C’est un très important numéro de cette revue Problèmes d’Amérique latine qui nous est parvenu. Les cinq principaux articles de ce soixante dixième numéro méritent assurément d’être lus. Il s’agit de mises aux points récentes sur des sujets qui sont parfois peu connus et rarement évoqués dans les revues de presse généralistes mais qui sont à notre sens importants.

Le thème de ce numéro permet en effet de mesurer précisément les conséquences des politiques de développement entreprises dans quatre pays d’Amérique latine.

Dans le premier article, Amérique latine : conflits et environnement, « quelque chose de plus », Marie-France PRÉVÔT-SCHAPIRA présente la complexité des questions environnementales qui ne peuvent être réduites à leur dimension écologiste, même si les mouvements de ce type sont acteurs à part entière de ces débats et parfois de ces confrontations.

Plusieurs confrontations sont ainsi évoquées et elles sont particulièrement intéressantes car elles sont, dans un cas précis inter étatiques. Entre l’Uruguay et l’Argentine sur les rives du fleuve, deux arguments s’opposent. Ceux des argentins hostiles à l’installation d’usines de pâte à papier et ceux des uruguayens opposés aux barrages sur le fleuve. Deux logiques difficilement conciliables avec la volonté de conserver les espaces naturels d’une région fragile.
Pierre GAUTREAU et Gabriela MERLINSKY présentent ainsi les Mouvements locaux, État et modèles de développement dans le conflit des usines de pâte à papier du fleuve Uruguay,
Les deux États s’opposent à la fois sur des questions liées aux délimitations de frontières mais également sur des questions environnementales. Le problème a commencé en 2002 et se retrouve devant différentes instances internationales. Les deux États membres du Mercosur n’ont pu se mettre d’accord et l’Uruguy a saisi la cour internationale de justice qui lui a donné raison.
Au delà des accords politique, c’est un mouvement citoyen en cours de radicalisation qui semble, d’après les auteurs de cet article, être devenu l’acteur central du conflit.

Toujours en Équateur, Le mouvement écologiste contre l’exploitation d’hydrocarbures est présenté par Guillaume FONTAINE

Ce mouvement exerce une influence notable sur les réformes légales et institutionnelles depuis les années 1990, mais relativement limitée quant à la politique d’extraction de pétrole. On s’efforce de montrer que cette limitation provient d’une tension entre les deux orientations qui caractérisent les mouvements écologistes équatoriens: la radicalisation des conflits et l’institutionnalisation des mécanismes d’influence politique (lobbying). Dans le contexte actuel, la participation du secteur activiste du mouvement écologiste dans le gouvernement de Rafael Correa se traduit par une polarisation du débat autour de la gouvernance de l’environnement. Cette stratégie peut s’avérer contre-productive, à l’heure d’affronter les effets d’une nouvelle phase d’expansion des activités pétrolières avec la perspective de l’exploitation des champs Ishpingo, Tambococha et Tiputini, plus connus sous le sigle ITT.
L’Équateur, producteur moyen de pétrole, avec 5 Milliards de barils de réserve et 130 millions exportés, ( Vénézuela 700) est confronté à une forte pression de ses voisins. C’est Pétrobras, et pas seulement les compagnies étasunienne qui est un acteur de l’exploitation des champs pétrolifères qui se trouvent dans la région à la limite de la frontière péruvienne. La radicalisation des mouvements écologistes en 2004, l’action des mouvements indiens n’ont pas suffit à infléchir les politiques publiques. Les gouvernements successifs semblent avoir maintenu les projets en sepérant que les grands gisements ITT cités plus hauts apportent au pays les conditions de son développement.

Au Mexique, Antonio AZUELA et Paula MUSSETTA présentent dans «Quelque chose de plus que l’environnement, Conflits sociaux dans trois aires naturelles protégées du Mexique» une approche des conflits sociaux dans trois aires naturelles protégées (ANP) du pays qui met en évidence leur diversité comme leur complexité.
Il y a en effet beaucoup de différences entre l’installation d’un golf à Tepoztlan, dépossédant les autorités municipales de la maîtrise du foncier, la pression immobilière sur un parc national à Monterrey et la prise de contrôle des terres par des paysans des terres de la réserve de Montez Azules, dans la zone où l’armée zapatiste est active.
La dimension environnementale est le révélateur de tensions plus fortes qui affectent le Mexique. Celles-ci amènent à une modification du droit, de sa perception par les acteurs, qu’ils soient institutionnels comme les municipalités ou liés à des mouvements sociaux. (Comités divers, groupes de paysans sans terre).
En fait, tant pour ce qui concerne le juridique que le développement des instances de résolutions de ces conflits, les tensions environnementales révèlent la naissance et le développement d’une société civile dans le pays, capable de peser au quotidien dans les choix d’aménagement. Dans le cas de Montez Azulez pourtant, c’est toujours le problème agraire qui reste lancinant et les préoccupations des paysans s’opposent à des exigences environnementales de préservation des espaces.

L’article sans doute le plus important de ce numéro est celui Carlos REBORATTI, Le soja et l’Argentine, qui permet de comprendre de façon très précise les processus en cours dans une période de tension sur les cours des matières premières alimentaires. Écrit au moment de la crise des produits alimentaires en 2008, cet article est à relier à une réflexion plus globale sur la mondialisation de l’agriculture. À l’origine des implantation de grandes exploitations de soja en Argentine on retrouve le choix des États-Unis de développer les biocarburants, ce qui favorise la relance du maïs, mais aussi l’élévation du niveau de vie d’une partie significative de la population chinoise. C’est vers les ports de Shanghai et de Shenzen que partent les grands navires des ports dont certains sont privés, disséminés sur la côte argentine, au Nord et Sud de Buenos Aires.
Les acteurs de ce dévelopepmentde la filière soja sont de grands groupes de l’agro alimentaire, louant des terres et développant une agriculture à base de grands moyens mécaniques et d’OGM. Les semences sont issues d’une espèces cultivée au Middlewest.
Ces grands groupes ont réinventé une méthode culturale pratiquée par les populations locales voulant éviter les labours trop fréquents. la terre n’est plus retournée totalement, des système de tarières très puissants permettent d’implanter la graine en un lieu précis, mais de façon mécanique contrairement à la technique traditionnelle pour pouvoir optimiser les profits. les sols s’épuisent moins et, dans cette pampa au potentiel pédologique considérable, la double récolte est même possible.
Les conséquences sont tout de même discutables du point de vue environnemental. la diminution des élevages traditionnels et la déforestation dans la zone Nord du pays ne suffisent pas à compenser les retombées induites en terme d’emplois locaux, stockages et transports que la filière soja génère. Toutefois les pouvoirs publics sont bien conscients que le Soja est en quelque sorte le pétrole argentin et il y a peu de chance que cette politique s’infléchisse.

L’article Sécurité et gouvernabilité au Mexique : criminalité et frontières, de Raûl BENITEZ MANAUT évoque les relations entre les États-Unis et le Mexique. Si le crime, de droit commun ou organisé, constitue la principale menace pour la sécurité du pays, il apparait particulièrement difficile de juguler cette montée en puissance de la violence.
Activité nouvelle, transnationale, le crime organisé franchit les frontières en direction des États-Unis et de l’Amérique centrale. La drogue, le déplacement des activités des narcos est sans doute le problème le plus difficile à gérer. Le Mexique connait une évolution à la Colombienne avec mercenaires stipendiés par les barons de la drogue, corruption généralisée et violence permanente.
De même, les problèmes de sécurité sont devenus multidimensionnels, imputables tout autant à des causes structurelles, économiques et sociales qu’à la faiblesse des institutions étatiques censées les combattre. Le pays a conclu avec les États-Unis des accords de sécurité. Le gouvernement mexicain fait un recours intensif à l’armée mais le programme de coopération entre le pays et les États-Unis, dit « Initiative Mérida », relève d’une stratégie de sécurité commune, qui ne saurait cependant constituer la seule solution aux problèmes de sécurité du Mexique.
Une des difficultés du Mexique tient au fait que les États-Unis, du fait de leur législation sur les armes, alimentent directement cette insécurité et cet « armement » des milieux délinquants de leur voisin du Sud.