Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales Prépa-ENA – EMIA
Ce sont toujours de grandes signatures qui viennent apporter des contributions à cette revue de l’institut international de géopolitique présidé par Marie-France Garaud. Ce numéro qui tombe à point nommé pour disposer de mises aux points récentes et actualisées sur un sujet toujours complexe ne fait pas exception.

Michel Foucher LE RETOUR DES FRONTIÈRES

Michel Foucher, dont on connait l’ouvrage de référence, fronts et frontières introduit ce numéro en montrant que, malgré la mondialisation, les progrès de l’intégration européenne, la volatilité des marchés financiers qui se rient des limites étatiques, les frontières sont toujours pertinentes. À propos de l’internet, Michel Foucher souligne que l’idéologie marchande de l’abolition des limites et de toutes formes de contrainte aboutit en fin de compte à la multiplication des bornes.
la production de frontières politiques continue et s’est même accélérée depuis vingt ans, 192 États, 248 000 kilomètres de frontières terrestres dont 26000 nouvelles. L’auteur rappelle également la tendance lourde de la diplomatie européenne, à savoir la fragmentation à partir des nationalités. La création du Kosovo, de la Bosnie, des enclaves du Sud-Caucase sont-elles opportunes ? On sait que les États africains, ont sagement conservé les frontières issues de la colonisation qui étaient pourtant largement artificielles.
De la même façon, les frontières maritimes sont également en cours de définition. Une trentaine de litiges sont examinés concernant l’arctique notamment. Des procédures de fixation des frontières terrestres sont toujours en cours, notamment la délimitation de l’Arabie Saoudite et du Yémen.

Maurice Sartre DES FRONTIÈRES DE LA CITÉ AUX LIMITES DE L’EMPIRE

Le Professeur d’histoire ancienne développe cette étude sur la perception de la frontière dans l’antiquité. Pour les Grecs, les limites de la polis sont celles des hommes. Les athéniens comme les milésiens se désignent comme tels et pas par leur appartenance à un territoire.
Dans le même temps, les archéologues semblent avoir retrouvé des bornages très précis tenant compte des espaces et des limites naturelles. La frontière est aussi un espace qui différencie le territoire de la cité des zones de nature, des espaces mal définis, laissés aux bucherons, aux charbonniers et aux voleurs.
Pour autant, la frontière marque l’espace vécu, l’espace civique.

La situation est complètement différente dans l’Empire romain. Le limes n’est pas cette barrière continue qui marque les cartes mais plutôt un espace tampon, un no man’s land parfois perméable comme dans le désert de Syrie. les nomades pouvaient franchir. De même le mur d’Hadrien séparant l’Empire des Scots et des Pictes n’était pas étanche mais marquait simplement une limite.

Emmanuel Le Roy Ladurie dans RÉGIONS ET FRONTS LINGUISTIQUES développe des points spécifiques sur la composition de l’espace français. Des minorités linguistiques se sont peu à peu intégrées, non sans bavures, au Royaume de France et à la République.
De l’Alsace et la Lorraine Alemaniques, à la Flandre et à la Bretagne, c’est donc un arc périphérique qui encercle l’Île de France. Au sud Ouest, le Pays Basque que Emmanuel Le Roy Ladurie qualifie de français pas opposition à l’espagnol ce qui ferait tousser entre Bayonne et Bilbao, la Catalogne française aussi, semblent bien curieusement appréhendés.
la Corse dont l’intégration a été tardive n’a jamais été indépendante dans son histoire mais positionnée dans différents systèmes, romain, papal, pisan, génois et français depuis 1768 suscite aussi quelques appréciations peu flatteuses. Le Roy Ladurie qui aurait sans doute des difficultés à faire cours à l’Université de Corte. Le bilinguisme français corse qui s’impose peu à peu dans l’île aurait pu être avantageusement remplacé une langue de culture européenne comme l’italien dit-il…

La Savoie qui a a été finalement intégrée a l’espace français en 1860 n’a pas posé de problème particulier tandis que le gros morceau reste l’espace occitan qui a connu un destin particulier. La Croisade des albigeois a laissé des traces profondes mais le mouvement occitaniste après quelques poussées dans la continuité de 1968 a plutôt laissé la place à un replis plus spécifique sur des entités territoriales plus identifiées. Provence, Languedoc, Limousin.
Il est par contre étonnant que Le Roy ladurie ne parle pas de l’entité «septimanie», je nom de Georges Frèche, président du Conseil régional Languedoc Roussillon, avait voulu imposer, le mot n’est pas trop fort, comme nouvelle appellation de ce territoire.
Finalement, malgré ces fronts linguistiques, le modèle français, si on le compare à ce qui se passe en Europe, n’aurait pas si mal réussi. On aura la faiblesse de penser quand même que cet article n’est pas le meilleur de cet auteur de référence…

Georges-Henri Soutou de l’institut, dans FRONTIÈRES, MARCHES ET MOUVANCES, revient l’histoire de ces trois notons présentées en titre de cet article. la frontière délimitée est, on l’a vu sous l’antiquité pas forcément définie de façon très précise et Michel Foucher montre que c’est encore largement inachevé. À la veille de la révolution, ce sont toujours des enclaves d’Empire qui se retrouvent en territoire français et les coïncidences entre frontières politiques et diocésaines ne sont pas toujours évidentes. Les Évêchés ex-allemands de Silésie devenus polonais en 1945 n’ont été rattachés au Primat de Pologne qu’en 1960.
En Europe orientale les frontières de l’État westphalien ont été beaucoup plus longtemps plastiques et les aller retour du territoire polonais entre les trois Empires voisins sont connus. C’est après 1919 finalement que le concept de frontière rigide, avec passeport s’est généralisé.
À ce modèle de frontières Georges Henri-Soutou oppose le modèle des marches ou des mouvances, des espaces intermédiaires mais sous contrôle. On a pu parler des pays de l’Est comme des marches de l’Empire soviétique Le modèle est certes anciens, mais la politique européenne de voisinage n’est-elle pas de même nature ?

Gabriel Robin dresse pour sa part un ÉLOGE DE LA FRONTIÈRE Certes la frontière même naturelle est une création humaine et donc artificielle mais en même temps, le résultat d’une démarche consciente, la concrétisation aussi d’un rapport de force. Elle est une figure du droit international, par définition, mais également une intéressante réalisation du compromis, une sorte de contrat entre deux entités qui autrement se feraient la guerre. En fait le respect des frontières, fondement du Droit international est bien souvent remis en cause et contesté, on le sait, par différentes actions des acteurs internationaux et pas des moindres. Le Kosovo a été reconnu en violation totale de l’intégrité territoriale de la Serbie tandis que la Turquie occupe toujours la moitié d’un territoire membre de l’Union européenne.

Jean Radvanyi évoque le CAUCASE: QUAND LES EMPIRES JOUENT DES FRONTIÈRES
Le lecteur spécialiste ne trouvera rien de vraiment nouveau par rapport aux écrits de cet auteur et de bien d’autres. On sait par exemple que la politique des nationalités de Staline visait à la fois à donner à toutes les nationalités des droits particuliers mais avec comme perspective l’émiettement face au Grand frère russe.
Des Républiques bi-ethniques ont été créées dans le Nord Caucase, comme la Tchetchéno-Ingouchie associant caucasiens et turcophones, ce qui n’est pas très simple. Pour autant, cette fragmentation qui se révèle aujourd’hui redoutable quand à ses effets a eu un bilan globalement positif en ce sens qu’elle a permis la persistance des particularismes culturels et linguistiques.
Aujourd’hui, comme cela s’est vérifié en aout 2008, ces conflits ont été instrumentalisés par la Russie qui maintient sa présence dans la zone et se livre à un grand jeu qui a été déjà évoqué par ailleurs où les intérêts pétroliers et les contrôles de points de passages ont leur part.

François-Xavier Coquin dans RUSSIE: QUELLES FRONTIÈRES? UN POINT DE VUE dresse un retour en arrière historique tout à fait intéressant sur les conditions de la fixation des frontières occidentales de la Russie soviétique. il renvoie en fait les occidentaux à leur imprévoyance,. il remet en cause l’analyse qui renvoie dot à dos le stalinisme et l’hitlérisme quand à leurs politiques d’expansions territoriales complémentaires. de ce fait, l’auteur remet en cause les intégrations précipitées de ces nouveaux États délivrés du joug soviétique à l’OTAN, ce qui amène la Russieen réaction à se raidir à nouveau. une fois de plus, la thèse qui est parfaitement respectable d’une responsabilité occidentale dans le déclenchement de la guerre froide se voit ici réactivée. Cet article est un résumé de la préface d’un ouvrage important de Natalia Narotchnitskaïa, Que reste-t-il de notre victoire Éd. Des Syrtes en 2008. Le point de vue est en tout cas stimulant mais certainement pas neutre.

Entretien avec Alain Besançon
LES FRONTIÈRES DE L’EUROPE
Georges Sokoloff
EUROPE DE LA MESURE, RUSSIE DE LA DÉMESURE
François Thual
POUR UNE GÉNÉTIQUE DES FRONTIÈRES
Frédéric Lasserre
FRONTIÈRES MARITIMES EN MERS DE CHINE
Richard Labévière
GRAND NORD: LE RÉCHAUFFEMENT DES CINQ FRONTIÈRES…
Frédérick Douzet
LES NOUVELLES FRONTIÈRES DU CYBERESPACE
Paul Balta
L’ISLAM ET SES FRONTIÈRES
Frédéric Encel
LA BARRIÈRE-MUR D’ISRAËL:
MOTIFS, MODALITÉS ET BILAN D’UN DISPOSITIF STRATÉGIQUE

Bernard Bourgeois PENSER ET FAIRE L’EUROPE
Alain Cotta
LA LIMITE ACTUELLE D’UNE POLITIQUE KEYNÉSIENNE
Jacques Sapir
COMPRENDRE LA CRISE ACTUELLE : LES LEÇONS DES ANNÉES 30