Il faut toutefois apporter une réserve de taille : ce qui est traité est très bien traité mais tout n’est pas traité.Comme on pouvait s’y attendre l’ouvrage, dirigé par Guy Baudelle (Rennes II, spécialiste d’aménagement) et Jacques Fache (Angers, spécialiste d’aménagement et des espaces de la haute technologie en particulier) avec la collaboration de chercheurs reconnus (Simon Edelblutte spécialiste de la Lorraine, Jacques Bonnet spécialiste de Lyon, Antoine Grandclément qui a soutenu en 2012 une thèse sur la Géographie des pôles de compétitivité : réseaux et territoires de l’innovation, etc.), est très centré sur l’industrie. Il traite peu des services les moins liés aux industries (en particulier le commerce, régulièrement tenu à part des services par les auteurs) et n’évoque pas l’agriculture, qui fait pourtant partie des systèmes productifs phares de la France. Il aurait sans doute fallu clairement annoncer en début d’ouvrage que ces secteurs ne seraient pas traités au profit d’un ouvrage très axé sur l’industrie.
Cette réserve étant dite, l’ouvrage est d’une qualité remarquable sur l’industrie. Il en dresse un panorama relativement exhaustif. La table des matières est très complète ; une table des illustrations et une table des sigles ainsi qu’une relecture de qualité confirment le sérieux scientifique de l’ouvrage. Ce dernier se divise en 5 parties.
- La première partie présente la notion de « systèmes productifs », la définit, en retrace l’épistémologie puis présente les grands enjeux de l’industrie en France.
- Ce panorama général est expliqué par une deuxième partie géohistorique, qui présente les systèmes productifs mis en place par le passé et leur héritage.
- La cohérence de la troisième partie est un peu plus délicate : elle porte sur les acteurs, les processus et les infrastructures.
- La quatrième partie est particulièrement intéressante pour avoir des études de cas approfondies et fouillées (même si tous les chapitres en comprennent naturellement) ; chacun de ses chapitres y propose une approche régionale (Toulouse, Lyon, le Grand Ouest, Paris mais aussi la Bretagne sud ou les villes moyennes), qui fournira une base d’exemples précises pour les concours mais aussi pour des cours dans le second degré.
- L’ouvrage se conclut par une partie sur l’évolution des politiques d’aménagement en lien avec l’industrie en France, de la déconcentration voulue par la DATAR (logique de rééquilibrage territorial après le fameux Paris et le désert français de Jean-François Gravier en 1947) à la logique inverse qui prévaut actuellement (concentration des financements sur les pôles les plus forts pour prendre un avantage dans la mondialisation, l’exemple canonique étant celui des pôles de compétitivité).
En dépit de quelques cartes qui ont été conçues en couleur et supportent mal le passage en noir et blanc, l’ouvrage présente de très bonnes illustrations, avec un cahier central de photographies en couleur. Le ton est donné d’ailleurs dès la couverture, une photographie aérienne de l’île de Nantes ; le lecteur appréciera le fait que dès l’ouverture du livre l’image est présentée sous la forme d’un croquis de paysage avec quelques lignes de commentaire. Les croquis à l’échelle locale (Toulouse par exemple) alternent avec des cartes à l’échelle de la France qui permettent de remettre en perspective les évolutions de la géographie de l’industrie. De nombreux organigrammes viennent illustrer le propos, tout comme des encadrés textuels (qu’il s’agisse d’extraits d’articles scientifiques ou de presse, ils viennent illustrer des points précis).
Il est impossible de rendre compte ci de toute la richesse de l’ouvrage. Mais il est possible de souligner encore quelques points forts. Le premier est la volonté de bien coller au titre de l’ouvrage : la géographie de l’industrie y est clairement présentée sous l’angle d’une approche systémique. L’industrie, avec ses impacts économiques, paysagers mais aussi sociaux, fait parfois (souvent ?) système. Tout changement d’un élément du système (niveau de formation de la main-d’œuvre, taxes, rupture technologique) modifie complètement le système. Son point d’équilibre se déplace alors. Le système peut alors se renforcer, s’il s’adapte par exemple à la demande mondiale ; ou il peut péricliter si son inertie est trop forte.
Un autre aspect qui revient tout au long de l’ouvrage est le souci du détail, de la précision, de la nuance (tout en mettant un format de 10-15 pages par chapitre qui facilite la lecture). C’est par exemple le cas à propos de la fameuse ligne « Marseille-le Havre » qui séparerait une France industrielle au nord-est et une France qui le serait moins au sud-ouest. Cette ligne ou ses variantes (« Saint-Malo-Genève ») est bien moins pertinente que par le passé, suite à l’industrialisation du nord-ouest de la France, et en particulier de la Bretagne. Une ligne nord-sud allant de la Rochelle à Oyonnax serait plus adaptée désormais, avec une France plus industrielle au nord. Mais ce serait oublier la ceinture des technopoles au sud. Et finalement l’industrie se trouve un peu partout en France, y compris en milieu rural (souvent en fait plus industriel que les villes du point de vue de la part des emplois dans l’industrie), y compris dans le sud de la France. Et globalement la ligne Marseille-Le-Havre reste encore en partie d’actualité ; simplement elle est moins structurante qu’il y a 30 ou 50 ans. De la même manière les auteurs soulignent combien la désindustrialisation de la France est à nuancer : l’externalisation explique que certains emplois auparavant comptés dans l’industrie le soient dorénavant dans les services puisque les services aux entreprises ont connu une très forte croissance ces dernières décennies, dans les domaines les plus variés (nettoyage, gestion informatique, etc.).
L’ouvrage Les mutations des systèmes productifs en France publié aux Presses Universitaires de Rennes présente donc de manière remarquable l’industrie française sous un angle systémique, en évitant et démontant les clichés. Ce souci de la nuance est celui qu’un candidat aux concours doit avoir ; c’est celui qu’un enseignant doit avoir afin de le transmettre aux élèves. La plus-value de l’ouvrage est d’autant plus forte qu’il est à jour des évolutions les plus récentes (jusqu’en 2014 au moins) ; or c’est essentiel sur une question comme celle de l’industrie, qui plus est avec la crise actuelle, qui accélère les mutations des systèmes productifs de la France.