C’est un ouvrage du spécialiste français de la guerre romaine, Yann Le Bohec (professeur émérite d’histoire romaine à Paris IV), que les éditions Lemme nous livrent dans leur collection Illustoria. Cette collection regroupe des ouvrages d’une centaine de pages accompagnées d’un encart central d’illustrations (cartes, schéma , photographies…), cela permet de faire une synthèse sur un sujet particulier, ici la marine romaine d’avant la première guerre punique. Dans cet ouvrage, Y Le Bohec remet en cause la thèse, communément admise depuis Polybe, d’une marine romaine créée de toutes pièces au moment de la première guerre punique.
La remise en cause de la thèse commune
L’auteur se livre à une étude critique des écrits de Polybe (fournis en fin d’ouvrage) et des auteurs anciens relatifs aux engagement navals romains de la période. Il pointe les contradictions existant chez ceux-ci en insistant sur le fait que ces auteurs exaltent la cause romaine et présentent les victoires maritimes comme un effet de la supériorité naturelle des Romains. La première guerre punique se joue en effet largement sur mer et on voit mal comment les Romains auraient pu remporter autant d’affrontements sans aucune expérience préalable. Une expérience qu’ils auraient pu acquérir avec leur marine marchande ou grâce aux cités alliées qui fournissaient des vaisseaux.
Etat des puissances navales en méditerranée occidentale
A la veille de la Première guerre punique on peut dénombrer 4 ensembles : Carthaginois, Grecs, Etrusques et Romains. Carthage possède un empire comprenant de nombreux territoires dispersés sur les rivages de la méditerranée et donc dispose d’une marine puissante (notamment marchande) et d’un savoir-faire naval élevé tant dans la construction que dans la navigation. La marine des Etrusques est moins connu, il semblerait que celle-ci se livre surtout à des razzias sur les côtes, même s’il existe des témoignages de leur participation à des engagements aux côtés des Carthaginois. Enfin, les cités de Grande Grèce possèdent un savoir-faire naval. Sur ces deux derniers ensembles, on peut déplorer que l’ouvrage ne donne pas plus de précisions
L’existence d’un traité avec Carthage en 509av J-C sous-entend de fait l’existence d’une marine mais il faut attendre 398 pour avoir la première mention d’une marine romaine lors de la guerre contre les Etrusques. Bientôt suivie de la formation des premières colonies maritimes sur le littoral italien au milieu du IV°siècle puis à l’institution de magistratures dédiées (duumviri navales). Quant aux équipages des navires, ils sont constitués d’affranchis, seuls les officiers et les soldats embarqués sont citoyens romains. Au besoin la marine romaine peut être renforcée par les contingents des alliés, les socii navales.
Le rôle de la marine romaine
Ici peu d’innovations par rapport aux missions traditionnelles de la marine, il faut défendre le littoral et assurer la protection du trafic maritime contre les pirates et les ennemis. Mais les vaisseaux ont aussi des missions plus offensives pour empêcher le ravitaillement de l’ennemi (bataille des îles Aegates) ou pour mener des raids sur les côtes adverses pour s’emparer de butin. La flotte joue également un rôle de support des forces terrestres en appui d’un siège, pour les transporter ou assurer leur ravitaillement.
Ces missions n’excluent pas la quête de la supériorité maritime et peuvent déboucher sur de véritables affrontements entre escadres comme ce fut le cas lors de la première guerre punique. On passe alors au niveau tactique, les amiraux organisent généralement leurs escadres en trois groupes(centre, flancs droit et gauche) et optent pour un des deux modèles de déploiement : concave (avec les navires les plus puissants sur les ailes) ou convexe (dans ce cas les navires les plus lourds sont au centre).
Ensuite on attaque selon le diekplous ou le periplous. Dans le premier cas les navires se dirigent droit sur l’adversaire et vont tenter de passer au ras de ceux-ci pour briser leurs rames et les immobiliser avant de revenir au contact. Dans le deuxième cas, il s’agit de déborder un des flancs adversaires pour se rabattre ensuite. L’objectif peut également être de bloquer l’adversaire en le repoussant vers la terre ferme.
Lors du contact, il peut y avoir éperonnage, les navires sont équipés d’un rostre, mais la manœuvre doit être bien menée au risque de voir le navire éperonnant être bloqué et entraîné par le fond par le navire éperonné. Sinon il faut passer à l’assaut du navire adverse. Soit en utilisant un corbeau, sorte de passerelle que l’on abaisse pour prendre pied sur le navire ennemi, mais l’étroitesse de celle-ci peut être un inconvénient. Ou bien, après avoir utilisé l’artillerie du bord (balistes), lancer des grappins et combattre sur le pont adverse.
La nature précise des navires employés comme leur conception sont relativement peu documentées en raison du manque de sources disponibles. L’archéologie sous-marine livre plutôt les traces de navires marchands que de guerre, ceux-ci étant disloqués lors des combats. Les navires de guerre romains devaient être relativement semblables à ceux des Grecs ou des Carthaginois, à savoir des trirèmes. Celles-ci semblent avoir des tailles de plus en plus importantes puisque l’on parle parfois de 5, voire de 10 rameurs par rame. Les navires sont généralement équipés d’un éperon de bronze, et, selon leur taille, de tours pour archers et de balistes.
Le dernier chapitre de l’ouvrage traite des affrontements navals ayant eu lieu lors des guerres puniques. La plupart virent une victoire romaine (Myles en 260, Ecnome 256, Hermès 254 , îles Aegates 241) ,la seule grande défaite navale étant celle de Drépane en 249. Le récit des ces affrontements par Polybe est fourni en annexe de l’ouvrage.
En conclusion
Les schémas fournis permettent une bonne compréhension des éléments cités dans le texte. Le thème et la thèse de l’auteur sont originaux mais on aurait aimé plus de développement sur le contexte géopolitique.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau