Sorti à l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale, ce livre, de petit format par rapport aux ouvrages qui font la réputation de la maison Citadelles et Mazenod, se veut une exception à plus d’un titre. Dans un premier temps, il s’agit de réunir les plus beaux textes littéraires sur cet acte destructeur depuis que l’homme existe, qui est de faire la guerre. Il faudrait ajouter depuis que l’écrivain cherche à mettre des mots sur ces actes meurtriers. Dans un deuxième temps, il s’agit d’une anthologie illustrée afin d’entretenir un dialogue entre les mots et le spectacle de la guerre que procure l’image. Ainsi sont mises en regard les plus grandes pages de la littérature avec une iconographie remarquable par son abondance et par la qualité de sa reproduction.
Cet ouvrage a été conçu par deux auteurs déjà engagés dans la collection Citadelles et Mazenod pour avoir participé à L’art de la bande dessinée ressorti cette année en version compactée. Docteur en histoire, Xavier Lapray est spécialiste d’histoire militaire romaine et prépare un ouvrage aux éditions Tallandier sur la bataille de Cannes (défaite romaine en -216, deuxième guerre punique). Co-auteur d’Ecrire la guerre, Sylvain Venayre est professeur d’histoire contemporaine à l’université Grenoble-Alpes.
La guerre nous apparait comme la plus ancienne des activités humaines
A la lecture de cette anthologie, la guerre nous apparait comme la plus ancienne des activités humaines et les motifs guerriers accompagnent les plus vieux textes. Les choix des auteurs permettent de comprendre la persistance et la répétition des émotions caractéristiques de la condition humaine associées au combat, au-delà de l’histoire des techniques, des batailles rangées, des villes prises, de Salamine à Stalingrad. On peut ensuite pousser la réflexion sur les usages de l’histoire de la guerre. Pendant des siècles, les récits cherchent les leçons de stratégie, les actes héroïques, des modèles de comportement.
Mais chaque auteur à son époque cherche avec son style un même sens, la guerre et sa justification se perdent dans la nuit des temps et semblent inévitables. Si la formule du philosophe allemand, Hegel : « Les périodes de paix sont les pages blanches de l’histoire », s’avère un point de vue bien contestable, Sylvain Venayre nous montre que ceux qui ont écrit ou représenté la guerre, ont parlé d’une réalité bien plus tangible avec des sources comme les épopées, les récits, les romans, les traités, les poèmes. La scansion de cet ouvrage suit les grandes périodes de l’histoire européenne.
Dans l’Antiquité, textes et images montrent le caractère fondateur de la guerre
Ces textes et images montrent que la parole prise sur le combat prend une grande diversité de formes. Cependant la poésie épique reste prépondérante et l’Iliade surtout a structuré durablement les esprits. Le sacré se mêle à la chose militaire puisque les combats sont encadrés par des rituels. Nourrie par les discours des philosophes, une dimension éthique introduit la guerre comme objet de morale. La circulation des mêmes exploits et des mêmes motifs guerriers ne doit pas faire oublier la diversité des structures politiques et militaires à l’intérieur de la période. On pourra apprécier les choix iconographiques variés de ce chapitre, des vases grecs aux œuvres de Jacques-Louis David.
Au Moyen-Age, les mêmes références perdurent
Si faire la guerre à l’époque médiévale diffère de l’Antiquité, les évocations antiques perdurent jusqu’au XVe siècle. Cependant le Moyen-Age invente aussi de nouvelles formes d’écriture comme la chanson de geste qui évoque la mythologie comme l’histoire, les romans de chevalerie qui exaltent les valeurs aristocratiques et courtoises. La période voit aussi fleurir les discours des hommes d’Église sur la guerre juste pour expier ses péchés fustigeant les guerres privées. S’ajoutent les justifications des guerres royales : Joinville décrit Louis IX comme un roi de paix, tandis que les chroniques de la guerre de Cent Ans multiplient les récits partisans. De belles enluminures occupent une place privilégiée dans les illustrations qui irriguent les textes évoquant la guerre.
Les temps modernes et une révolution militaire
Les mutations que connaissent les affrontements sont considérables. La naissance de l’État westphalien et la nouvelle géopolitique de l’Europe s’accompagnent d’une expansion outre-mer des forces militaires. La stratégie s’adapte en fonction des évolutions techniques de l’artillerie, la guerre de siège, les fortifications… Si l’héroïsme guerrier perdure pour la glorification du prince, un nouveau thème court sur toute la période : la déploration des malheurs de la guerre qui irrigue toutes les formes de discours. Les auteurs de cet ouvrage ont su choisir les plus beaux textes d’Érasme, de Montesquieu ou de Voltaire.
Ces désastres de la guerre sont déjà bien présents dans les arts visuels comme les gravures de Jacques Callot ou les dessins de William Blake. Ceci conduit à une profonde réflexion qui nourrit le siècle des lumières : un premier questionnement sur la place de la guerre dans l’exercice du pouvoir et un deuxième sur l’état de guerre qui serait une dimension fondamentale de l’homme. Kant propose de dépasser l’idée de guerre.
1789 – 1900 : de Napoléon aux empires coloniaux
Inutile d’expliquer le tournant que Napoléon a imposé au fait de guerre : l’idéologie de la bataille décisive ou les modifications des représentations de la guerre par des mouvements de masses. La gloire de l’Empereur a envahi toute la littérature du XIXe et montre cette capacité de Napoléon à se poser comme un modèle. A la période révolutionnaire, apparait la figure du volontaire qui part à la guerre pour défendre une cause, en témoigne le troisième couplet de la Marseillaise. En rébellion contre l’invasion française en Espagne, la guérilla devient la forme d’opposition du peuple en lutte pour sa liberté.
Par contre, les guerres de conquêtes sont plus que jamais condamnées et les écrivains français n’ont pas de mots assez durs pour exprimer leur exécration des combats. Une nouvelle sensibilité se forge, le pacifisme. Un exact contraire naît aussi de ce mouvement, le fanatisme où la guerre est un moyen de régénération de l’individu. Beaucoup d’écrits et de dessinateurs qui témoignent des guerres coloniales alimentent les débats sur le bien-fondé des théories sur l’apport d’une civilisation qui génère des actes d’une telle barbarie (Pierre Loti ou Jean Jaurès).
Le temps des guerres mondiales
Les manières de nommer la guerre ont énormément changé au XXe siècle : génocides, guerre froide, guerre asymétrique. De guerre mondiale, on précise le terme de « guerre totale ».
Ces mutations sémantiques expriment des combats qui se multiplient partout dans le monde. Ces guerres s’accompagnent d’une progression inouïe des armes. La « Grande Guerre » est à l’origine de nombreux discours ou des romans. La Seconde Guerre mondiale est couverte par des récits sur les bombardements et sur les camps d’extermination. L’après-guerre, est marqué par une réflexion sur la destruction du monde après Hiroshima et Nagasaki. Ces guerres totales sont nées dans les grands empires coloniaux. Là ont été mises en place les politiques concentrationnaires (en Afrique du Sud ou à Cuba) et les politiques d’extermination (le Sud-Ouest africain). Ensuite les luttes anticoloniales ont d’emblée une dimension mondiale. Elles s’inscrivent dans le cadre d’une lutte globale d’un vaste ensemble qu’on désignera par Tiers-Monde. Les guerres civiles se multiplient : la Corée en 1950, le Cambodge en 1970 …
S’ajoutent dans cette période contemporaine, les progrès substantiels des techniques de transport, de communication et d’information. Aucun conflit mondial ne peut plus être ignoré. Les victimes témoignent et donnent leur vision des violences. Ainsi, ces changements sont parfaitement évoqués dans ce bel ouvrage où les écrivains condamnent, déplorent ou célèbrent pour certains, la guerre tandis que les images sidèrent : au Cambodge Rithy Panh explique tandis que Van Nath peint l’horreur de la dictature des Khmers rouges. Le volet contemporain permet aux auteurs de convoquer des formes visuelles variées, la couverture d’une bande dessinée, une photo satellite d’un bombardement ou un photogramme d’un film de Francis Coppola.
En résumé, Écrire la guerre, n’est pas uniquement un ouvrage littéraire et artistique, voire historique. Il s’avère aussi une source fort utile pour illustrer nos cours du Secondaire. Il est plus qu’un livre référence mais il est également un livre philosophique sur la vie qui parle de l’homme, de ses sentiments, de ses angoisses, du spectacle qui se joue devant lui face à la violence guerrière encore si prégnante au XXIe siècle.