La revue Parlement[s]
Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés et des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
Cette revue a été publiée successivement par plusieurs éditeurs : Gallimard (n° 0) en 2003, Armand Colin (n° 1 à 6, H-S n° 1 et 2) de 2004 à 2006, Pepper / L’Harmattan (n° 7 à 20, H-S n° 3 à 9) de 2007 à 2013, Classiques Garnier (n° 21 et 22, H-S n° 10) en 2014 et, enfin, les PUR (depuis le n° 23 et le H-S n° 11) à partir de 2016.
La revue Parlement[s] n° 34 a pour thème : « Revêtir des idées : Habits, parures et politiques en France (XVIe-XXIe siècles) ». Ce trente-quatrième dossier a été coordonné par Catherine Lanoë (Maître de conférences en histoire moderne, Université d’Orléans, Polen). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la [Recherche] (avec 4 contributions de 4 chercheurs ou chercheuses, jeunes ou confirmées : Flavie Leroux, Pauline Lemaigre-Gaffier, Marguerite Martin et Emmanuel Fureix) et la seconde à des [Sources] (au nombre de 7) commentées par sept enseignants-chercheurs : Astrid Castres, Chloé Rivière, Géraud de Lavedan, Catherine Lanoë, Patrice Bret, Fanny Gallot et Maxime Boidy. De plus, dans ce numéro, nous trouvons des [Varia] (au nombre de 2, avec les contributions de Rémy Le Saout et François Ceccaldi) et à nouveau une partie consacrée à des [Lectures] (au nombre de 8) critiquées par 7 historiens (Julie Colaye, Raphaël Cahen, David Chanteranne, Frantz Laurent, Ralph Schor, Jérôme Pozzi et, enfin, David Bellamy) puis résumées par Jean-François Bérel, auteur des recensions de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique. pour le compte de « La Cliothèque », rubrique du site de l’association « Les Clionautes ».
En introduction (p. 11-23), Catherine Lanoë présente le dossier consacré à « Revêtir des idées : Habits, parures et politiques en France (XVIe-XXIe siècles) ». Le mouvement des gilets jaunes de 2019 a souligné, une nouvelle fois, que le vêtement et les couleurs sont politiques. Pourtant, le regard des historiens s’est peu porté, en amont de la production des discours et des symboles, sur les conditions matérielles et techniques de la construction de cette dimension. Et si le vêtement lui-même a donné lieu à des enquêtes menées sous cet angle, les accessoires de la parure ont rarement été abordés alors que, d’une manière ou d’une autre, ils renforcent la performativité du message politique. En se concentrant sur le cas de la France de l’Ancien Régime jusqu’au XXIe siècle, les contributions rassemblées dans ce dossier entendent montrer de quelles façons les couleurs, les matériaux, les formes, les agencements des vêtements et des parures qui leur sont associées – fleurs, bijoux, broderies, rubans, perruques et autres accessoires – deviennent politiquement opératoires. Riches, complexes, sans cesse renouvelés par l’investissement des pouvoirs qui les accréditent et par les acteurs sociaux qui en font usage, ces systèmes vestimentaires et de parure revêtent des idées et se prêtent particulièrement à la construction et à l’affichage d’un message ou d’une identité politique, qu’ils intègrent l’ordre établi, le soutiennent, le critiquent ou le subvertissent. D’où l’intérêt de ce trente-quatrième numéro de Parlement[s]. Revue d’histoire politique.
[RECHERCHE]
R 1- « Un uniforme de la faveur au service du pouvoir royal ? Usages politiques de la parure chez les maîtresses d’Henri IV et de Louis XIV : (p. 27-46)
Flavie Leroux (Docteure en histoire, attachée de recherche au Centre de recherche du Château de Versailles)
Il est généralement entendu que les maîtresses royales représentent une vitrine du pouvoir. Cet article entend évaluer la pertinence de cette vision, en l’articulant à la question de la parure : existe-t-il un « système » de la faveur au féminin associé à une manière particulière de se montrer, telle un uniforme ? En confrontant les sources de la pratique aux témoignages contemporains, il s’agira de mesurer le rôle que revêt l’ostentation des atours, entre usages pragmatiques et discours politique.
R 2- « Privilèges d’entreprise et culture des apparences dans la France des XVIIe-XVIIIe siècles : (p. 47-66)
Pauline Lemaigre-Gaffier (Maîtresse de conférences en histoire moderne, Université Paris-Saclay/UVSQ, laboratoire DYPAC)
Sur la base d’une enquête collective, cet article rend compte des usages économiques et politiques du privilège dans le domaine du textile et des apparences dans la France d’Ancien Régime. Par la concession de droits distinctifs, l’administration royale est garante de la qualité de biens au cœur du système productif et des nouvelles pratiques de consommation. Elle s’avère ouverte à la diversité des produits – au-delà de la promotion du luxe en lien avec une conception inégalitaire et mercantiliste du commerce des choses et des hommes.
R 3- « Combattre en habit bleu ? Symbole politique et contraintes économiques de l’approvisionnement en colorants sous la Révolution et l’Empire : (p. 67-84)
Marguerite Martin (Maître de conférences en histoire moderne, Université Panthéon-Sorbonne, IDHES)
Cet article explore les relations entre le symbole politique représenté par la couleur des uniformes de l’armée française, les contraintes logistiques de l’approvisionnement en drap et les circuits internationaux du commerce des colorants entre 1789 et 1815. En 1789, le bleu national est obtenu grâce à l’indigo produit dans la partie française de l’île de Saint-Domingue. La force symbolique du bleu contribue à expliquer la longévité de la couleur des uniformes militaires, après l’indépendance de Haïti et la mise en place du blocus continental.
R 4- Parures florales : des corps politiques dans l’espace public, de la Restauration à la Deuxième République (1814-1852) : (p. 85-100)
Emmanuel Fureix (Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-est-Créteil, CRHEC)
Au cours du premier XIXe siècle, la politisation des individus se donne à voir à travers toute une gamme de signes exhibés dans l’espace public. Parmi ces signes, les fleurs, portées à la boutonnière, ou comme motifs inscrits sur le vêtement lui-même, occupent une place centrale. Lys, violettes, œillets rouges, thym, rendent visibles des identités politiques assumées ou postulées. Sur les promenades publiques, dans les cabarets ou les bals publics, ces fleurs portées avec affectation deviennent des objets de conflit, avec leur lot de bravades, défis, rixes plus ou moins violentes. L’article, centré sur des archives administratives, policières et judiciaires, s’attache à montrer la conflictualité autour de ces fleurs, séditieuses ou non. Il montre les liens entre des parures florales et une citoyenneté agonistique, dominante dans la première moitié du XIXe siècle, de la Restauration à la Deuxième République.
[SOURCES]
S 1- La commande du manteau de l’ordre du Saint-Esprit de François Chabot de Brion en 1585 : la fabrication d’un vêtement chargé de signes : (p. 103-111 + document p. 102)
Astrid Castres, (Maître de conférences à l’EPHE, PSL, EA Saprat).
Plusieurs nuances peuvent être apportées à des interprétations dirigistes de la politique monarchique des apparences. Pour preuve, le manteau de l’Ordre du Saint-Esprit qu’Henri III qui promeut auprès de sa noblesse, pour la refidéliser à un moment clé des guerres de Religion, revêt les couleurs et les chiffres du roi, de même qu’il façonne la silhouette et entrave de son poids le corps de ceux qui l’arborent – avec ses 5 kg et demi de broderies de fils d’or et d’argent – tels l’expression matérielle et symbolique de l’emprise royale, mais il porte aussi le vert, référence à l’imaginaire chevaleresque, et sa fabrication artisanale ménage la possibilité que l’individualité de son propriétaire trouve à s’exprimer à côté du message d’adhésion politique.
S 2- Le bleu de la Fronde. Mademoiselle de Montpensier devant Orléans, d’après les cousins Beaubrun : (p. 115-122 + document p. 114)
Chloé Rivière, (Doctorante en histoire moderne, Université d’Orléans, Polen)
Chloé Rivière se livre à l’analyse du « bleu de Fronde », appliqué sur certains attributs de Mademoiselle de Montpensier dans le portrait des cousins Beaubrun. Elle montre que si cette couleur, alors déjà désignée comme le « bleu de France », est retenue par ces grandes familles princières révoltées contre le Roi, c’est précisément par ce qu’elles-mêmes l’arborent aussi sur leurs armoiries, moyen et occasion pour elles d’exprimer le principe de fidélité protestataire qui depuis longtemps les anime, les unissant au souverain tout en exprimant leur « culture du malcontentement ».
S 3- En rouge et noir : les capitouls, un corps en scène nullement uniforme : (p. 125-134 + document p. 124)
Géraud de Lavedan, (Responsable des fonds anciens aux Archives municipales de Toulouse)
Comme le montre Géraud de Lavedan, très tôt, les Capitouls de Toulouse portent la perruque, signe d’une allégeance au pouvoir central qui n’exclut en rien, cependant, les manifestations politiques de leur vitalité locale. En 1701, en effet, soit deux ans après avoir recouvré toutes leurs prérogatives d’officiers municipaux face au souverain absolu (soit en 1699), ils veillent à ce que leur portrait collectif souligne, grâce à la singularité des accessoires de parures qui y figurent – épée dorée, chapeau à plumet, gants pour les nobles titrés, bonnet carré pour les robins, chapeau rond pour les bourgeois – leur représentativité et leur légitimité de corps de ville.
S 4- Les perruques de Jean-Jacques Rousseau et de Jacques-Louis Ménétra, artisan vitrier parisien : (p. 135-144)
Catherine Lanoë (Maître de conférences en histoire moderne, Université d’Orléans, Polen)
De fait, en amont de la Révolution française, Catherine Lanoë démontre que la période des Lumières est – à maints égards – un moment clé dans le domaine de l’articulation vêtements, parures et politique. Alors même que se forge un espace public, entendu ici au sens de Jürgen Habermass, que se multiplient les variations matérielles des articles, les appropriations singularisées de certains d’entre eux soutiennent l’expression de sensibilités politiques – parfois communes à des individus qui n’appartiennent pas aux mêmes catégories sociales – dont le contenu peut s’avérer plus ou moins subversif pour l’ordre monarchique (en l’occurrence, les perruques de Jean-Jacques Rousseau et de Jacques-Louis Ménétra, artisan vitrier parisien).
S 5- Fonder la République par le costume : David, le législateur et le politique en représentation : (p. 145-154)
Patrice Bret, (Chercheur honoraire au Centre Alexandre Koyré (UMR 8560 EHESS-CNRS-MNHN), Labex Hastec)
Comme le souligne Patrice Bret, dans son commentaire du tableau de Laneuville (qui figure en couverture de ce volume), le vêtement, ses formes, ses couleurs et ses accessoires ont été au cœur des débats politiques des différentes assemblées entre 1792 et 1797, pensés tel un outil pour fonder le nouveau régime républicain, pour rendre visibles les fonctions officielles des députés, si toutefois ces réflexions d’ensemble donnèrent souvent lieu à des productions éphémères ou d’une envergure plus limitée, principalement parce qu’elles achoppaient sur le principe de l’égalité des citoyens.
S 6- De l’autogestion au « made in France » : l’usage politique du vêtement dans les mobilisations des ouvrières, des années 1970 au très contemporain : (p. 157-164 + document p. 156)
Fanny Gallot, (Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université Paris Est Créteil, CRHEC)
Dans sa contribution, Fanny Gallot souligne que le détournement fonctionnel d’un article – le dessous-dessus en l’occurrence, qui inspire aussi ces dernières années certains phénomènes de mode – constitue l’une de ces formules. Plusieurs fois, depuis la fin des années 1960, en effet, des ouvrières de grands groupes de lingerie se sont emparées du produit de leur travail dans leur lutte politique, détournant son invisibilité intrinsèque – puisqu’il s’agit de sous-vêtements – pour en faire l’emblème manifeste de leur opposition.
S 7- Textures vestimentaires et politiques du gilet jaune : (p. 167-173 + document p. 166)
Maxime Boidy, (Maître de conférences en études visuelles à l’Université Gustave-Eiffel, Lisaa)
Un même processus de détournement est à l’œuvre dans le mouvement des Gilets jaunes, mais Maxime Boidy en souligne ici toute la richesse sémiotique, montrant de quelles façons ce gilet s’est trouvé revêtu, aussi bien matériellement, symboliquement que dans les pratiques, par une multitude de références culturelles et politiques héritées d’un passé plus ou moins lointain, réactivées, réadaptées qui lui confèrent ses « textures » si particulières.
[VARIA]
V 1- Invisibiliser le relèvement de l’indemnité des parlementaires français, un enjeu de l’entre-deux-guerres : (p. 177-200)
Rémy Le Saout (Maître de conférences-HDR en sociologie à l’Université de Nantes, Cens / UMR 6025)
Dans l’entre-deux-guerres, l’indemnité des parlementaires français a fait l’objet de quatre lois qui en revalorisent le montant. Mais ce travail législatif s’inscrit surtout dans la recherche de dispositifs qui rendent ces augmentations discrètes, préfigurant par-là l’adoption ultérieure, en 1946 et 1958, de dispositions qui stabilisent et consolident une réglementation toujours en vigueur aujourd’hui. Bien qu’essentiel dans le processus d’institutionnalisation de l’indemnité parlementaire, ce sujet n’a guère retenu l’attention de la recherche. Cet article vise à rendre compte des confrontations et de jeux de négociations qui, entre les années 1920 et 1930, ont contribué à normaliser l’invisibilisation du relèvement de l’indemnité parlementaire.
V 2- La réunion du Conseil National Palestinien de 1996 : l’ « amendement » de la Charte de l’OLP et ses enjeux politiques nationaux : (p. 201-219)
François Ceccaldi (Docteur en études politiques de l’EHESS, membre de la Chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France)
La Déclaration de Principes (signée en septembre 1993) entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien prévoyait, entre autres choses, une reconnaissance mutuelle des deux parties. Pour y parvenir pleinement, le gouvernement israélien réclamait de l’OLP qu’elle convoque le Conseil national palestinien afin d’abroger les articles dits « litigieux » de la Charte de l’OLP. Comme convenu, ce dernier se réunit en avril 1996. Cet article revient sur les enjeux symboliques, juridiques et politiques de l’abrogation des articles litigieux, sur les différentes alternatives qui ont été discutées entre les factions pour remplacer ou amender la Charte et sur le vote qui n’abroge pas formellement les articles comme cela a souvent été écrit dans la littérature scientifique.
[LECTURES]
L 1- Lucie Jardot, Sceller et gouverner, Pratiques et représentations du pouvoir des comtesses de Flandre et de Hainaut (XIII e– XVe siècle), Rennes, PUR, 2020, 388 p. par Julie Colaye / UR 4284 TrAme, Université de Picardie-Jules Verne (p. 225-227)
Lucie Jardot a soutenu son Master, en 2017, au sein de l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, sous la direction d’Olivier Mattéoni et de Marie-Adelaïde Nielen. Elle a reçu, en 2018, le prix de l’association Mnémosyne qui lui a permis de publier son mémoire, début 2020, aux PUR. Il s’agit d’un travail remarquable d’une jeune chercheuse qui étudie le pouvoir politique des princesses par le biais de la sigillographie, de la diplomatique mais aussi de l’histoire des arts. Ce travail novateur renouvelle nos connaissances sur les femmes au Moyen Âge, leurs pratiques d’écriture et leur place au sein de la société. Lucie Jardot montre que leur identité est multiple et qu’il faut combattre l’idée selon laquelle elles ne peuvent pas régner au Moyen Âge. Cette réévaluation de la place des femmes participe de tout un courant historiographique qui se déploie depuis plusieurs décennies. L’historienne développe son propos au cours de six chapitres dans lesquels elle montre la multiplicité des rôles des femmes de pouvoir, de l’accession de Marguerite de Constantinople à la tête des comtés de Flandre et de Hainaut, en 1244, à la mort de Marguerite de Bourgogne, en 1482. Lucie Jardot est consciente des limites de son travail : la conservation des actes, et encore plus de leurs sceaux, est aléatoire. Elle a également mis de côté les actes non scellés. Cette étude prometteuse demande donc à être approfondie.
L 2- Jean-Claude Caron, Simon Deutz, un judas romantique, Paris, Champ Vallon, 2019, 320 p. par Raphaël Cahen / Contextual Research in Law, Vrije Universiteit Brussel (p. 227-228)
Le « genre biographique » a longtemps été déconsidéré par les historiens professionnels après le débat provoqué par Pierre Bourdieu en 1986 à travers son article sur « L’illusion biographique ». Mais les biographies se vendent bien et de nombreux historiens se sont prêtés avec succès à l’exercice. Il suffit de mentionner le Robespierre de Jean-Clément Martin, celui d’Hervé Leuwers ou encore Fouché et Talleyrand d’Emmanuel de Waresquiel. D’autant plus que par le biais d’une biographie, un historien peut questionner des débats historiographiques portant sur une époque, ou des thématiques bien plus larges que l’objet de son étude, à savoir la vie et l’œuvre d’un personnage historique. Ainsi, la biographie de Metternich publiée en 2016 par Wolfram Siemann a relancé de larges débats historiographiques. Composée de 12 chapitres, cette biographie atypique qui alterne chapitres chronologiques et thématiques se lit avec beaucoup d’aisance. L’auteur a exploité avec profit un grand nombre de sources inédites non seulement dans les Archives et bibliothèques parisiennes mais également à Rome et à Montréal. Le lecteur a toutes les raisons de saluer là une biographie passionnante, agrémentée des références les plus récentes sur les diverses thématiques historiques qui y sont abordées.
L 3- Laetitia de Witt, L’Aiglon. Le rêve brisé de Napoléon, Paris, Tallandier, 2020, 494 p. par David Chanteranne / Attaché de conservation au Musée Napoléon de Brienne-le-Château (p. 229-231)
Edmond Rostand, en lui consacrant une pièce en 1900, savait que l’histoire de la vie de l’Aiglon ne pouvait connaître que le succès. L’héritier du trône, incarné par Sarah Bernhardt, n’a, depuis, jamais quitté l’affiche. Mais que sait-on de cet enfant au funeste destin ? Fruit de l’union des Bonaparte et des Habsbourg, espoir des temps anciens et nouveaux, il était promis à voler sur les traces de son père mais dut finalement se contenter de briller par intermittence aux Tuileries, puis dans les salons feutrés de Schönbrunn. Trop tôt délaissé par une mère finissant de régner à Parme, lui-même devenu orphelin d’un père exilé puis mort à Sainte-Hélène, son existence se résuma à des drames successifs. Le récent ouvrage de Laetitia de Witt rappelle les étapes successives de l’existence de cet héritier tant espéré, veillé par un père aimant, choyé par une mère attentive, éduqué par une gouvernante soucieuse, avant de prendre la route de l’exil vers un monde nouveau symbolisé par un titre de duc de Reichstadt. Cette exceptionnelle biographie n’omet rien d’un parcours hors du commun. L’ouvrage insiste aussi sur l’ambivalence des monarchies coalisées vis-à-vis du fils de Napoléon, tour à tour employé comme recours puis exemple de subordination assumée. Sa mort, le 22 juillet 1832, provoque une émotion générale, l’Europe s’emparant de sa figure de martyr pour l’élever au rang de héros romantique. Il inspire écrivains et dramaturges, puis cinéastes dans des adaptations de la pièce de Rostand (1931 et 1961). Un ultime chapitre, intitulé « la revanche de la postérité », n’oublie pas de rappeler l’ultime affront du retour de ses cendres à Paris, en décembre 1940, un siècle après son père, mais cette fois dans les fourgons nazis.
L 4- Maxime Michelet, L’impératrice Eugénie. Une vie politique, Paris, Éditions du Cerf, 2020, 408 p. par Frantz Laurent / UMR Sirice, Paris-Sorbonne (p. 231-234)
Nous aurions pu craindre, à l’occasion du centenaire de la mort d’Eugénie, une énième biographie sans grande originalité. Or, Maxime Michelet, qui signe ici son premier livre, réussit le pari d’aborder la figure de l’impératrice sous un angle jusqu’alors mal traité, celui de la politique, et apporte ainsi une indéniable plus-value par rapport aux travaux déjà existants. Dans une longue introduction intitulée « L’opprobre et l’oubli », l’auteur commence par dresser une éclairante mise au point historiographique. Non seulement Eugénie a pâti de la légende noire qui a longtemps entouré le Second Empire, mais elle a en outre été victime de la misogynie de ses contemporains comme de ses premiers biographes, qui la présentent comme inconstante, légère, frivole, parce que femme. Catholique, elle devient sous leur plume un parangon de bigoterie, de même que ses origines espagnoles ne peuvent faire d’elle qu’une femme fière et tempétueuse. Parue en 1989, la biographie écrite par l’historien anglais William Smith avait marqué une importante « rupture historiographique, épistémologique et archivistique ». La figure d’Eugénie s’en trouvait profondément réévaluée, mais sa place en politique demeurait sous-estimée. C’est cette lacune que vient habilement combler Maxime Michelet. L’ouvrage, bien documenté et dont l’argumentation emporte l’adhésion, propose finalement le portrait d’une femme d’esprit au caractère ferme et résolu, qui, malgré des faiblesses qu’il ne s’agit pas d’occulter, mérite le qualificatif de femme d’État.
L 5- Éric Georgin (dir.), Les oppositions au Second Empire. Du comte de Chambord à François Mitterrand, Paris, SPM, 2019, 298 p. par Frantz Laurent / UMR Sirice, Paris-Sorbonne(p. 234-237)
Le volume collectif dirigé par Éric Georgin, qui s’inscrit d’emblée dans l’entreprise de relecture historiographique du Second Empire entamée il y a déjà quelques décennies, constitue les actes de la journée d’étude du 2 décembre 2016, organisée à La Roche-sur-Yon par l’Institut catholique d’études supérieures et la Fondation Napoléon. La démarche des dix-sept auteurs ici réunis consiste à s’interroger sur les condamnations que les différentes familles politiques françaises ont portées à l’encontre du régime de Napoléon III, sur les formes que ces oppositions ont prises et sur la postérité que ces lectures critiques ont eue, de la IIIe à la Ve République. On trouvera le plus grand profit à consulter ce livre qui apporte, conformément au vœu initial de ses promoteurs, une importante contribution au renouveau des études d’histoire politique sur le Second Empire.
L 6- Emmanuel Debono, Le racisme dans le prétoire. Antisémitisme, racisme et xénophobie devant la loi, Paris, PUF, 2019, 695 p. par Ralph Schor / CMMC, Université Côte d’Azur (p. 237-239)
Emmanuel Debono, auteur d’une grande thèse sur l’histoire de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, possédait toutes les qualifications conceptuelles et pratiques pour élargir son étude à la sanction du racisme par la justice de 1939 à 1972. En 1939, l’expression du racisme et de l’antisémitisme est considérée comme une opinion, aux termes de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui prévoit seulement la possibilité d’une action en justice en cas de diffamation ou d’injures personnelles. Aussi les forces progressistes et humanitaires demandent-elles une répression antiraciste plus forte. Le gouvernement, soucieux de contenir la propagande nazie et de maintenir la cohésion nationale, accède à cette requête par le décret-loi Marchandeau, du nom du ministre de la Justice, le 21 avril 1939. Désormais, des sanctions légales s’appliquent aux injures ou diffamations frappant un groupe de personnes appartenant à une « race » ou à une religion déterminées. Des poursuites sont aussitôt engagées contre des chantres de l’antisémitisme tels Darquier, Clémenti, Boissel, Bucard… Il est prouvé que certains sont appointés par l’Allemagne, ce qui n’empêche pas les coupables de prétendre que les juifs sont mieux protégés que les « vrais » Français. La loi Marchandeau est abrogée par le gouvernement de Vichy dès le 27 août 1940 et restaurée par une ordonnance du général Giraud le 18 mai 1943.
L 7- Frédéric Turpin, Pierre Messmer. Le dernier gaulliste, Paris, Perrin, 2020, 444 p. par Jérôme Pozzi / CRULH, Université de Lorraine (p. 240-242)
Professeur d’histoire contemporaine à l’université Savoie-Mont-Blanc, spécialiste d’histoire des relations internationales et d’histoire politique, Frédéric Turpin publie une biographie de l’ancien Premier ministre Pierre Messmer qui fera date dans l’histoire du gaullisme pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle s’appuie sur des sources et des témoignages inédits collectés par l’auteur au fil de ses recherches sur la décolonisation de l’Afrique sous de Gaulle et Pompidou ou de ses travaux sur l’histoire des IVe et Ve Républiques, dont Frédéric Turpin est un fin connaisseur, avec notamment un travail de référence sur Jacques Foccart, l’homme de l’ombre du Général. Ensuite, Pierre Messmer, à la différence de la plupart des grandes figures du gaullisme n’avait jamais fait l’objet d’une étude approfondie, à l’exception d’un colloque universitaire qui s’était déroulé au Conseil régional de Lorraine en 2011. Ainsi, cet ouvrage permet de retracer une carrière riche et un parcours exceptionnel, qu’il s’agisse des aspects militaires, politiques et académiques, qui vont de la bataille de Bir Hakeim pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu’au Quai Conti, en passant par Matignon. Il permet par ailleurs de comprendre l’unité d’un homme dont les prises de position et les décisions se sont inscrites dans le temps long d’une expérience forgée dans la France libre et dans les différents postes ultramarins, en Indochine ou en Afrique, que cet ancien élève de l’École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM) a occupés dans les années 1950. En définitive, Frédéric Turpin livre une biographie solide et bien informée de cette figure du gaullisme de guerre qui « toute sa vie, a été un homme de devoir » (p. 355) et démontre que Pierre Messmer a été un personnage dont la pensée était plus complexe que ses contemporains ont pu le penser.
L 8- Bernard Lachaise, Georges Pompidou avec de Gaulle, 1944-1959, Ploemeur, Éditions Codex, 2020, 239 p. par David Bellamy / CHSSC, Université de Picardie Jules-Verne (p. 242-244)
Il fallait bien les qualités de connaisseur du gaullisme de Bernard Lachaise, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux Montaigne, et actuellement le plus éminent spécialiste de cette famille politique et de ses acteurs, pour s’attaquer à une question encore peu travaillée, celle de la naissance et du développement des relations entre le Général et Georges Pompidou de 1944 à 1959. Une photographie illustre parfaitement la problématique à laquelle ce livre entend répondre. Pourquoi le général de Gaulle se fit-il accompagner de Georges Pompidou dans la voiture officielle qui l’emmenait à l’Arc de triomphe le 8 janvier 1959, jour de son investiture présidentielle ? Bernard Lachaise y répond en démontrant comment, de son entrée au cabinet du président du Gouvernement Provisoire de la République Française, le 1er octobre 1944, à cette cérémonie de janvier 1959, Georges Pompidou « est très vite devenu l’homme de confiance du Général » (p. 10). Aux sources déjà publiées et qu’il revisite, Bernard Lachaise en ajoute de nouvelles d’un précieux intérêt. Sources orales, collectées par exemple par l’Association Georges Pompidou, et sources écrites comme l’inestimable journal tenu par Georges Pompidou pendant ces années – malgré quelques interruptions ou destructions – dont de simples extraits étaient jusqu’alors connus. S’il annonce, avec ce livre, une édition critique des cahiers tenus entre 1949 et 1953 (133 pages), Bernard Lachaise publie bien plus que cela puisqu’un tiers de son ouvrage consiste en une étude éclairante et inédite à ce jour de ce qui a permis à Georges Pompidou de se placer, peu à peu, au premier rang de l’entourage du Général et de devenir ainsi son premier collaborateur. 1944-1959 furent bien quinze années décisives dans ce qui lia Charles de Gaulle et Georges Pompidou et donc plus largement dans l’histoire du gaullisme. Tout travail scientifique sur la relation entre les deux premiers Présidents de la Cinquième République devra dorénavant tenir compte de l’apport de cet ouvrage.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)