Jean Baubérot offre dans cet ouvrage une vision historique et sociologique de base, courte et synthétique, essentielle pour commencer toute étude impartiale sur la laïcité. Il constate que, même si la grande majorité des Français se dit attachée à la laïcité, elle ne sait plus la définir tant la confusion règne sur ce sujet. Il existe autant de représentations de la notion que d’acteurs sociaux. Longtemps de gauche, celle-ci se trouve sur la défensive face à l’appropriation de la droite décomplexée, populiste et extrême. L’auteur offre ici une étude de sociologie historique abordant les laïcités historiques et les nouvelles laïcités.

1- Les laïcités historiques – 1 : les laïcités religions civiles : vaincues en 1905, fortes aujourd’hui

Premier type de laïcité : la laïcité antireligieuse

Si la laïcité n’est pas l’anti-religion, cela forme malgré tout un courant de pensée déjà présent lors des débats de la loi 1905, autour de Maurice Allard, mais rejeté car ultra-minoritaire. Pour lui, l’État doit supprimer la religion qui est, dans la lignée de certaines pensées révolutionnaires, obscurantiste, faisant obstacle à tout progrès. Cette ligne existe encore, et se développe depuis les années 1980, dans différents camps, comme à l’extrême gauche dans un amalgame anti-religion et laïcité. Pour eux, la laïcité antireligieuse est un moyen de parvenir à la sécularisation complète, considérant que la liberté de conscience s’acquiert en s’affranchissant complètement de la religion, d’où le désir de gommer tout signe d’appartenance à la religion sur la sphère publique (signe, alimentation…).

Deuxième type de laïcité : la laïcité gallicane.

C’est un courant qui veut limiter la liberté de conscience, considérant la religion comme potentiellement dangereuse. Dans le débat de 1905, il s’incarne par Émile Combe et ses partisans, dans la continuité du gallicanisme des rois de France, caractérisé par le fait que l’État a le droit de s’immiscer dans les affaires religieuses, avec une quasi-séparation de la papauté et de l’Église catholique, et une tutelle sur les religions pour ne garder que celles qui lui semblent éclairées. Il ressurgit avec le manifeste de 1989 suite à l’affaire des foulards dénonçant les signes religieux et arguant que seule les institutions de l’École et de l’État peuvent éclairer les élèves, se méfiant de la société civile et de la famille. De même, après les attentats du 11 septembre 2001, l’obsession d’interdire les signes ostensibles (loi 2004 pour l’École, de 2010 concernant le voile intégral…) relève de ce courant.

2- Le laïcités historiques 2 : les laïcités séparatistes : victorieuses en 1905, dominées aujourd’hui

Troisième et quatrième types de laïcités : les laïcités séparatistes en 1905

Lors de l’élaboration de la loi de 1905, les laïcités antireligieuse et gallicane, au profit de deux laïcités séparatistes correspondent à celle de Ferdinand Buisson dans une optique individualiste et stricte, et à celle d’Aristide Briand – qui sera retenue – avec une vision collective inclusive. La première prônait une liberté de conscience en tant que liberté individuelle, se prolongeant par la liberté de culte, avec une séparation stricte de l’État qui restait indifférent à ces pratiques. La seconde, soutenue aussi par Jean Jaurès, prend en compte la dimension collective et l’existence des Églises, en les incluant, notamment par pragmatisme, pour que notamment l’Église catholique ne se révolte pas et accepte la nouvelle loi. Le but est d’en finir avec les conflits religieux.

Troisième et quatrième types de laïcités : les laïcités séparatistes aujourd’hui

Deux organisations laïques historiques s’y réfèrent encore de nos jours. D’une part, il y a la Libre pensée qui incarne la laïcité séparatiste stricte. Elle se montre par exemple contre tout vêtement religieux notamment à l’Université. D’autre part, il y a la Ligue de l’enseignement incarnant le laïcité séparatiste inclusive. Dans l’affaire des foulards, elle soutient l’arrêt du Conseil d’État contre la loi de 2004.

3 – Les nouvelles laïcités

Cinquième type de laïcité : la laïcité ouverte

Sous ce terme se rassemblent des groupes divergents. Ils critiquent la laïcité actuelle, réclamant une ouverture envers le spirituel et la religion. On la retrouve chez beaucoup de catholiques ou musulmans qui pensent que la religion est socialement utile. Ils souhaiteraient que l’État pense ainsi, afin qu’il se préoccupe davantage de la liberté de conscience dans l’élaboration de ses lois, privilégiant de fait davantage les croyants que les non croyants.

Sixième type de laïcité : la laïcité identitaire

C’est la droite et l’extrême-droite qui portent récemment cette nouvelle vision. Elle distingue les religions qui appartiendraient à l’identité de la France et celles qui seraient importées, insistant donc sur l’importance identitaire des « racines chrétiennes » de la France qu’il faudrait valoriser. Cela induit l’inégalité des citoyens, limitant la liberté de conscience et la séparation.

Septième type de laïcité : une laïcité « concordataire »

Cela concerne l’Alsace-Moselle. Ce n’est pas la loi de 1905 qui ne s’y applique pas, ce qui est validé par le Conseil Constitutionnel, mais le Concordat de 1801. En effet, pendant le vote de la loi, ces départements sont en terre allemande. Quatre culte sont reconnus : catholique, israélite, protestant luthérien et réformé. Les ministres du culte sont payés par l’État. Les communes versent de l’argent aux paroisses. Le président nomme les évêques de Metz et de Strasbourg. L’enseignement religieux est obligatoirement proposé à l’École. Lors du rattachement à la France, on garde le droit local. Ceci perdure.

A noter que, concernant l’Outre-mer, la loi de 1905 s’applique seulement en Guadeloupe, Martinique, Réunion, Saint-Barthélémy et Saint-Martin. La Guyane, par exemple, est soumise à l’ordonnance royale de Charles X où la religion catholique est religion d’État.

4- Quelques raisons du glissement de la laïcité dominante de gauche à droite

Laïcités et seuils de laïcisation

Baubérot distingue trois seuils de laïcisation. Lors du premier, de 1789 à 1905 , la médecine et l’école concurrencent la religion. Ces institutions sont légitimées par l’État. De nouveaux cultes sont reconnus. La loi 1905 crée un second seuil fondé sur la croyance au progrès, dans lequel la religion doit prendre la forme d’association, n’étant plus un service public. La liberté de conscience est ouverte et optionnelle, alors que l’école et certains actes médicaux sont obligatoires. Entre 1968 et 1989 apparaît le troisième seuil caractérisé par la méfiance à l’égard du progrès et des institutions. Le monopole de la santé par la médecine, celui de la connaissance par l’école et celui de la morale par les religions disparaissent en raison de concurrences multiples telles le développement des médecines douces ou des médias.

« L’ignorance conduit à la servitude »

Certains veulent changer la laïcité pour une nouvelle, de droite ou de gauche. Encore faut-il connaître celle de 1905 et montrer en quoi elle est défectueuse. Beaucoup demandent à la durcir au nom du communautarisme, que l’on ne sait comment définir. Cependant, les rapports sociaux ont beaucoup changé avec les nouveaux médias. Chacun dialogue de plus en plus avec ses semblables. Ressasser en boucle ses problèmes fait accroître le sentiment d’être une victime ou un bouc émissaire, ce qui coupe court à toute empathie. Tout cela engendre de la peur, qu’il faut surpasser.

Au lieu de rester stigmatisant ou nostalgique, Jean Baubérot finit par proposer un grand débat public permettant de dégager des propositions fortes, novatrices et d’avenir.