L’auteur, François Campa, trésorier de l’AERI des Landes, s’est livré à des recherches minutieuses et croisées aux archives nationales, aux archives départementales de la Gironde et des Landes, aux archives municipales, au service historique de la Défense à Vincennes et à Caen, au ministère de la Défense, aux archives du CICR à Genève. Il s’est également appuyé sur des témoignages et sur une bibliographie sérieuse tenant compte des recherches les plus récentes sur le sujet, notamment le livre d’Armelle Mabon sur les Prisonniers de guerre indigènes.
Les prisonniers de guerre coloniaux
Le plan récapitule l’histoire des troupes d’Outre-Mer, créées par Richelieu, puis présente le rôle des troupes coloniales dans la Seconde Guerre mondiale, présentes sur tous les fronts où elles subissent de lourdes pertes puisque les soldats originaires d’Afrique du Nord représentent 20% des 120 000 morts de l’armée française et les tirailleurs sénégalais 14%. Les prisonniers coloniaux sont maltraités par les Allemands lors de leur capture (une liste précise permet d’évaluer les pertes par exactions ou exécutions sommaires à 3500 hommes). Ils sont ensuite mis à l’écart dans des Fronstalags sur le territoire français, les Allemands refusant les coloniaux (surtout les soldats noirs, les nords-Africains pouvant être envoyés en Allemagne) sur leur territoire. C’est donc vers la zone occupée que ces soldats coloniaux (Africains, Malgaches, Antillais: les deux tiers sont constitués de Maghrébins) vont être envoyés et détenus. Ils côtoient parfois des coloniaux de l’armée britannique. Ils sont encadrés par des Allemands, puis à partir de l’hiver 1942-1943, les sentinelles allemandes sont requises sur le front de l’Est et des négociations ont lieu pour que l’encadrement soit français. Les prisonniers coloniaux sont gardés par des cadres français de l’armée d’active, par des sous officiers de réserve des troupes coloniales en captivité, ou par des cadres de l’armée d’armistice dissoute. Les soldats coloniaux sont donc gardés par des officiers français, bien que prisonniers des Allemands, ce qui crée évidemment un malaise important, si bien que, en accord avec les Allemands, le gouvernement de Pétain obtient la transformation des prisonniers en travailleurs libres, même s’ils restent en fait prisonniers. Ils logent alors dans des camps spécifiques, dénommés camps de travailleurs. Ils travaillent pour les Allemands, notamment l’organisation Todt ou pour des sociétés françaises qui participent à l’effort de guerre de l’Occupant. Ils sont payés 10 francs par jour pour 6 à 8 heures de travail, quand un manoeuvre à la même époque est rémunéré 10 francs de l’heure. Leur vie est différente de celle des prisonniers de guerre en Allemagne : les pères de famille de quatre enfants ne sont pas libérés ; ils touchent beaucoup moins de colis même si il existe un Service Colonial français du CICR et si Scapini, le représentant des prisonniers de guerre auprès des autorités allemandes, les visite. Leur alimentation est complétée par des marraines qui habitent près du camp et les nourrissent en échange de cigarettes. La situation sanitaire est précaire, ils souffrent de tuberculose et même de lèpre et ils sont soignés par des médecins prisonniers de guerre rapatriés en France car la convention de Genève prévoit que les prisonniers de guerre soient soignés par des médecins de leur camp. Ces prisonniers de guerre-médecins sont externés, ils vivent en ville, sont prisonniers sur parole et ont un Ausweiss.
Les prisonniers de guerre dans les Landes
La troisième partie présente la situation de ces prisonniers dans les Landes, département très intéressant car coupé en deux par la ligne de démarcation, ce qui explique les très nombreuses tentatives d’évasion, souvent sanctionnés par des tirs mortels des gardiens. Les prisonniers de guerre coloniaux y sont employés dans la construction du mur de l’Atlantique et dans l’exploitation de la forêt des Landes, mais aussi sur des travaux agricoles, industriels et de terrassement.
Les camps des Landes
La quatrième partie fournit, camps par camps, des renseignements très précis sur la quarantaine de camps (Frontstalags et Arbeitskommandos) installés dans les Landes. Et la dernière partie évoque, camp par camp, commune par commune, avec de nombreuses photographies réalisées par Français Campa, la manière dont les municipalités évoquent la mémoire de ces faits.
Ce livre s’inscrit de plusieurs manières dans les programmes de collège ou de lycée concernant la France de Vichy, la Seconde Guerre mondiale, la mémoire de la guerre mais aussi la colonisation. De manière méconnue et donc en fournissant des exemples inédits, on peut montrer aux élèves l’importance et la diversité géographique de ces soldats. On peut illustrer d’une manière originale la Collaboration puisque l’Etat français a fait garder des soldats coloniaux prisonniers des Allemands par des Français et qu’il les a utilisés pour compenser l’absence de main d’œuvre. Il est également intéressant de travailler avec les élèves sur l’;aide que les Français ont apporté à ces prisonniers, en les nourrissant contre la volonté allemande, en les aidant à s’évader : certains coloniaux évadés sont devenus résistants. Enfin le chapitre 5 permet de s’interroger sur les différences considérables de mémoires concernant ces prisonniers. Certains anciens se souviennent des camps, d’autres communes ont totalement perdu cette mémoire. Certaines communes les ont honorés immédiatement en érigeant des stèles, des plaques sur les monuments aux morts, aidées en seulement par le Souvenir français, d’autres le font depuis la fin des années 1990 et l’apparition des mémoires jusque là exclues des commémorations. Certaines communes ont refusé à l’auteur l’accès à leurs archives, d’autres créent actuellement des lieux de mémoire comme la municipalité de Saint-Vincent-de-Paul avec le camp de Buglose.
Ce livre est particulièrement intéressant pour aborder un sujet aussi important que méconnu.