrateur délégué et directeur du dit-palais, propriété depuis 2005 du milliardaire François Pinault. Comme le précisent les auteurs, ainsi que François Gilbert dans un bref avant-propos (p.5-6), les Germains font en effet partie intégrante de nos ancêtres, au même titre que les Gaulois et les Romains qu’ils subjuguèrent dans la Gaule des derniers temps d’un Empire déjà moribond. De la fusion progressive et souvent agitée de ces différents creusets devait naître le monde féodal dont la France est issue. Et c’est effectivement un spectacle fort différent de celui de ces sauvages en peau de bête, naturellement barbares et destructeurs, fossoyeurs de la grandeur romaine, qui fut longtemps véhiculé par une vision cocardière conditionnée par trois meurtriers conflits contre nos voisins d’outre-Rhin, qui se dégage des pages de l’ouvrage. On appréciera ici à sa juste valeur le travail de reconstitution mené par les membres d’Ordalies et leurs comparses, qu’il s’agisse des autres associations (mention spéciale aux deux cavaliers cataphractaires ostrogoths des Portes de l’Histoire) ou des artisans, souvent eux-mêmes issus des mêmes groupes – on citera ici D’Artkaci, émanant directement d’Ordalies, ou l’Archéo’Art de Franck Matthieu, président des Leuki Domaine de prédilection de cette autre association de reconstituteurs : les mercenaires gaulois du début du IVè s.av.J.-C. – et qui viennent compléter l’investissement personnel indéniable de chacun dans la re-création des différentes figures présentées. Il illustre bien que, fiers combattants évoluant certes dans une société valorisant la guerre, les Germains nouèrent des rapports complexes avec Rome, à laquelle ils se confrontèrent à la fois comme ennemis, alliés et mercenaires. Les deux combattants quasi-intégralement équipés à la romaine de la fin du IVè s. mis en scène p.32-35 et 38-41 témoignent ainsi de leur intégration croissante dans le destin de l’Empire ; les belles reconstitutions issues du trésor de Pouan Découvert en 1842 près du village du même nom, sur les rives de l’Aube, dans l’actuelle région Champagne-Ardenne. (p.66-69), des tombes de Gültlingen (alamane, p.70-73) et de Blucina (suève ou hérule, p.74-77) permettent de percevoir le raffinement de leurs élites. Nonobstant quelques coquilles et maladresses, toutes ces évolutions sont bien mises en valeur dans les paragraphes de contextualisation, le texte des descriptions, forcément plus spécialisé et pointilliste, restant pareillement accessible.
Complété par une carte en double-page représentant les territoires romains et barbares au milieu du Vè s. (ce qu’il n’aurait pas été inutile de préciser à l’intention du lecteur néophyte), par une chronologie détaillée (p.7-9) et un glossaire (p.91-92), l’ouvrage de G.Munier et P.-A.Kanape représente donc un louable effort sur un sujet qui reste, par carence des sources, assez délicat à aborder. On est bien plus ici dans le domaine des possibles que dans celui des certitudes ; les auteurs le savent, et le sérieux de leur travail justifie amplement l’intérêt.
Stéphane Moronval Copyright Clionautes