C’est encore la collection «idées reçues» de cet éditeur désormais très présent sur ce site grâce à la qualité de son service de presse qui retiendra notre attention.
Le sujet n’est pas anodin, tant le débat sur les concurrences mémorielles a été vif depuis 2005 et la loi sur le «bilan positif de la colonisation». les organisations de rapatriés d’Algérie, plus ou moins actives ont évidemment pesé dans l’adoption de cette loi, qui a été enterrée ensuite.Les pieds noirs font partie du paysage national, leur mémoire semble toujours à vif et il suffit de regarder sur la toile les nombreux sites consacrés, selon les cas, à l’entretien de la nostalgie ou à des préoccupations plus politiques pour s’en rendre compte.
Dès son introduction l’auteur évoque les idées reçues à propos de cette communauté qui s’est, au fil du temps intégrée dans l’espace national. mais elle a dû sans doute surmonter un certain nombre de préventions et donc d’idées reçues.

Parmi les premières idées reçues, celle-ci qui a la vie dure: L’expression « pied-noir » vient des chaussures que portaient les soldats de la conquête.
Jordi fait le point donc sur la genèse d’une expression, qui n’est pas liée à une appellation des indigènes ni à une quelconque paire de chaussures. Le terme est apparu après la seconde guerre mondiale dans les dictionnaires mais il semble que cette appellation d’après l’historien Guy Pervillé qu’il se retrouve dans les années trente et qu’il ait désigné aussi bien les arabes que les immigrants d’Europe du sud, espagnols et portugais, sans doute souvent pieds nus, ce qui explique la couleur… le terme s’est généralisé après la guerre d’Algérie, et ce sont les rapatriés d’Algérie eux mêmes qui se sont approprié ce terme qui n’était pas spécialement flatteur au départ.

« Les Pieds-Noirs ont été rapatriés chez eux,en France ». Cette affirmation ne résiste pas longtemps à l’examen. Les décrets successifs de naturalisation ont transformé l’Algérie, mais aussi la Tunisie et le Maroc en une grande machine à fabriquer des français à partir des andalous et des siciliens, des anglo-maltais en Tunisie, et de quelques grecs.
On retrouve d’ailleurs cette empreinte de l’Espagne dans la cuisine mais aussi en Oranie dans l’organisation de courses de taureaux de tradition espagnole avant les années cinquante. Les Clionautes savent à quel point cette référence est indispensable pour l’auteur de ces lignes

Bien d’autres idées reçues sont ainsi contextualisées et dans tous les cas nuancées et éclairées et de ce point de vue le travail de Jean-Jacques Jordi est tout simplement indispensable. «Les Pieds-Noirs ont volé la terre des Arabes» dit-on, et ce n’est sans doute pas faux si l’on prend en considération le processus d’appropriation des terres indigènes qui s’est déroulé dès les débuts de la colonisation. Toutefois la dépossession n’a pas été totale. 10 millions d’hectares de terres étaient propriété des algériens en 1954, autant pour le domaine domanial de l’État français et 2,8 pour les européens. Évidemment la différence se fait en terme de mise en valeur et de qualité des terres, les plus fertiles, les plus accessibles étant contrôlées par les européens.
«Les Pieds-Noirs n’étaient pas des fascistes», certes, mais certains représentants de la communauté, les plus voyants, ne cachaient pas leur sympathie pour des régimes autoritaires et rêvaient d’un système d’apartheid copié sur l’Afrique du Sud.
Toutefois, le durcissement du conflit a déplacé les lignes et, le petit peuple pied noir qui votait à gauche en Algérie, pour le parti radical surtout, avec un parti communiste algérien assez influent chez les intellectuels, a basculé dans un soutien désespéré à des ultras qui eux étaient d’authentiques fascistes.
Il faut donc lire ce petit livre qui traite ainsi du rapatriement et de l’exode avec des exemples précis, notamment sur les conditions d’accueil. La métropole n’était pas prête et ce sentiment d’abandon a marqué les mémoires.
Ils étaient perçus, comme des riches qui avaient fait suer le burnous aux arabes, et, dans le domaine agricole et particulièrement dans le monde viticole languedocien, l’introduction par certains d’entre eux des vignes sur fil de fer et des cépages bordelais suscitait bien des sarcasmes dans les villages autour de Béziers et de Nîmes. pourtant, leur intégration s’est faite, en Languedoc comme ailleurs. des quartiers ont été aménagés à Montpellier par exemple, avec la Croix d’Argent et sur l’échiquier politique local il ont pu, dans les années soixante dix constituer des pôles anti gaullistes, ce qui a permis de faire basculer à gauche certaines viles méridionales. Ils ont été mais certainement pas de façon collective constituer un petit vivier électoral pour le Front national dans des zones très localisées. mais cela ne suffit pas à expliquer, loin s’en faut la percée électorale du parti de Jean-Marie Le Pen qui, pour l’instant, semble en cours de marginalisation.

Bruno Modica © Clionautes

présenation sur le site de l’éditeur