Ces dernières décennies, dans un contexte géopolitique mouvementé et du fait d’un intérêt accru de l’opinion publique pour ces nouveaux acteurs, les organisations non gouvernementales ont occupé la scène médiatique. Deux ouvrages parus fin 2006 aux Editions Autrement s’intéressent à cette question : deux approches qui sont, dans la présentation et le contenu, différentes mais complémentaires, ouvertes à des lecteurs différents.
«Les ONG, de nouveaux acteurs pour changer le monde» est publié dans la collection Monde d’aujourd’hui, une collection documentaire qui, en moins de 100 pages, s’adresse d’abord aux adolescents mais peut intéresser aussi les adultes et enseignants qui souhaitent faire un rapide point sur une question (Autres parutions : Le développement durable de Sylvain Allemand, L’entreprise de Serge et Philippe Hayat).
L’auteur, Joseph Zimet, est responsable des relations avec les ONG au sein de l’Agence française de développement et enseigne à Sciences-Po Paris dans le cadre du master « Affaires internationales ».
On comprend donc qu’il privilégie dans son ouvrage les ONG qui exercent à l’échelle internationale, dans les domaines de l’humanitaire, développement et défense des droits de l’homme, de l’environnement.
L’auteur replace les ONG dans le contexte nouveau de la fin d’un monde bipolaire et de la mondialisation (chapitre 1) : le monde a changé mais la pauvreté demeure et les ONG sont devenues des acteurs incontournables du développement. Bien que très diverses dans leur forme et leurs missions, leurs modes d’intervention (chapitre 3), elles ont tendance à converger dans des campagnes de plaidoyer international visant à modifier les opinions et influencer les décideurs, s’affirmant comme des contre-pouvoirs au-delà des actions de terrain qui suppléent souvent aux carences des Etats.
La mondialisation est un facteur de mutation des ONG qui, dans un souci d’efficacité mais aussi du fait de la concurrence, tendent à se professionnaliser et se spécialiser et donc à jouer le jeu de la compétition pour capter les fonds publics et privés (chapitre 4). Ainsi, après avoir contesté les mauvaises pratiques sociales ou environnementales des entreprises privées, les ONG ont tendance à se rapprocher de grands groupes en établissant des partenariats (WWF France avec le groupe Lafarge par exemple). Une stratégie financière mais une autre façon de peser sur les choix des grands acteurs économiques.
L’ouvrage valorise largement le rôle des ONG, sans dénier toutefois de relever le faible poids des ONG françaises : la France est le pays européen qui appuie le moins ses ONG avec seulement 1 % du budget total de l’aide publique au développement (ADP) contre 5 % en moyenne dans les pays de l’UE (plus de 10 % dans certains pays du nord de l’Europe). Par ailleurs, si les ONG sont devenues des acteurs du développement, elles sont aussi questionnées sur leurs actions, parfois remises en cause (chapitre 5) : les scandales ont pointé le manque de transparence de certaines d’entre-elles, ou leur fonctionnement peu démocratique (les MYONGO ou « My Own personal NGO » désigne ainsi les ONG unipersonnelles et échappant à tout contrôle). C’est surtout leur déficit de légitimité, leur représentativité insuffisante et surtout leur neutralité perdue qui sont remises en question, et qui s’opposent à leur objectif de défense de l’intérêt général : l’argument fort pour les ONG reste celui des donateurs et des adhérents mais elles défendent aussi et de plus en plus un mandat de l’opinion publique qui les plébisciterait pour agir, et défendre un intérêt général « global », qui dépasserait l’intérêt des Etats. De ce fait, beaucoup sont présentes dans le cadre du Forum social mondial, ONG du Nord et du Sud et appuient l’altermondialisme.
Le contenu est présenté sous une forme séduisante, colorée, avec une iconographie de qualité : photographies qui ont d’abord un rôle illustratif, quelques cartes et schémas pouvant être utilisés dans un cours ; on retiendra la carte du nombre de manifestants contre la guerre en Irak dans les grandes villes du monde, le 23 février 2003 : les estimations portent à 2 millions les manifestants londoniens, 3 millions à Rome ; ou celle des biodiversity hotspot qui désigne les régions du globe qui ont perdu 70 % de leur potentiel en matière de biodiversité.
Un ouvrage utile et à mettre dans tous les CDI.
La deuxième parution des Editions Autrement, dans la collection Acteurs de la société, s’intitule « L’humanitaire en turbulences, les ONG face aux défis de la solidarité internationale » Son auteur, Christian Troubé, a dirigé le mensuel Croissance et est journaliste à l’hebdomadaire La Vie : un parcours qui dit son intérêt pour l’humanitaire et les enjeux Nord-Sud.
L’ouvrage est centré sur les hommes, des hommes de terrain, des hommes de pouvoir, ceux qui font vivre les ONG, l’humanitaire en mouvement. Trente portraits émouvants – chaque portrait incarne une ONG – qui nous portent au cœur de l’action, qui disent les difficultés, les enjeux, les espoirs, les réussites mais aussi les dérives et les échecs.
Une longue introduction s’interroge sur la difficulté à cerner une ONG entre associations, Etats et institutions internationales, un mot devenu un mot-valise de la mondialisation ; on lui préfèrerait aujourd’hui le terme de « société civile ». Leur relation à l’Etat reflète toute l’ambiguïté de leur fonctionnement : à la fois dans la distance et dans la dépendance, dans tous les cas dans une coopération de proximité. Leur succès s’expliquerait, entre autres, par les craintes que suscite la mondialisation ; les réactions spontanées au tsunami ont montré que les ONG seraient les antidépresseurs des Français, porteuses de réponses globales à des problèmes globaux. Est soulignée aussi l’évolution de plus en plus nette vers la professionnalisation : dans la communication, la transparence financière, le fonctionnement administratif, l’élaboration et l’application des programmes …
Des constats, des évolutions que l’on retrouve dans les témoignages qui suivent, les trente portraits.
L’ensemble est structuré en 5 chapitres concernant chacun, selon un découpage thématique très classique, des types d’action différente : le développement, l’urgence, la reconstruction, les droits de l’homme, les actions citoyennes. Découpage contestable dans la mesure où bon nombre d’ONG se retrouvent aujourd’hui à cheval sur deux ou plusieurs types d’actions, et que les témoignages recueillis font parfois doublon. Mais ils ont pour eux l’intérêt d’une lecture, d’une prise de contact presque directe renforcée par des visages, portraits en noir et blanc de dirigeants ou bénévoles.
Le lecteur peut ne pas s’imposer une lecture linéaire, mais serait davantage séduit par une lecture au gré des mots, phrases recueillies des uns ou des autres pour introduire chaque portrait : « Souvent, devant les faits, la belle théorie de l’humanitaire engagé qui témoigne vole en éclats » ; « Trop d’argent qu’il faut dépenser vite et de façon visible peut tuer l’intelligence » ; « L’humanitaire n’est pas le royaume du bien où l’on vient se rassurer dans le camp des gentils » ; «Logique d’association ou logique d’entreprise ? Le débat parcourt aujourd’hui le monde du commerce équitable».
Pas d’analyse globale de la situation, mais des analyses ciblées sur des enjeux, fortes, sans détour. On y découvre une évolution nette vers l’institutionnalisation des ONG, leur professionnalisation (les Balkans auraient été un terrain favorable), la difficulté pour beaucoup à ne pas s’engager politiquement, à ne pas être dans l’empathie, dans l’affectif, sauf avec la victime, à rester aussi indépendantes des Grands (Etats, O.N.U.). Certains évoquent les possibles fusions – acquisitions dans le monde de l’humanitaire, le rouleau compresseur de la standardisation, d’autres contestent le reality show où chacun tente de planter son logo devant les caméras.
On trouvera cependant un dénominateur commun : le respect de la dignité de l’autre, l’importance du terrain, du contact, et la nécessité d’abandonner la vision civilisatrice encore tenace.
En guise de large conclusion, les échanges animés par François Troubé, entre Ronny Brauman (MSF), Benoît Miribel (Action contre la faim), Jean-Claude Fages (Fondation de France), Bernard Pinaud (CRID) autour du thème : « Légitimité, compétence, représentativité : les trois combats des ONG ».
La qualité du travail avant tout détermine la légitimité des ONG, mais aussi la capacité d’expertise, ou la capacité à mobiliser donateurs et opinion publique. Puis le temps fait le reste mais la professionnalisation reste essentielle : des qualités qui ont parfois manqué lors de la catastrophe du tsunami, selon Ronny Brauman : trop d’émotion, trop d’affectif, trop de médias ont brouillé la réflexion.
La compétence d’une ONG se mesure à son action dans l’espace du non gouverné avec toutes les limites que cela suppose. Mais quelles actions ? Suppléer aux services publics ? Distribuer de l’argent aux populations locales ? Financer des ONG locales partenaires ? Les contours de l’action humanitaire reste à préciser, et les interventions à organiser ; les mises en réseau d’ONG sont une des réponses.
Représentativité ne signifie pas médiatisation : la dérive existe, dans la concurrence pour capter les donateurs, parce que les ONG ont besoin pour exister d’un poids financier important. Il est préférable pour les ONG de s’orienter vers la mobilisation, la sensibilisation, le développement de nouveaux concepts (celui de secours aux personnes les plus vulnérables dépasse ceux d’urgence et développement), et toujours l’action sur le terrain meilleur gage de représentativité.
Un ouvrage qui n’est pas accessible facilement si on cherche des informations précises, mais qui propose un contenu sensible, qui pose questions, engage des réflexions, au cœur de cet humanitaire en mouvement que sont les ONG.
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