Une île, Saint-Domingue, une époque, le XVIII ème siècle et un lieu, à savoir une plantation. Tel est le cocktail que propose Paul Cheney dans cet ouvrage paru aux Etats-Unis en 2017 et qui vient d’être traduit en français.

L’auteur

Paul Cheney est professeur d’histoire à l’université de Chicago. Spécialiste de l’histoire de France de l’Ancien-Régime, ses recherches portent sur les effets de la première mondialisation de l’époque moderne. L’ouvrage comprend un certain nombre de cartes et autres documents. Il contient aussi un important appareil de notes, une bibliographie et un index.

Présentation des lieux

Cul-de-Sac est une plaine très fertile vers Port-au-Prince qui fut autrefois la colonie française de Saint-Domingue. Le nom désigne l’emplacement d’une plantation de sucre qui appartenait à la famille Ferron de la Ferronays, des nobles issus de Bretagne. A la veille de la Révolution l’île produisait presque autant de sucre que toutes les Indes occidentales britanniques réunies. Tout cela a été possible en raison d’une organisation rationnelle de la plantation. C’était alors « l’expérience la plus moderne et la plus radicale de division internationale du travail qu’avait produite jusqu’alors le capitalisme mercantile ».

L’emboîtement d’échelles

Ce livre propose une approche à plusieurs échelles. Il y a d’abord la plantation mais cette étude pose également la question de l’empire colonial français et des marchés mondiaux qui existent alors. « La vaste perspective géographique de ce livre et l’alternance des cadres microscopique et macroscopique font de Cul-de-Sac un exemple de la nouvelle micro-histoire mondiale ». Sept chapitres permettent de mieux connaître ce lieu.

Une pépite d’archive

A sa façon, ce livre est aussi le fruit d’une pépite d’archive : il s’agit de la conservation des papiers de la famille Ferronays, mais pas uniquement, jusqu’en 1789. En effet par des hasards de transmission, il se trouve qu’au final l’ensemble reconstitué représente « un des trois plus vastes ensembles d’archives d’une plantation pour une colonie ». Cela permet à l’auteur aussi de proposer une histoire qui s’appuie sur la correspondance des protagonistes, offrant ainsi des éclairages plus nouveaux sur ce type de thème.

Province et colonie

L’essor du commerce atlantique au XVIIIe siècle offrait des possibilités à la noblesse confrontée au déclin relatif de la richesse foncière. La noblesse bretonne avait cette particularité d’être à la fois ancienne et pauvre. Cependant les Ferronays étaient plutôt à l’aise économiquement. Etienne-Louis Ferron de la Ferronays arriva sur l’île en 1764. Jean-Baptiste Corbier vint le rejoindre pour gérer la plantation.

Production et investissement

Le modèle se fondait sur l’exploitation d’esclaves tandis que les denrées de subsistance et les capitaux venaient de l’étranger. L’économie du sucre s’avérait être un secteur très organisé où « la pression de la concurrence dictait des adaptations et des réinvestissements permanents». L’auteur décrit ensuite le système de la plantation et pointe un paradoxe : les coloniaux étaient venus avec des idéaux des Lumières mais  géraient un type d’entreprise où l’esclave jouait un rôle décisif.

Humanité et intérêt

Pour réaliser des profits les planteurs « mêlaient aux dernières techniques de gestion qui caractériseraient le capitalisme de la fin du XIXe un type d’idéologie patriarcale qui ne se distinguait guère des expressions qui émaillent les écrits sur l’économie familiale de la Renaissance ». Paul Cheney relève qu’il existait une sorte de « sentimentalisation » des rapports entre maîtres et esclaves qui ne constituait pas un programme de réformes, mais plutôt une nouvelle façon de voir les choses de la part des maîtres. Le besoin d’esclaves était permanent et, quand ils survivaient à la traversée, entre un tiers et la moitié d’entre eux mourait durant les trois premières années.

Guerre et profit

A partir du milieu du XVIIIe siècle, la question des rapports entre la métropole et les colonies se pose de façon toujours plus aiguë. La métropole doit protéger les colonies et, en échange, elle les exploite économiquement. Il faut ajouter à cela l’importance des négociants de quelques ports français et se pose ainsi la question de la partition des profits entre la métropole et ses colonies. Saint-Domingue, mais les autres colonies également, ressentirent durement les effets économiques des guerres dont celle d’Indépendance des États-Unis.

Mari et femme

Paul Cheney retrace ensuite les rapports familiaux, souvent houleux, de la famille Ferronays. Tout était question d’alliance et de stratégie. Le mariage entre le marquis et Marie-Elisabeth Binau tourna rapidement mal. Elle était la fille d’un bourgeois créole, habitant de deuxième génération de l’île. Le marquis  délaisse son épouse pour une vie de débauche, avant de regagner seul la France. La marquise n’est pas en reste à en lire les lettre de Corbier. Comme le dit l’auteur, « avec tous ses détails scabreux et croustillants, la mésalliance entre le marquis et la marquise de la Ferronays se situe quelque part entre la métaphore et le roman à clé ». Il livre plusieurs pages sur les rapports houleux du marquis et de son épouse.

Culture et révolution

La révolution française commença à Saint-Domingue par un conflit au sein même des élites. « Planteurs, administrateurs, artisans, professions libérales des villes prenaient des partis différents dans la lutte éternelle entre les institutions locales et les institutions centrales imposées par le gouvernement à Paris ».  L’auteur retrace ensuite les évènements qui se déroulèrent de 1791 à l’évacuation des Français de Saint-Domingue en 1803.

Evacuation et indemnité

Malgré la fuite, beaucoup d’évacués crurent encore alors à la possibilité du retour. En 1825 la France reconnut l’indépendance d’Haïti en échange du versement d’une indemnité de 150 millions de francs. Celle-ci devait dédommager  les colons de Saint-Domingue.

En conclusion, Paul Cheney insiste d’abord sur les traces de son passé colonial qui marquent encore Haïti. Quant à la France , elle a «  le luxe de se souvenir ou d’oublier à volonté ».

Un enregistrement audio aux RVH 2022.