Cet ouvrage est né avec la série de rénovations entreprises au château de Versailles, celle de la grande Galerie et celles d’autres plafonds, ces chantiers qui, dans les années 2003 à 2007, ont fait lever le regard des chercheurs vers les grands décors peints et les ont incité à monter sur les échafaudages afin de comprendre le phénomène de galerie européenne et de son langage iconographique. Envisageant ce phénomène curial à l’échelle de la civilisation européenne, Béatrix Saule, alors conservateur en chef et conservateur général du Patrimoine, directrice du Centre de Recherche du château de Versailles, entreprit de constituer une base de données, afin de fournir des sources aux chercheurs et de faire un inventaire typologique des galeries en Europe, programme qui s’acheva par un colloque tenu en décembre 2007 dont ce livre constitue les actes.
L’ouvrage est constitué d’une première partie sur l’objet théorique dans les sources et les traités. Une seconde partie traite du décor et de l’iconographie dans les galeries. La partie suivante s’interroge sur les fonctions, les usages et la vie quotidienne dans les galeries. La quatrième partie montre la postérité du phénomène, dans les dessins d’architecture, ou dans la reconstitution de la grande Galerie de Versailles au Herrenchiemsee en Bavière.
Accès à la base de données en collaboration avec la Bibliotheca Hertziana de Rome et l’Institut Max Planck de Berlin:
http://www.chateauversailles-recherche.fr/francais/ressources-documentaires/bases-de-donnees-en-cours-d/base-sur-les-grandes-galeries-des.html

L’alliance du rythme et de la symétrie

Le phénomène de galerie apparaît d’abord dans les châteaux royaux et princiers français comme le rappelle Claude Mignot, au XVIe siècle. Il gagne les hôtels particuliers à la fin du XVIIe siècle avant que certaines galeries royales soient elles-mêmes transformées en appartement apportant confort et intimité. Ce décalage de mode ne s’atténue qu’au delà du XVIIIe siècle.
Se distinguant des loggias, des portiques, la galerie française occupe des positions variées dans les maisons et palais. C’est souvent un promenoir où l’on circule couvert. C’est un vrai axe de circulation comme les quatre galeries de pierres hautes et de pierres basses à Versailles. Progressivement apparaît, pour certaines, la fonction de réception, à usage plus ou moins restrictif avec des accès officiels et d’autres plus discrets. La galerie existe avant que se dédoublent les appartements français, entre appartement de parade et appartement de commodité.
Les galeries sont meublées selon la fonction qui leur est attribuée et la composition, qui se fixe dans la seconde moitié du XVIIe siècle, laisse l’espace central dégagé. Les consoles prolongent le décor des murs, couverts de bibliothèques ou de tableaux, de stucs ou de décors de marbre, d’écailles, de glaces reflétant les collections pour les espaces de prestige accentués par les somptueux médailliers, statues, bustes et scabellons, bronzes et vases de cristal de roche… Les sièges, canapés dans les niches, banquettes ou fauteuils, chaises, bergères ou voyeuses forment un décor mobile, ponctuant l’espace de leur masse et de leur couleur. Les meubles d’ébénisterie restent rares en raison de leur cherté. Les tables sont dressées si nécessaire tandis que progressivement la galerie se sépare de la grande salle destinée aux repas. La galerie reste longtemps un espace festif. Les mélanges de matières nobles évitent toute monotonie, donnent une impression d’abondance tout en évoluant vers un ordre bannissant toute accumulation ou impression de confusion.

« Observer les allants et les venants » dans la galerie


La galerie devient un lieu d’apparat au décor particulier. Des galeries comportent des séries de peintures, des représentations conformes au goût du commanditaire. Celles du Saint Empire deviennent des galeries de collection selon un ordre identifié dans l’appartement de parade lorsque que se désorganisent les Kunstkammern. Dans la tradition des Habsbourg, se trouvent des collections purement historiques et des décorations emblématiques, servant à illustrer notamment la continuité dynastique. La galerie des Hommes Illustres s’installe en France au Louvre, chez le financier Zamet ou à Beauregard où elle est encore visible. Ce type de galerie peut à l’occasion jouer le rôle de galerie d’éducation pour les enfants princes où ils devisent sur les vertus supposées de leurs ancêtres. La galerie des Médicis intègre dans le décor, des savants et des artistes, faute de pouvoir revendiquer des ancêtres prestigieux tandis que la galerie commandée à Jacob Bunuel pour le Louvre en 1607, montre des couples royaux indiquant l’importance de l’alliance Médicis face à la dynastie des Bourbons. En Espagne, dans la galerie se met plutôt en place un discours allégorique avec des grands décors à fresque (de Tiepolo…) très datés au XVIIIe siècle, qui montrent l’étendue de la Couronne et énoncent la gloire monarchique fondée sur un ensemble de territoires et de peuples répartis dans le monde entier, issus d’un passé glorieux de succès militaires, unifiés dans l’amour porté à leur souverain. A Vienne, on souligne plus généralement la diversité des Nations soumises au pouvoir autocratique qui, cependant, assure la paix pour favoriser le développement économique. La galerie italienne est d’abord un lieu de fêtes, puis un théâtre de l’exercice du pouvoir où la géographie politique s’exprime par de somptueuses cartes, mais également une galerie de réclame de la production de l’Etat. Il reviendrait à Marie de Médicis, l’idée du décor illustrant les exploits d’un souverain dans la galerie du palais du Luxembourg vers 1620.
A Versailles, dans la concurrence entre l’architecte et le peintre, entre Jules Hardouin Mansart et Charles Le Brun, se joue la définition de la galerie, espace architectural ou espace destiné à manifester un langage politique. L’espace de la galerie est d’emblée défini sur une échelle plus grande que le reste des appartements, ce qui est donner beaucoup d’importance au vocabulaire architectural, entablement, consoles et pilastres. Mais la voûte occupe elle-même la moitié de l’élévation, ce qui est donner beaucoup d’importance au décor peint. Impossible de départager le peintre de l’architecte dans les goûts du roi. La solution retenue fut celle qui favorisait un entablement élevé supporté par des pilastres autour de fenêtres, amoindrissant la surface de la voûte. Hardouin Mansart l’emporta, quitte à entraîner le remaniement des élévations extérieures des fenêtres sur la façade sur jardins. La galerie est une affaire d’architecte que surlignent les marbres, les décors sculptés, les trophées renforçant encore la ligne horizontale de l’entablement surdimensionné. Une telle galerie positionnée, non pas latéralement comme c’est souvent le cas, mais sur la plus belle façade, retirant alors la lumière aux appartements, apparaît bien comme un choix fort du souverain qui tient cependant à respecter la transparence est-ouest. Un choix fort tout comme le décor de la galerie, ce décor contemporain où le roi n’est pas Apollon mais fréquente des dieux qui l’aident et le conseillent. Elle apparaît bien comme le centre quotidien du système curial, salle des pas-perdus en attendant l’audience royale, salle où se forme le cortège royal quand le roi sort du salon de son appartement privé, juste en dessous de la représentation de la voûte « le roi gouverne par lui-même », salle de déambulation des courtisans propices aux rencontres et intrigues, salle des soirées d’appartement entre Toussaint et Pâques, avant de servir parfois de salle des grandes cérémonies lors des réceptions des ambassadeurs, de salle de bal lors des mariages, mais salle qui peut appartenir à l’appartement privé du roi lorsque celui-ci le décide. Galerie emblématique que celle de Versailles, mais aussi galerie aux fonctions multiples qui se modifient selon les usages domestiques de la cour et du roi.
Une malicieuse comparaison de la galerie des glaces avec celle des batailles entraîne Claire Constans à accorder plus de valeurs morales, politiques à la galerie voulue par Louis Philippe qu’à celle de Louis XIV, affirmant son caractère officiel et national lisible et compréhensible de tout visiteur. De manière identique, la galerie de Louis II de Bavière au Herrenchiemsee n’est pas seulement un hommage à Louis XIV mais bien une concrétisation architecturale du propre concept de souveraineté monarchique de Louis II. C’est également une interprétation par le souverain bavarois de ce qu’aurait du être, selon lui, le décor de Versailles, en le rendant plus lisible et plus puissant par une reproduction en volume.
Impressionnantes par leur taille, leur hauteur, différentes par leur position dans le palais, variées par leurs décors, multiples par leurs usages, amplement décrites dans des fonds d’archives variés, des recueils de plans ou des esquisses, elles constituent cependant un élément d’unité de l’architecture curial en Europe. Ensembles d’art total, elles sont le fruit de multiples échanges, d’aller-retours même anachroniques (en fonction des restaurations), d’emprunts de techniques ou de solutions. Les gravures et illustrations en couleur de cet ouvrage donnent des clés de comparaison notamment en ce qui concerne l’accrochage des oeuvres dans les galeries, si difficile à comprendre. C’est un outil de travail indispensable par son index par Etat des galeries, encore visibles ou disparues et son index des souverains et des artistes. Ce livre offre un tour d’Europe unique des galeries pendant plus de trois siècles. La synthèse qu’il offre sur le plan chronologique, géographique, iconographique, sur celui des arts graphiques et décoratifs est une vraie nouveauté touchant à l’histoire de l’art mais aussi à l’histoire des usages de la cour.

Pascale Mormiche