Une approche du quotidien d’Anatole Deibler, bourreau à Paris au tournant du XXe siècle

En 1792, l’Assemblée législative adopte le recours à la guillotine pour l’exécution des condamnés à mort. Considérée à l’origine comme un geste particulièrement cruel, la décapitation va progressivement devenir un spectacle public tout au long du XIXe et au début du XXe siècle. Cette machine fascine les journalistes et le grand public.

Pour l’actionner, le recours à un bourreau est nécessaire. Il n’est pas un fonctionne salarié de l’Etat mais un contractuel recevant des honoraires mensuels. La transmission de cette tâche se fait souvent dans un cadre familial.

La famille Deibler est originaire du duché de Wurtemberg. L’un des ascendants de l’auteur, Johannes Deubler, était déjà en charge des exécutions à la fin du XVIIe siècle. Sa femme était également une fille de bourreau. Son arrière-petit-fils, Josef Anton Deibler, francisa son nom et s’installa comme agriculteur à Villeurbanne après avoir combattu les armées napoléoniennes. D’abord simple assistant du bourreau de Dijon, Joseph Deibler occupe ensuite le poste d’exécuteur en chef pour le Cantal. Une véritable famille de bourreaux, exerçant en France, se constitua.

Anatole Deibler naît en 1863. A partir de 1870, une seule équipe de bourreaux exerce en France : un exécuteur en chef et des assistants. Le jeune Anatole Deibler ne souhaite pas prendre la suite. Mais après avoir été contraint d’assister à l’exécution d’un prisonnier nommé Lantz à Versailles, Anatole Deibler part se former en Algérie en 1885, auprès de son grand-père maternel, Gustave Rasseneux. Quatorze ans plus tard, en 1899, Anatole Deibler sera nommé au poste « d’exécuteur en chef des arrêts criminels pour la France et la Corse » pour une durée de six ans. Il remplace son père Louis. Il occupera son poste jusqu’en 1939.

Le document préfacé par le journaliste suisse Gérard A. Jaeger et publié par l’Archipel est quasi-unique. A partir de 1891, Anatole Deibler rédige des comptes-rendus des différentes exécutions sur de petits carnets. Il décrit l’itinéraire du condamné, les faits et son attitude dans les heures précédents l’exécution de la sentence. Réveil matinal, habillement, écriture d’une lettre à sa femme ou à son avocat, acceptation ou refus d’écouter la messe, remerciements aux gardiens puis ligotage et positionnement sur la planche sont minutieusement décrits. Le couperet tombe et la dame du condamné termine dans un panier.

Exécuté à Versailles

Le 2 avril 1930

Mercredi, temps clair, 5h00

Le nommé Morice Marcel, Gaston, âgé de dix-neuf ans, garçon boucher né à Vrigny (Orne) le 26 avril 1910, condamné par la cour d’Assises de Seine-et-Oise le 29 novembre 1929 pour meutre et vol sur la personne de Madame veuve Darlan, vieille rentière de soixante-treize ans, sourde, presque impotente, habitant seule dans un petit pavillon isolé situé sur la commune de Franconville (Seine-et-Oise). […]

Le samedi 20 avrl 1929, vers 9 heures du matin, il se rendit à l’abattoir, s’empara d’une barre de fer appelée « cheville » qu’il cacha sous son tablier, puis il s’en fut directement à la ville de Madame Darlan, située au 133 de la rue de Paris à Franconville.

En apercevant le commis boucher, la rentière lui ouvrit la porte de son jardin et le fit entrer dans la cuisine. Morice présenta une facture à la septuagénaire, mais au moment où la vieille femme examinait la note, il lui asséna un fort coup de cheville derrière la tête. […]

Le lendemain, ayant liquidé le produit de ses vols, errant dans les bois, n’ayant plus en poche qu’un billet de cinq francs, il fut arrêté aux environs d’Argenton où sa présence avait été signalée à la gendarmerie. A l’audience, il reconnut avoir détourné environ 3000 francs.

De son naturel, le jeune assassin avait un caractère insensible. Pourtant, il envoya plusieurs fois quelque argent à sa mère, momentanément dans la gêne.

A l’audience, il ne s’est pas départi un instant de sa placidité et de son indifférence.

Il marcha courageusement à l’échafaud.

Tiré de : « Carnets d’exécutions (1885-1939) » d’Anatole Deibler, édités par l’Archipel, 2021, pages 188-189.

Le travail de bourreau amène Anatole Deibler à parcourir la France, que ce soit à Marseille, Rouen, Toulon, Paris, Périgueux, Douai, Dreux, Laon etc. Il exerce également une fois en Belgique et en Sarre, à la demande des autorités respectives. Les condamnés sont des jeunes hommes, majoritairement français mais également polonais. Les bandits de grands chemins y côtoient des anarchistes, des voleurs et des auteurs de parricide.

De 1891 à 1939, Anatole Deibler consigne à froid les exécutions dans huit petits carnets. L’écriture est une façon pour lui de justifier son geste. Les assassins de Sadi Carnot (Caserio en 1894) et de Paul Doumerc (Gorguloff en 1932) mais aussi Landru ont été exécutés par Anatole Deibler et disposent de quelques pages dans ses carnets.

D’abord publiés en 2004, la réédition bienvenue des carnets d’Anatole Deibler offrent un aperçu unique sur l’histoire de France en consignant les jugements et les dernières moments des condamnés à mort. L’introduction de Gérard Jaeger est riche d’enseignements sur l’histoire de exécutions, leurs rôles dans la société et pour l’analyse critique des carnets.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes