Ce livre est le catalogue d’une exposition « Alimentation et pénurie en temps de guerre », visible depuis le 13 avril et jusqu’au 29 janvier 2018 au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon.

Un catalogue d’exposition richement illustré qui permet…
L’ouvrage est constitué d’une préface, d’un avant-propos, de six grandes parties, d’un épilogue et d’une bibliographie. Il est l’oeuvre d’une quinzaine de contributeurs. Chaque thème fait l’objet de deux ou trois chapitres. Il faut souligner aussi la variété et la qualité des documents présents dans l’ouvrage. Pour celles et ceux qui veulent se faire une idée de l’exposition, c’est ici.

…une autre approche de la Seconde Guerre mondiale

Dans la préface et l’avant propos, Jean-Dominique Durand et Dominique Veillon présentent le sujet. Cette exposition, et donc son catalogue, s’inscrit dans un renouvellement des approches sur la Seconde Guerre mondiale qui intègre davantage des éléments d’histoire sociale culturelle. Ce thème permet aussi d’essayer de faire revivre ce que pouvait signifier vivre en temps de guerre avec l’angoisse du quotidien. Mais le sujet est plus vaste car il permet aussi d’aborder la question de la mémoire. L’alimentation est donc un bon angle d’étude qui permet aussi par exemple d’introduire des variations locales. Cela peut aussi être connecté à d’autres aspects : ainsi quand les gens font la queue pour s’alimenter, la file peut être aussi le lieu où se développent des rumeurs.

Organiser la pénurie

L’ouvrage commence donc par l’obligation d’organiser la pénurie. Fabrice Grenard pointe un paradoxe car ce rationnement se fait au nom de la justice sociale alors qu’il va rapidement montrer son incapacité à le faire. Il faut également une administration pour l’organiser et celle-ci devient vite honnie. Rappelons que le ravitaillement continua jusqu’en 1949 et que ce service employait 25 000 personnes en 1946. Ensuite, Hervé Joly propose une approche locale à travers le cas de l’industrie alimentaire lyonnaise. Il faut remarquer que ce n’est pas pour cette région le principal secteur économique, mais l’approche reste néanmoins intéressante. On verra notamment des exemples de pochettes classe-tickets qui révèlent bien ce que représentait la peur de perdre ses tickets.

Déjouer la pénurie

Le chapitre aborde l’idée du « marché rose », c’est-à-dire ces colis qui venaient de la campagne, envoyés souvent par d’autres membres de la famille. Christophe Capuano aborde un aspect très intéressant, celui des jardins familiaux, car il démontre qu’étudier l’alimentation est un bon biais pour comprendre l’époque. En effet, on assista à l’époque à la multiplication des jardins ouvriers, mais le nombre de jardins resta en même temps insuffisant. Cette augmentation conséquente qui pourrait être vue comme une victoire des messages diffusés par le régime de Vichy et un retour de l’esprit paysan, se révèla être en réalité un signe tangible que le régime échouait à nourrir sa population. Un deuxième article s’intéresse au marché noir en général où Fabrice Grenard rappelle que le prix d’un produit pouvait être multiplié par dix. Un troisième article plus spécialisé est dédié au cas du tabac : « le paquet de cigarettes a représenté la monnaie d’échange par excellence ». La pénurie était telle qu’on a vu se développer des boites à mégots. Il y eut même un concours du meilleur succédané de tabac et des chansons pour parler des restrictions.

Parer aux difficultés, le rôle central des femmes

Face à cette problématique de l’alimentation, il faut insister sur le rôle central des femmes. A l’époque, on vit se développer une « culture de la frugalité » avec la diffusion de conseils pour la conservation des aliments. Cela était indispensable pour les colis que des femmes envoyaient à leur mari retenu prisonnier dans un stalag. La frugalité est aussi présentée comme une vertu par le régime de Vichy.
Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon abordent le cas très original de « l’alimentation et de la santé à travers les magazines féminins ». On découvre que Marie Claire a été créée en 1937 et ce qui plaisait alors c’était son aspect américanisé et le fait qu’elle abordait la nécessité de prendre soin de son corps. Plusieurs revues de l’époque livrent d’incroyables astuces et trucs avec entre autres une boisson de table rafraichissante à base d’aiguilles de pin, violette, fleurs de sureau, raisins secs et saccharine. Il ne faut pas oublier qu’une des conséquences de cette alimentation déséquilibrée durant la guerre se traduisit par des retards de croissance pour cette génération.

S’alimenter, enjeux et propagande

La question de l’alimentation est bien centrale car si un régime ne parvient pas à le faire, cela peut indéniablement remettre en cause sa légitimité. Florence Saint-Cyr Gherardi traite de «  se ravitailler dans les maquis de l’Ain ». Enfin, Edouard Lynch livre une très intéressante analyse sur le mythe des campagnes sous Vichy. Le sous-titre se focalise sur « l’impossible figure du paysan dans les actualités françaises ». Il y avait un décalage entre la figure d’un agriculture nourricier et ce que percevaient les Français au quotidien.

Subir la malnutrition

Cette partie poursuit la question du ravitaillement en s’intéressant à présent aux conséquences. Le premier article aborde le cas de « l’Académie de médecine face aux pénuries alimentaires », puis Vincent Briand se focalise sur « l’assiette vide : aperçu des usages alimentaires en détention ». Ce chapitre se caractérise aussi par plusieurs documents remarquables comme ces recettes incroyables de Germaine Tillion qui, sous forme d’acrostiches, livraient en réalité des noms de responsables de Ravensbruck.

Evocations

La question de la mémoire est devenue incontournable quel que soit le sujet que l’on aborde. Le catalogue d’exposition propose donc une série de quatorze témoignages sur le souvenir de cette période de manque. Il ne se limite pas à cet aspect et propose d’étudier « La nourriture sous l’occupation au cinéma ». Nicole Janin-Foucher souligne qu’il faut évidemment distinguer les films tournés sous l’Occupation et les oeuvres postérieures. Si « Le corbeau » ne propose aucune mise en scène de repas, « Le dernier métro » parle en revanche de cette réalité avec le prix des aliments ou encore le transport de nourriture dans un étui à violoncelle. Bernard le Marec conclut en montrant comment le quotidien peut être « objet de collection ». En effet, à l’époque tout a été rationné et il existait des tickets pour tout : de la carte de grossesse au bon de cercueil. On peut aussi collectionner les objets liés au rationnement comme les classeurs pour les tickets de rationnement. Mais il ne faut pas oublier d’autres aspects comme les bonnes manières de l’époque qui disaient de ne pas accepter le morceau de sucre pour le café quand on était invité chez quelqu’un.

Au final, et sans avoir vu l’exposition, c’est un catalogue très intéressant qui aborde de nombreux aspects de la vie quotidienne et qui montre que l’angle de l’alimentation et de son rationnement peut être très pertinent pour faire comprendre cette époque. A ce titre le compte-rendu est prolongé par un article sur Cliolycée.
Pour feuilleter quelques pages, c’est ici.

Utiliser le livre ans le cadre du programme de 1ère technologique

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes