« Étranges romains, qui nous semblent pourtant si familiers ! Quelle autre civilisation a mis autant d’efforts, humains et budgétaires, dans le but de construire des édifices grandioses destinées aux soins du corps ? Sans doute aucune. Pour autant, peut-on affirmer que la propreté est une valeur qui compterait davantage à Rome qu’ailleurs ? Bien sûr que non. « Aller aux bains », pour un citoyen de l’Empire, ne se résume pas à s’adonner à des pratiques élémentaires d’hygiène corporelle, c’est bien davantage. Car les thermes sont un lieu d’appartenance. Aller aux bains, c’est jouir des loisirs qu’offre l’empereur dans un cadre somptueux ; c’est partager un même mode de vie avec tous les citoyens, des plus pauvres aux plus riches ; et, hors de Rome, c’est adhérer aux nouvelles pratiques introduites par le conquérant. Pour le commanditaire, construire des thermes, c’est aussi afficher dans l’urbanisme d’une ville qu’on dispose d’une ingénierie hydraulique de pointe permettant de faire venir des quantités d’eau à l’endroit où l’on veut pour en faire profiter tous les citadins. Dans le cadre d’une villa de campagne, c’est encore offrir le meilleur confort à ses hôtes. En somme, c’est montrer sa puissance » écrit Ludivine Péchoux dans son éditorial.
Ce nouveau numéro des Dossiers d’Archéologie s’articule autour de douze articles consacrés aux mondes grec, romain et médiéval.
En guise de prolégomènes, M.Guérin-Beauvois (« Les eaux dans le monde romain ») évoque l’importance de l’eau/des eaux dans le monde romain (avec un rôle relevant de l’hygiène, du loisir, de la médecine, de l’économie, de la religion et de la politique) et des réalisations qui en découlent.
T.Fournet (« Balaneia grecs et hellénistiques. L’invention du bain collectif ») offre un aperçu fort intéressant de la pratique balnéaire dans le monde grec et il écrit (p.15) que les bains « faisaient partie de la panoplie habituelle de toute localité hellénisée. Le bain collectif devient dans le monde grec partie intégrante de la vie quotidienne […] bien avant que se développe le thermalisme romain ».
E.Samama (« Des eaux pour soigner ? La pratique thérapeutique des eaux dans le monde grec ») s’intéresse à la pratique du bain dans le cadre de l’activité médicale et au développement du « thermalisme grec ».
M.Turci (« Petite histoire architecturale des thermes en Italie républicaine ») présente des complexes thermaux de l’époque républicaine avec les sites de Musarna, Fregellae, les thermes de la Via Sistina à Rome, les thermes pompéiens de Stabies et du forum de Pompéi (un encart, dans ce même article, indique que selon les sources romaines, un homme portant les tria nomina Caius Sergius Orata, était considéré à la fois comme l’inventeur de l’hypocauste et du parc à huîtres).
C.Viers (« Des thermes en Gaule pré-romaine. L’édifice de bains de Cornebarrieu ») évoque un petit édifice thermal situé en Haute-Garonne, à Cornebarrieu et R.Volpe dans son article « Les thermes de Rome à l’époque impériale » revient principalement sur les thermes de Trajan, de Caracalla, de Dioclétien et de Constantin.
J.Scheid dans sa contribution (« Pourquoi y a-t-il des thermes près des sanctuaires ? ») écrit (p.43) qu’ « on peut raisonnablement affirmer que, sous l’Empire, tout sanctuaire suburbain ou extra-urbain de quelque importance possédait des thermes, et que la plupart des sanctuaires urbains également se trouvaient à proximité de nymphées, de fontaines ou de thermes » et il conclue son article (p.47) en indiquant que « les thermes situés près d’un temple, ou situés dans un sanctuaire, servaient d’une part pour se purifier complètement, d’autre part pour se baigner, et enfin, dans certains cas, pour soigner certaines affections. Ils ne peuvent donc être qualifiés purement et simplement de thermes guérisseurs ».
C.Saliou (« Les bains d’Antioche sur l’Oronte ») se penche de manière circonstanciée sur les bains d’Antioche sur l’Oronte, troisième ville de l’Empire romain et A.Bouet sur les thermes des villae en Gaule romaine (« L’art de recevoir. Les thermes de villa en Gaule romaine »), lieux de sociabilité mais également « facteur de différenciation sociale ».
T.Fournet, dans un deuxième article (« Jusqu’au bout de l’Empire. Bains monumentaux du Proche-Orient »), évoque la place des ensembles thermaux au Proche-Orient avec notamment le site impressionnant de Bosra, en Syrie du Sud, ancienne capitale de la province romaine d’Arabie.
H.Drissi (« Le décor sculpté des thermes de Thuburbo Majus en Tunisie ») réalise un focus sur le décor des thermes du site tunisien de Thuburbo Majus et M.Nicoud termine cette série par une somme sur les eaux à l’époque médiévale (« Entre hygiène et santé. L’eau thermale au Moyen Âge ») avec le constat qu’il ne reste que très peu des thermes romains au Moyen Âge mais qu’aux XIVe-XVe siècles, l’offre thermale dans la péninsule italienne est particulièrement importante et que se développe, avec elle, une véritable « sociabilité des bains (p.71) ».
L’ensemble des articles présentés dans ce numéro des Dossiers d’Archéologie est d’une grande qualité scientifique.
Le propos et une large partie du dossier iconographique attenant pourront éventuellement être utilisés avec profit pour des compléments de séquences consacrées aux mondes grec et romain.
Grégoire Masson