Cet ouvrage constitue le quatrième volume d’une série publiée par les éditions Droz et intitulée « Archives des Églises réformées de France ». Raymond Mentzer, professeur à l’université d’Iowa, propose ici un précieux inventaire des registres consistoriaux des Églises réformées françaises de la première modernité, soit entre le milieu du XVIe et la fin du XVIIe siècle.
L’institution consistoriale
L’introduction rappelle que c’est dans la Genève de Jean Calvin qu’est inventé le consistoire. Promulguées à la fin de l’année 1541, les ordonnances ecclésiastiques instituent quatre « ordres d’offices », ceux des pasteurs, des docteurs, des anciens et des diacres. Pasteurs et anciens forment le consistoire, réuni chaque jeudi. Les anciens sont chargés de « prendre garde sur la vie d’un chacun, d’admonester amiablement ceux qui verront faillir et mener vie désordonnée » (citation, p. 20). Les diacres se consacrent aux besoins des pauvres. Les Églises françaises, qui éclosent au tournant des années 1550-1560, suivent le modèle genevois, tout en s’en écartant parfois. L’organisation ecclésiastique réformée est définie par la Discipline, élaborée en 1559, à l’occasion de la tenue de ce qu’il est convenu d’appeler le premier synode national. Ce texte ne cesse d’évoluer par la suite. Raymond Mentzer souligne la fonction liturgique du consistoire, lequel organise le prêche, la Cène, les prières ou les jeûnes. L’institution doit également veiller à l’enseignement du catéchisme. Est également rappelé le rôle financier du consistoire, chargé du traitement des pasteurs, de la construction et de l’entretien du temple ou encore de l’aide aux pauvres.
Quelle documentation ?
Le deuxième chapitre de l’introduction évoque plus précisément les sources actuellement disponibles, tous ces registres consistoriaux dont l’inventaire est présenté avec grande rigueur dans la deuxième partie de l’ouvrage (p. 71-140). L’auteur, qui travaille le sujet depuis de très nombreuses années, a identifié « 309 registres à Paris et en province » provenant de « 156 Églises différentes ». Il estime qu’il s’agit d’environ 10 % de la documentation qui a pu exister à l’époque moderne (p. 38-39). En effet, avant et après la révocation de l’édit de Nantes (1685), de nombreuses archives ont été détruites, sans qu’il soit nécessaire toutefois de parler d’une entreprise de « destruction systématique » (p. 35). Les registres qui, après bien des vicissitudes, sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, aux Archives nationales ou dans les dépôts départementaux ne concernent pas les communautés réformées les plus importantes de la France d’Ancien Régime (Paris-Charenton, La Rochelle ou encore Rouen-Quevilly), à la notable exception de Nîmes, mais plutôt des Églises de taille modeste. Plusieurs registres sont aujourd’hui consultables en ligne : outre l’exemple de Nîmes (1578-1583 et 1654-1663), on peut citer les cas de Nantes (1675-1685) ou de Montestrucq (Pyrénées-Atlantiques, 1646-1661).
Des pistes de recherche multiples
Que faire de cette documentation abondante même si elle reste fondamentalement lacunaire ? C’est à cette question que répond le troisième chapitre de l’introduction. Raymond Mentzer passe d’abord en revue les travaux menés sur ce sujet depuis la fin du XIXe siècle, depuis les recherches de Paul de Félice jusqu’aux études quantitatives qui se sont développées dans les années 1970 (Robert Kingdon, Janine Garrisson, Philippe Chareyre, Didier Poton). L’auteur revient également sur la remise en cause de ces perspectives sérielles, à la suite notamment des travaux de Judith Pollmann. En confrontant des sources exceptionnelles concernant l’Église d’Utrecht, l’historienne néerlandaise a mis en garde contre une approche quantitative systématique. Malgré tout, les chercheurs se sont emparés de ces sources en les reliant aux concepts d’identité, de discipline sociale ou de confessionnalisation, ce processus qui voit dans la concurrence des confessions à l’époque moderne l’un des éléments de la construction des États modernes. Le matériau consistorial a également été utilisé par les historien(ne)s des femmes (Suzannah Lipscomb, par exemple) ou par les anthropologues. L’auteur appelle à amplifier ces approches et suggère d’accélérer le mouvement de publication des registres consistoriaux, avec en tête quelques questions, dont une qui paraît déterminante : les sources constituent-elles un miroir de la société protestante ou ne reflètent-elles que les préoccupations des élites, pasteurs et anciens ?
Ce livre – tant l’introduction que l’inventaire alphabétique scrupuleux qui suit – ne manquera pas d’intéresser spécialistes et curieux. Doté d’une bibliographie copieuse et de deux précieux index, il rappelle aux historiens que la (re)constitution des sources et la nécessaire réflexion qui l’accompagne sont au cœur de leur métier.
Luc Daireaux
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