Napoléon appréciait le confort bourgeois, mais il savait mettre en scène un faste, hérité des siècles passés, cependant adapté à son goût et au service de sa gloire. Explorer les lieux de Napoléon permet d’évoquer ses habitudes quotidiennes.
Les résidences consulaires puis impériales contribuent à l’affirmation de son pouvoir. Ce nouveau livre de Charles-Éloi Vial propose une histoire originale de l’Empire sous le prisme des demeures et des lieux de passage de Napoléon en France ou en Europe, décrits avec beaucoup de précision. On y découvre les aménagements, et la vie qui s’organise dans ces espaces autour de l’Aigle entouré de ses proches, ses collaborateurs et ses serviteurs. Les normes de l’étiquette sont très strictes.
L’Empereur se satisfait difficilement de son logis. Il préfère Saint-Cloud à l’Élysée, jugé trop petit, humide et bas. Il cherche à imposer sa marque sur les demeures de ses prédécesseurs, à défaut de disposer de temps pour en bâtir de nouvelles.
De nombreuses résidences
Charles-Éloi Vial consacre de longs passages ou chapitres aux lieux les plus prestigieux ou emblématiques : Ajaccio, Brienne, La Malmaison, Les Tuileries, Saint-Cloud, Fontainebleau, Rambouillet, Compiègne, Trianon. Le vaste territoire de l’Empire est aussi parcouru (Italie, Belgique, Hollande…). Plus généralement, l’auteur nous livre un tour de l’Europe napoléonienne, liée au conquérant, des plus précis. Puis « les lieux de l’infortune » sont décrits (l’île d’Elbe, l’Élysée pendant les Cent-Jours).
Au chapitre de « l’Aigle en cage », dans cet ultime périple, les navires sont même convoqués, tels que le Bellerophon et le Northumberland, avant que l’illustre captif finisse sa vie à Longwood House.
Un exemple significatif : Malmaison, un des principaux lieux de pouvoir sous le Consulat
La demeure appartenait à Couteulx du Molay un député élu du tiers état aux États généraux, accusé d’avoir conspiré pour délivrer Louis XVI du Temple. Avec la chute de Robespierre, il évite la guillotine, mais ruiné, il vend son domaine. Joséphine l’achète en 1799.
Cet achat consacre la réussite sociale du jeune général. La propriété devient un lieu de luxe et d’élégance. Les aménagements sont fréquents et nombreux. Par exemple, la salle du conseil est couverte de coutil rayé bleu et blanc, évoquant la tente militaire. Occupé par la mise en place du Consulat, Bonaparte séjourne que vingt-trois jours à Malmaison en 1800 (cent vingt-quatre en 1801). Devenu empereur, il délaisse peu à peu le lieu.
En avril 1806, il y réunit pour une dernière fois un conseil. L’auteur raconte assez précisément le contexte du dernier séjour, du 25 au 29 juin 1815, après la défaite de Waterloo. Il revoit son amante Marie Walewska accompagnée de leur fils Alexandre, mais aussi d’autres fidèles, comme le comédien Talma, le médecin Corvisart, ou le maréchal Soult. Enfin, il fait ses adieux à Hortense et ses enfants, puis à Madame Mère. Pressé par le gouvernement provisoire qui cherche à éviter une capture, il se résigne à quitter Malmaison pour échapper à la menace prussienne, et finit par « monter en voiture pour accomplir sa destinée » (selon les mots du général Beker dans un message adressé à Davout), regrettant probablement les années dorées du Consulat, vécues dans cette demeure.
Un empereur en itinérance
Au fil des pages, on saisit l’impressionnante mobilité de la cour impériale. C’est tout une organisation qui se déploie à chaque déplacement. A partir de 1804, la Maison de l’Empereur, qui emploie 2800 serviteurs, joue un rôle important. Duroc, grand maréchal du palais, est chargé de l’aménagement des résidences, de la Bouche, de l’organisation des déplacements et de la sécurité de l’Empereur. Caulaincourt, grand écuyer, assiste le grand officier dans ses missions exigeantes.
L’intendance générale de la Maison de l’Empereur est confiée à Daru à partir de juillet 1805. La dotation annuelle de la Liste civile s’élève à 25 millions de francs (soit 96 millions d’euros actuels), autant que celle attribuée à Louis XVI en 1791.
Une importante logistique est mise en œuvre lors de ses itinérances, qui l’écarte sensiblement du quotidien de ses soldats. Il n’apprécie guère l’habitat éphémère. Par exemple, il se plaît à loger au château de Pont-de-Briques plutôt qu’à la baraque édifiée pour la circonstance à Boulogne-sur-mer.
Depuis la campagne d’Italie, Napoléon a pris l’habitude de voyager dans sa propre berline, attelée par six chevaux. Au fil du temps elle est mieux équipée : matelas pliant, écritoire en acajou, meilleure suspension de la caisse, soufflet en cuir dans la prolongement de la caisse pour allonger les jambes. Comme l’écrit Castellane (aide de camp du général Mouton-Duvernet puis maréchal de France sous Napoléon III) : « Quand l’empereur voyage, il fait presque toute la route en voiture ; c’est fatigant pour les officiers obligés de suivre son carrosse. Lorsque Sa Majesté monte à cheval, elle est reposée. Elle croit qu’il en est de même pour ceux qui ont fait la route sur leurs chevaux ». Une trentaine de cavaliers armés escorte l’Empereur, suivi par une berline spéciale pour le service médical. Charles-Louis Cadet de Gassicourt est en charge de la pharmacie impériale (à partir de 1809). De manière générale, de nombreuses voitures et charrettes font la route à la suite de la berline impériale.
Le Garde-meuble est dirigé par Desmazis, dès 1806. Cette petite administration compte une trentaine d’employés, sollicitant les plus grands noms des arts décoratifs de cette époque : Jacob-Desmalter (ébéniste ayant jusqu’à 800 ouvriers dans ses ateliers), Galle, Lepaute (horloger), Thomire (bronzier), Biennais (orfèvre), mais aussi des industriels comme Pernon (soieries de Lyon), des manufacturiers de Sèvres, d’Aubusson, de la Savonnerie, et des Gobelins.
Les architectes Percier et Fontaine doivent faire face à l’augmentation du nombre de chantiers, au fur et à mesure que se multiplient les résidences fréquentées.
Au chapitre des « lieux éphémères », figure aussi la fameuse tente, rarement utilisée, comme dans la campagne de 1805, après Austerlitz. Elle comportait deux pièces : la chambre à coucher avec son lit pliant en fer et le cabinet, meublé d’une petite table à écrire, d’un fauteuil, et de deux tabourets pour le secrétaire et l’aide de camp de service. Napoléon en campagne préfère toutefois être logé dans une maison, un château ou une auberge, mieux chauffé et plus facile à protéger.
Charles-Éloi Vial prend le temps de faire revivre par le détail l’épopée napoléonienne et son héritage, sans concession, pour appréhender la personnalité de l’Empereur, en restituant son environnement. L’ouvrage est toujours bien documenté et s’appuie sur des témoignages contemporains, sans perspective d’entretenir la légende.
Du faste de cour à l’intime, entre démesure et simplicité de ces soixante-six lieux étudiés, la lecture s’avère très agréable. D’habiles thématiques et titres structurent le récit. Bien contextualisés, tous les chapitres peuvent être lus indépendamment, et sont complémentaires. On peut d’ailleurs utiliser ce livre comme un guide de voyage pour préparer une visite.