La mise au programme des concours de la thématique de la ville est propice à la parution de manuels mais aussi d’ouvrages de fond sur la question. Les éditions PUR (Presses universitaires de Rennes) ouvrent leur catalogue à cette thématique avec la question de l’étalement urbain (cf. L’étalement urbain, un processus incontrôlable ? Yanna Djellouli, Cyria Emelianoff, Ali Bennasr, Jacques Chevalier. PUR, 2010. 258 pages.) et à celle de la question des périphéries urbaines avec l’ouvrage ici présenté. Il faut dire que les espaces périphériques des villes sont aujourd’hui les territoires où se jouent des « dynamiques au moins aussi importantes à considérer que celles qui ont traversé, en leur temps, les villes-centres dans les années 1960-1990 » (p. 11) Les périphéries sont les « laboratoires de l’urbain » car c’est là que se joue la ville de demain. Les périphéries urbaines sont la nouvelle frontière de la recherche. L’objectif de cet ouvrage est de faire le point sur l’avancée des travaux engagés.

Maîtres de conférences en Aménagement et urbanisme à Rennes 2, Marc Dumont et Emmanuelle Hellier réunissent ici les contributions de collègues (géographes, urbanistes, architectes, aménageurs) français, européens et canadiens sur la question de ces espaces intermédiaires parcourus par les mobilités. Ces articles publiés sont le résultat des échanges qui se sont tenus lors d’un séminaire ayant eu lieu à la maison des sciences de l’Homme de Bretagne.

Habitat, habiter : formes et métamorphoses

Les mobilités quotidiennes interrogent la thématique de l’ancrage, au-delà de celle de la durabilité du mode d’habiter périurbain. Lionel Rougé revient ainsi sur le terrain mobilisé lors d’une thèse sur « Les captifs du périurbain » (2005) pour rendre compte du vécu périurbain et de ces évolutions. Le bilan, mené auprès des ménages de 2005 encore présents en 2009, est plutôt positif. Pour ceux qui sont encore là, la situation s’est améliorée et le sentiment d’enfermement est de moins en moins prégnant. Le quotidien des ménages s’est modifié et diversifié. Les mobilités ne sont plus seulement tournées vers l’agglomération toulousaine, dont ils étaient originaires, mais vers des petites communes qui offrent des services courants. Ce repositionnement réduit les distances tant en terme de temps que de kilomètres parcourus et rend ainsi la vie plus facile.

La maison individuelle est l’archétype de l’imaginaire périurbain. Sa place est analysée par Daniel Le Couédic (Institut de géoarchitecture de l’université de Bretagne – Brest). Si il montre comment les politiques étatiques d’aide à l’accession à la propriété ont alimenté le processus d’étalement urbain, il s’attache à nuancer les impacts paysagers. La thèse de Pauline Frileux (La haie et le bocage pavillonnaire : diversités d’un territoire périurbain, entre nature et artifice, 2008) a « montré que, contrairement à l’idée reçue, le système pavillonnaire faisait bocage et pouvait être crédité d’une valeur positive au titre de la biodiversité végétale et animale. » (p. 52).

Un autre élément de l’étalement urbain est constitué par les centres commerciaux qui sont de plus en plus excentrés et de plus en plus diversifiés (à l’hypermarché se sont rajoutés des enseignes spécialisées, des centres de restauration, sans compter les multiplex cinématographiques). L’espace disponible à la périphérie urbaine est le gage d’agrandissements futurs, inenvisageables pour une localisation à l’intérieur d’un quartier urbain. Les zones commerciales périphériques deviennent de nouveaux lieux d’urbanité et de centralité. La question de la gouvernance de ces espaces est posée, en raison des nombreux acteurs y agissent (élus, agriculteurs, résidents, associations locales). On retiendra, à propos des stratégies d’acteurs déployées, l’article de Marianne Thébert qui analyse les tactiques mises en œuvre par les municipalités de petits bourgs ruraux pour attirer des populations (mise en valeur de la centralité du bourg par des commerces, des équipements liés à la mobilité : parking) après que ces mêmes municipalités aient fait le choix de la réalisation d’une déviation routière.

Espaces ouverts émergents

Dans cette partie, les auteurs s’interrogent sur le destin de ces espaces interstitiels mi-agricoles mi-privés que les urbanistes tentent d’aménager. Or, il apparaît que les opérations engagées sont plus le fait des décideurs que les usagers eux-mêmes de ces espaces. Ce constat est avéré dans le cas d’un parc comme celui des Jalles aux franges urbaines de Bordeaux. La nécessité d’un parc n’est pas ressenti par les populations locales, propriétaires foncières qui disposent d’un jardin privatif. L’étude réalisée dans le quartier nord rennais de Villejean arrive au même constat. Pour l’échantillon d’habitants qui a accepté de répondre à une enquête, il apparaît que la liaison entre le parc urbain et les espaces agricoles ne se fait quasiment pas. Espace peu aménagé, l’espace agricole n’attire pas. Pour les populations urbaines, y compris celles vivant dans les grands ensembles, c’est un ailleurs et peu sont nombreuses les personnes qui s’approprient cet espace dans le cadre de leurs loisirs.

La ville de Stockholm, réputée pour être une ville verte (résultat combiné de la topographie vallonnée et rocheuse et d’une volonté politique développée après la seconde guerre mondiale) est aujourd’hui confrontée à une croissance urbaine importante (plus de 500 000 habitants d’ici à 2030) qui risque de mettre à mal la géographie des corridors verts (500 mètres de large en moyenne). La ville d’Ottawa présente, elle aussi, une ceinture verte (longue de 45 kilomètres et large de 2 à 10 kilomètres) située au sud de la ville. Cette ceinture verte est la concrétisation du plan d’urbanisme du français Jacques Greber élaboré dans la première moitié du XXème siècle pour mettre en valeur la capitale fédérale. Si l’objectif initial était de contenir l’urbanisation, force est de constater que le rôle assigné à la ceinture verte a évolué au cours de la seconde moitié du XXème siècle. C’est aujourd’hui une réserve d’espaces verts traversée d’autoroutes qui relient la ville centre et les banlieues. Le statut de cet espace est de plus en plus remis en question dans le cadre de la révision du Plan directeur de la ceinture de verdure.

Revisiter les modèles

C’est à l’analyse critique des modèles qu’est consacrée la dernière partie de l’ouvrage. L’exemple du réseau urbain belge, traité par Bénédicte Grosjean, illustre à la perfection à quel point la gestion de l’espace urbain est différente en Belgique et en France. On parle, en Belgique, de ville diffuse. Il faut comprendre par là que ce n’est pas la ville qui s’étend mais la campagne qui se densifie. On a là un inversement de paradigme par rapport à l’idée d’étalement urbain telle qu’on l’entend en France. C’est le résultat du réseau vicinal ferré très dense mis en place dès le début du XXème siècle et qui irrigue les campagnes, bien avant la généralisation de l’automobile.

Rémy Allain, comme Thérèse Delavault dans le dernier article de l’ouvrage, analyse le cas de la ville linéaire à partir du cas de Rennes – Saint Malo. Il faut entendre par là le projet d’aménagement théorisé par Arturio Soria Y Mata en 1862. Ce projet se veut une alternative aux formes d’extension urbaines déterminées par la centralité. Si l’exemple Rennes – Saint Malo s’avère assez peu opérationnel par rapport à l’hypothèse de départ, ces articles sont l’occasion d’exposer des modèles utopiques urbains avec plans à l’appui et de confronter la réalité du terrain à la théorie.

Au final, ce volume rassemble des contributions très diverses et très pointues à la fois par le choix des lieux comme des entrées pour étudier les territoires. Sa lecture s’avère fort intéressante car les articles soulèvent des problèmes centraux pour le devenir des villes. Voilà de quoi alimenter la réflexion des collègues qui ont à traiter la ville durable dans le cadre du nouveau programme de géographie de seconde !

© Catherine Didier-Fèvre