Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)
Créées à Paris en 2004, les Editions Maison ont ensuite migré à Nantes avant de s’installer à Clermont-Ferrand l’année dernière, une pérégrination qui s’est accompagnée d’un recentrage de leurs activités qui se consacrent aujourd’hui essentiellement à l’histoire militaire antique au travers de la collection Illustoria.

Le premier titre paru dans cette collection, en 2007, n’était autre que la traduction d’un ouvrage de la collection Warrior de l’éditeur anglais Osprey, incontournable pour qui s’intéresse aux humbles acteurs de l’histoire militaire. Les titres suivants ont été réalisés suivant le modèle usité par la prolifique maison d’édition d’Oxford : un thème précis, traité de façon concise mais complète par un spécialiste, avec l’aide d’abondantes illustrations. L’ensemble présente pareillement un mélange d’accessibilité et de rigueur scientifique (touchant parfois à une réelle novation) qui l’adresse à un public relativement large. Mais Illustoria se distingue maintenant clairement de son inspiratrice par la publication de textes originaux, dus à des auteurs francophones, cette originalité se reflétant aussi, dans une certaine mesure, dans le choix des thèmes traités ; mesure d’ailleurs appelée à croître, si l’on en croit les projets de parutions annoncés en page de garde. L’organisation des ouvrages, de format relativement petit (20 x 14 cm), est bien au point : le texte, structuré en courts chapitres, est complété d’un lexique, d’une chronologie et, donc, d’un livret d’illustrations fort convenablement légendées ; les planches originales qui font le régal des amateurs d’Osprey y sont remplacées par plusieurs dizaines de photographies, cartes ou dessins, tous de très bonne qualité (couleur, papier glacé). Une présentation des sources et de la bibliographie utilisées, des lieux à visiter en rapport avec le sujet permettent en sus au lecteur intéressé d’approfondir l’approche déjà solide procurée par l’ouvrage.

Soldats de tous les horizons, talentueux général

Cette collection s’est donc récemment enrichie d’un quatrième et d’un cinquième titre, parus presque simultanément. Le premier est dû à Ouiza Aït Amara, aujourd’hui professeur d’histoire à l’université d’Alger après avoir enseigné l’histoire romaine à l’école normale supérieure de cette même ville. Il est consacré aux soldats d’Hannibal Barca ; l’idée de fond de l’auteur est de montrer que les mérites militaires, indéniables et immenses, de ce célèbre général et homme politique carthaginois qui faillit mener Rome à sa perte lors de la Deuxième guerre punique (218-202 av.J.-C.), purent s’appuyer sur une armée disparate mais solide dont il sut tirer le meilleur parti. Hannibal ne nous est connu que par les sources gréco-romaines, pas forcément objectives, comme on l’imagine. L’auteur s’efforce donc d’abord d’en tracer un portrait nuancé : apparaît un homme influencé par la culture grecque, énergique, s’attirant par l’exemplarité de sa conduite un immense ascendant sur ses troupes, assez novateur, par son utilisation offensive de la cavalerie et son recours très régulier au stratagème, en matière d’art militaire. Le deuxième chapitre, probablement le plus original de l’ouvrage, présente, d’un point de vue juridique puis tactique, les différentes composantes de l’armée barcide, agrégat de citoyens, de sujets, d’alliés et de mercenaires, recrutés dans toutes les régions périphériques de Méditerranée Occidentale. Après avoir ensuite rappelé les caractéristiques des troupes et chefs romains qu’Hannibal dut affronter, l’auteur s’attache, dans les quatre derniers chapitres, à narrer les principales étapes de l’étonnante campagne que celui-ci mena contre la République : le passage des Alpes, les premiers succès de 218-217, l’écrasante victoire de Cannes, chef d’œuvre tactique devenu un cas d’école (216), et la défaite finale en Afrique (202).
A travers un texte simple et accessible, O.Aït Amara brosse donc une synthèse agréable à parcourir. On y retrouve beaucoup – dans le texte, et jusqu’aux cartes et à certaines illustrations – de la matière déjà développée par Yann Le Bohec dans son Histoire militaire des guerres puniques (Ed. du Rocher, 1995), tempérée d’une certaine focalisation sur les contingents nord-africains de l’armée punique. En tout cela rien d’étonnant, puisque O.Aït Amara consacra sa thèse présentée en 2007 aux rapports entretenus par les Numides et les Maures avec la guerre entre les IIIè et Ier s. av.J.-C., et ceci sous la direction de l’historien précité, spécialiste reconnu de l’histoire militaire romaine. Outre une vision assez précise de son armée, en ressortent clairement l’habileté tactique du Carthaginois, sa maîtrise de la planification stratégique et sa capacité à exploiter au mieux la diversité des combattants servant sous ses ordres ; tableau forcément inspiré par les triomphes de 218-216 plutôt que par la décennie militairement décevante qui précéda son retour en Afrique, sur laquelle, on l’a vu, l’auteur s’étend très peu. On ne peut guère lui en faire reproche vu le format nécessairement réduit de l’ouvrage, même si cela peut pousser à déplorer les répétitions constatées dans le texte, ou entre texte et légendes. Son travail n’en reste pas moins une bonne introduction au sujet.

Des steppes russes aux rivages de l’Europe

On peut sans conteste en dire largement autant du titre rédigé par Iaroslav Lebedynsky sur les Sarmates et Alains à l’époque de leur longue confrontation avec Rome, du Ier au Vè s. ap.J.-C.. Historien français d’origine ukrainienne, I.Lebedynsky enseigne depuis 1997 l’histoire de l’Ukraine à l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris. Il s’est spécialisé dans l’étude des anciennes cultures guerrières de la steppe et du Caucase ; parmi elles, Sarmates et Alains donc, auxquels il a déjà consacré plusieurs ouvrages et dont il continue à étudier les traces en Occident à travers l’animation du cercle Gallia-Sarmatia.
Peuple nomade iranophone appartenant au vaste ensemble « scythique », probablement issus des Sauromates établis dans les steppes russes méridionales entre Don et Oural, les Sarmates entament vers le IIè s. av.J.-C. un mouvement d’expansion vers l’ouest. Au début de notre ère, ils apparaissent sur les frontières danubiennes de l’empire romain ; va suivre une longue période de contacts divers, souvent belliqueux, mais aussi nourris d’échanges. S’y mêle bientôt un nouveau groupement de tribus issues ou très proches d’eux, les Alains, qui s’imposent progressivement entre Don et Caucase, la poussée des Goths en Ukraine et Roumanie au tournant des II-IIIè s. ap.J.-C. parachevant la distinction informelle entre les deux ensembles. Soumis par les Huns à la fin du IVè s., Sarmates et Alains agissent dans l’Occident romain, au service de ou contre l’Empire, pendant encore un siècle, avant de s’y sédentariser et s’y assimiler définitivement. Des Alains se maintiennent cependant dans le Caucase central, directs descendants des Ossètes actuels.
L’auteur présente les différentes connaissances détenues sur ces peuples à travers quatre thématiques successives. Il relate leur histoire, s’attachant aussi à décrire leur mode de vie, leur aspect physique et leur costume. Il rappelle ensuite les divers aspects de l’omniprésence de la guerre dans la société sarmate, où n’existe aucune distinction entre structures civiles et militaires. Le troisième chapitre s’étend alors sur les tactiques et équipements utilisés : comme tous les nomades issus des steppes, les Sarmato-Alains combattent à cheval, articulant archers montés avec une élite de lanciers lourds de type cataphractaire qu’ils sont les premiers à introduire en Europe. Comme l’auteur le détaille dans une dernière partie, ce mode de combat en fait des ennemis redoutés de Rome, mais aussi des auxiliaires recherchés que l’Empire ne se prive pas d’utiliser, et dont les influences sur ses pratiques militaires sont sans doute notables.
I.Lebedynsky livre ici une étude méthodique, bien complétée de superbes illustrations, appuyée sur toutes les sources aujourd’hui disponibles : littéraires (grecques et romaines, mais aussi géorgiennes, arméniennes…), archéologiques, figurées, sans oublier les apports de l’archéologie expérimentale et du comparativisme ; sources qu’il utilise en spécialiste conscient de leurs limites, et dont il se sert quasi-systématiquement – ce qui est assez remarquable pour un ouvrage de cette taille – pour étayer son propos. Il brosse, malgré les inévitables zones d’ombre qu’elles laissent encore subsister, un tableau clair, sérieux et sans doute le plus complet qu’il puisse être dans l’état actuel des connaissances et dans le format de la collection sur un sujet guère abordé dans l’historiographie francophone.

Au regard de la qualité de ces deux dernières parutions, Illustoria relève donc de façon brillante le défi de ses ambitions, et livre des ouvrages sinon incontournables, du moins très utiles. Tout féru d’Histoire militaire antique ne peut que souhaiter la voir poursuivre sur cette voie.

Stéphane Moronval