Famille et société dans le monde grec et en Italie est un manuel publié aux éditions Armand Colin dans la collection U. C’est une réédition du livre paru dans un premier temps au sein de la collection Horizon, avant tout destinée aux étudiants préparant les concours de l’enseignement. Dans cet ouvrage rédigé à quatre mains, les auteurs proposent une étude approfondie de la famille et de la parenté grecque et romaine. Aurélie Damet, maître de conférences en histoire grecque à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’équipe de recherches ANHIMA (Anthropologie et Histoires des Mondes Antiques) dans le domaine de la famille et de la parenté en Grèce ancienne a eu la charge de rédiger les chapitres concernant le monde grec. Philippe Moreau, de la partie sur la société romaine et l’Italie, est professeur émérite de langue et littérature latines de Université Paris-Est Créteil. Il est également membre de l’équipe de recherches ANHIMA dans le domaine de l’anthropologie historique de la Rome ancienne, et de façon spécifique il travaille sur les structures de parenté et d’alliance.

Dans leur avant-propos, les auteurs insistent sur la dimension anthropologique de la question. Ainsi, « faire partie d’une même famille, c’est aussi partager le même sang et les mêmes dieux ». La famille correspond également à l’ensemble des célébrations notamment celles qui touchent à la naissance, le mariage ou encore la mort. La maison est d’ailleurs le lieu de vie de la famille, l’unité économique, l’unité de production et de transmission. Ainsi pour aider les lecteurs dans la progression de l’ouvrage, les auteurs ont intégré un lexique spécifique pour « permettre à des étudiants de saisir les faits de parenté dans la Grèce et l’Italie antiques ».

L’ouvrage est divisé en deux parties d’inégales longueurs. La première, « famille et société dans le monde grec », est la plus importante en nombre de pages (un peu plus des deux tiers). Elle est subdivisée en quatre sous-parties évoquant successivement la définition de la famille, le cycle de la vie, les « hiérarchies, dominations et conflits », et enfin les liens entre « famille, politique et pouvoir ». La seconde partie se concentre sur la parenté, la famille et la société à Rome et en Italie. Enfin, un dossier à la fin du livre présenté comme une troisième partie, rassemble les annexes composées de cartes du monde grec jusqu’à la période hellénistique, d’un « plan de quartier d’habitations à Olynthe » dans le nord-est de la Grèce, ou encore d’une généalogie concernant « le lignage des Cornelii Scipiones et de leurs alliances », patriciens romains dont certains membres sont restés célèbres, branche de la gens des Cornelii.

 

Famille et société dans le monde grec

Aurélie Damet débute cette première partie en présentant les sources (essentiellement manuscrites : dramaturges, orateurs, philosophes ou encore médecins) ainsi que les approches méthodologiques (histoire du droit, anthropologie, histoire des sentiments, histoire sociale) pour appréhender le thème. Elle s’arrête également sur plusieurs termes qui peuvent poser des difficultés aux lecteurs. C’est le cas de l’oikos, qui selon les sources et selon les auteurs antiques, représente la famille nucléaire, à laquelle certains lui ajoutent les esclaves, et d’autres parfois le groupe de la lignée. Il s’agit également de l’unité économique, de production et de vie quotidienne de la famille. Au final, l’autrice dresse une définition complète et complexe de la famille grecque en insistant sur trois points. Tout d’abord elle fait le lien entre la famille et les statuts civiques, concernant la question de la légitimité qui garantit l’accès à certains droits civiques et patrimoniaux. Ensuite elle présente la famille comme une communauté cultuelle. Enfin l’histoire des sentiments et l’anthropologie permettent à Aurélie Damet de faire un point sur l’amour, la haine, le corps, l’identité, autant d’approches au cœur de la définition de la famille et de la façon dont les Grecs percevaient eux-mêmes leurs relations parentales.
L’autrice aborde ensuite les thématiques propres au cycle de la vie. La naissance est présentée avec son lot de souffrances et de dangers pour la mère et l’enfant. Suivent les rites qui accompagnent l’arrivée de l’enfant et sa reconnaissance au sein de l’oikos. Les sources mentionnent aussi l’existence du refus de l’enfant par les parents. Ces derniers pouvaient avoir recours à l’avortement, à l’exposition voire à l’infanticide. Le mariage est un autre moment important dans la vie de la famille, car il permet aux époux et particulièrement à la femme de faire son entrée dans le monde adulte. Ce qui peut frapper dans le mariage grec, c’est l’écart d’âge entre les époux où les jeunes filles se mariaient très jeunes, selon les sources juridiques entre 12 et 14 ans suivant les cités, alors que les hommes se mariaient vers 30 et 35 ans. Toutefois, la cité de Sparte fait exception car les écarts sont moins importants. Enfin, l’autrice aborde également la question de la mort et de la transmission du patrimoine.
Dans l’ouvrage, la place de la femme est importante et ce dans toutes les dimensions de la famille, notamment dans sa dimension biologique. Toutefois, l’autrice met en évidence la survalorisation du rôle du père dès la conception de l’enfant. De même, il faut faire la distinction entre l’idéal aristocratique, de familles aisées où le rôle de l’épouse est de rester chez elle et la réalité. Les sources montrent clairement que dans les familles modestes d’Athènes à l’époque classique, les épouses et les filles sortent de l’oikos pour travailler sur le marché pour vendre des marchandises. Elles participent donc à l’économie de l’oikos. Toutefois, il y a une forte pression sociale qui freine le travail des femmes, mal vu dans la société athénienne dans son ensemble.
Pour terminer, Aurélie Damet présente l’oikos comme étant la « cellule première de la vie en communauté ». Ainsi, les institutions veillent à ce que les citoyens soient de bons parents. Cela explique pourquoi l’oikos et la polis sont si intimement liés. Les cités mettent en place de véritables politiques familiales, que ce soit pour protéger les plus faibles comme les mineurs ou les parents âgés ou encore pour la protection de la filiation avec la répression de l’adultère à Athènes.

 

Parenté, famille et société à Rome et en Italie (Ve-IIe s. av. J.-C.) : Thèmes et problèmes

La partie rédigée par Philippe Moreau est plus courte que la première. Elle reprend toutefois la une structure identique à celle utilisée par sa collègue. L’auteur commence par faire un état des lieux des différentes sources (essentiellement littéraires, mais rares car dispersées et difficiles à interpréter), ainsi que les nouvelles approches méthodologiques (anthropologie culturelle de la parenté et sociologie de la famille nucléaire). Les différentes terminologies latines qu’il convient de maîtriser pour aborder cette question sont expliquées avec précision, car elles permettent de définir le statut des personnes, les relations de parentés ainsi que les formations de la parenté.
Philippe Moreau aborde à son tour ensuite le mariage, la naissance, l’adoption, les différents rites de passages et la mort. L’auteur explique la structure familiale, unité économique et lieu d’éducation, au sein de laquelle sont célébrés des cultes privés. Il développe en particulier le point sur les tensions et conflits au sein de la structure familiale, notamment entre le père et le fils car ce dernier était perpétuellement en situation de dettes vis-à-vis du premier. Il aborde également l’affect et les relations interpersonnelles entre les individus de la structure familiale : les parents et les enfants, les adultes entre eux c’est-à-dire les époux, les frères et sœurs et plus largement les membres de la famille. Le dernier point abordé par Philippe Moreau permet de déborder de l’espace romain et d’étudier les familles étrusques et italiques.

 

Pour conclure, l’ouvrage est facile à utiliser grâce à une table des matières détaillée mais aussi grâce aux explications concises, mais denses et précises données par les auteurs. Il s’agit bien évidemment d’une première approche pour une étude des questions liées à la famille et à la parenté, ainsi de courtes bibliographies sont insérées dans le texte à la fin des sous-chapitres ou des paragraphes pour approfondir le sujet su un point donné. Les auteurs font également souvent appel aux auteurs classiques et aux extraits de leurs œuvres pour illustrer leurs propos. On regrettera cependant le déséquilibre entre la partie sur la Grèce (240 pages) et celle sur l’Italie (120 pages). De même, il est dommage que les parties sur la Grèce et l’Italie soient autant cloisonnées (malgré un effort d’harmonisation dans la structure notamment) et qu’aucun lien ni aucune comparaison n’ait été réalisé par les auteurs.