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Comme la revue appartenant au même groupe, Alternatives économiques, Alternatives internationales sera désormais traitée par nos critiques à chaque numéro.
Ce numéro de juin associe articles de fond et actualité avec un certain recul, celui que permet un rythme de parution trimestriel.
Le dossier central de ce mois de juin, en attendant la parution de septembre, présente les nouvelles formes d’espionnage, dans la rubrique « enjeux ».
L’élément essentiel de ce qui peut apparaître comme un dossier, se situe dans la mutation de nouvelles formes d’espionnage, le terme officiel étant « collecte de renseignements », avec la collecte d’informations sur la toile et dans les réseaux numérisés.
Dans un article de Frédéric Autran, le lecteur apprendra, sur fond de polémique à propos de l’espionnage de la NSA, que le Pentagone sous-traite à des entreprises privées une large part de ses activités de renseignement. L’affaire Snowden en fournit une illustration, puisque ce « lanceur d’alerte » était en charge de la cryptographie et de la maintenance du parc informatique. Le recours au secteur privé amène le Pentagone a délivré des habilitations top secret, qui ne sont pas forcément gérées avec beaucoup de rigueur. De plus, les passerelles existent entre l’agence nationale de sécurité et la grande entreprise Booz Allen Hamilton, l’ancien employeur d’Edward Snowden.
On appréciera la présentation en repère des services de renseignement en France, qui cherchent à balayer tout le champ d’investigation en matière de sécurité. Les plus connus sont la direction générale de la sécurité extérieure et la direction du renseignement militaire ainsi que la direction de la protection et de la sécurité de la défense.
Le ministère de l’intérieur avec la direction générale de la sécurité intérieure, qui a remplacé la direction centrale du renseignement intérieur, de l’ère Sarkozy.
Très important également les deux services qui relèvent du ministère des finances : la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et la cellule de traitement du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins, plus connu sous l’acronyme Tracfin. Il faut savoir qu’un apport de plus de 3000 € en argent liquide au guichet de votre agence bancaire déclenche de façon automatique un signalement Tracfin. Mais de toute façon, pour la plupart des lecteurs de cet article, ce type de pratique doit être assez rare !
Parmi les nouvelles armes du renseignement, l’interception par des moyens électroniques est particulièrement développée, y compris à grande échelle dans un pays comme l’Inde qui compte 900 millions d’utilisateurs de téléphones portables. Les attentats commis par des terroristes pakistanais dans le centre de Bombay en novembre 2008 ont été un électrochoc qui a favorisé le développement d’un système d’écoute et d’interception des communications électroniques particulièrement sophistiqué. D’après l’auteur de cet article, Sébastien Farcis, il n’existe aucune loi dans la plus grande démocratie du monde qui protège le citoyen contre les interceptions.
Très intéressant également, pour tous ceux qui seront amenés à présenter l’expansion chinoise, le cas de l’entreprise Huawei, deuxième acteur mondial du secteur des télécommunications. Les équipements de cette entreprise sont présents dans 140 pays, et le risque de voir ses services servir de taupe au renseignement chinois est évident. Vu le poids de cette entreprise dans le secteur, il est pourtant difficile de l’exclure du développement des réseaux de communication. Les Britanniques lui ont imposé un service de contrôle particulièrement rigoureux avec le développement d’habilitations de sécurité strictes.
On apprendra également dans un article de Yann Mens que des entreprises, y compris publiques comme EDF, n’hésitent pas à recourir à des agences de renseignements privées pour anticiper les actions des militants qui cherchent à nuire à leur image. Greenpeace est une cible de choix pour ce type d’investigation.
Enfin, pour répondre une question souvent posée à propos de la modération sur la liste de diffusion des Clionautes, « qui modère le modérateur ? », Un entretien permet de répondre à cette question sans doute plus importante : « qui surveille les espions ? ». Jean-Pierre Sueur est président de la commission des lois du Sénat et membre de la délégation parlementaire renseignement, il répond, avec son collègue, Philippe Hayez, conseiller maître à la Cour des Comptes et ancien directeur adjoint du renseignement de la DGSE, à ces questions. En 2007 une délégations parlementaire renseignement a été constitué, elle compte quatre députés et quatre sénateurs, appartenant à la majorité comme l’opposition et dont l’activité est régie par le secret défense. Toutefois, contrairement à ce qui va se passer aux États-Unis, le contrôle parlementaire ne peut pas s’exercer sur les opérations en cours, mais s’exerce a posteriori. On apprend dans cet article qu’avec Chypre, la France est le seul pays d’Europe à ne pas disposer d’une loi statutaire sur l’ensemble de son dispositif de renseignement.
Parmi les autres articles de ce numéro de juin, on trouvera un excellent papier sur les limites des possibilités d’expansion de la Russie, qui connaît un certain marasme économique. Il semblerait que le chantage au gaz exercé par Vladimir Poutine ne se révèle inopérant. Cela est d’autant plus vrai que des perspectives de gisements offshore en Méditerranée orientale, au large d’Israël qui commence à exporter du gaz naturel cette année, de la Syrie, du Liban et, et même de la bande de Gaza, permettent d’espérer briser ce lien de dépendance avec la Russie. Ces informations sont également présentées dans la revue, page 50.
Toujours dans l’actualité le lecteur de ce numéro d’été pour retrouver trois articles de présentation de la situation au Nigéria avec une fiche sur Boko Haram, une description de la guerre au Soudan sud et enfin un bilan de la situation en Turquie. Dans ce pays le premier ministre Erdogan a pu développer une politique répressive mais avec un très large soutien électoral comme les dernières élections se confirment.
La rubrique « agir » est consacrée aux philanthropes. Des hommes comme Waren Buffet, Bill Gates, Léon Black et bien d’autres servent de modèle à de nouveaux philanthropes issus d’autres espaces géographiques comme l’Afrique, avec Tony Elumelu, théoricien de l’Africacapitalisme , à partir de l’exportation de matières premières, ou François Rebeyrol, un Français que l’on pourrait qualifier de microphilanthrope avec ses projets de réinsertion. La fondation familiale donne tous les ans un coup de pouce à une quinzaine d’initiatives à hauteur de 9000 € chacune en moyenne. Nous sommes très loin des montants engagés par Bill Gates qui consacre près de 35 milliards de dollars en 2013 à l’éradication des maladies, comme le sida et le paludisme.
Avec son format agréable, de très nombreux encadrés et une belle iconographie, la revue alternatives internationale est très accessible à un public d’enseignants. Il existe néanmoins une ligne éditoriale que l’on peut discuter, que l’on pourrait qualifier, mais avec d’infinies précautions, de « tiers-mondistes, ou encore altermondialiste », mais encore une fois en adoptant un sens de la nuance très affirmé.
Pour les critiques de la Cliothèque, il n’existe pas d’a priori idéologiques sur les publications qui sont traitées dès lors qu’elles répondent aux règles de l’éthique journalistique qui fonde également notre démarche. La présentation régulière de la revue Alternative internationale s’inscrit donc dans cette ligne éditoriale.
Bruno Modica