A l’heure où des incidents à répétition sur les lignes à grande vitesse émaillent l’actualité (immanquablement suivis, au « 20 heures », des témoignages de voyageurs en détresse subissant des retards conséquents de leur train), la Documentation Photographique sort un numéro consacré aux transports en France.

Le sous-titre « Quelles mobilités pour quelle société ? » est révélateur de l’évolution épistémologique qu’a connu cette branche de la géographie. Il y a encore 10 ans, on s’intéressait aux axes, aux réseaux. Désormais, la question centrale est celle de la mobilité des Hommes, c’est-à-dire de ceux qui empruntent ces axes. Par ailleurs, l’interrogation « Quelles mobilités pour quelle société ? » va au-delà puisqu’elle pose la question de la durabilité de nos modes de vie et de nos manières de bouger. La couverture de ce numéro est donc très engageante par les questions qu’elle soulève. Ce numéro réactualise le sujet précédemment traité sous ce titre par la revue en 1962 (N°223 et 224).

Au cœur des problématiques actuelles, ce numéro tient les promesses de la couverture. Antoine Frémont en est l’auteur. Agrégé de géographie, maître de conférences à l’université du Havre (1997-2005), il est actuellement détaché auprès de l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS) et occupe la fonction de directeur de recherche. Dans cet ouvrage, il brosse le portrait d’une France qui s’interroge sur les impacts de ses mobilités sur l’environnement et sur les choix de sociétés que ces mobilités impliquent (notamment en termes de flexibilité). Il joue sur les échelles et n’oublie pas de traiter de la place du réseau français au cœur de l’Europe.
La société française est de plus en plus mobile. Elle est dépendante des transports. Cette mobilité est la clé de lecture fondamentale qui permet de comprendre la France d’aujourd’hui. Rémy Knafou a pu parler en 1998 de « Planète nomade » tant la mobilité est au cœur de nos sociétés contemporaines. Cette mobilité s’explique par la multiplication des activités (travail, loisirs, multi-résidence) des Français associée à l’étalement urbain (dans le cadre de la métropolisation) et à l’accroissement de la vitesse. A côté de cette mobilité humaine, le transport de marchandises n’est pas en reste. Parler d’ « économie dématérialisée » est une aberration quand on sait que 35 tonnes de marchandises / habitant sont transportées en France par an. Sur le terrain, la métropolisation renforce les pôles et accentue les disparités. Les espaces non connectés sont victimes de l’effet tunnel. L’Europe renforce les hiérarchies. Les corridors nationaux sont les plus fréquentés par les flux nationaux. Les espaces frontaliers deviennent des carrefours. La route tient une grande place dans les flux. La France dispose d’un réseau particulièrement étoffé et diversifié. Le réseau favorise l’automobile et le camion. Ces moyens de transport permettent d’éviter une rupture de charge. Ils sont plus flexibles que les autres. « L’automobile donne à chaque individu un véritable pouvoir organisateur sur l’espace. » JP Orfeuil.

Antoine Frémont livre ici un texte limpide. Il va à l’essentiel mais prend la peine de rappeler des notions et du vocabulaire indispensables pour comprendre la question (flux tendus, distance-temps, voyageur-km…). Le texte est d’un accès facile tant pour des étudiants découvrant la géographie (licence, hypokhâgne) que pour des enseignants du secondaire ou bien des candidats aux concours (agrégation, capes…). Les problèmes posés par la mobilité ne sont pas oubliés : congestion routière (évaluée à 1% du PIB communautaire), nuisances (bruit), pollution, problèmes énergétiques… Ces aspects montrent les limites de notre modèle de mobilité. La conciliation des facteurs économiques et environnementaux n’est pas évidente. Il semble nécessaire de s’orienter vers le développement de transports combinés (rail – route, fleuve – route, mer – route) même si notre société risque d’y perdre en flexibilité. Conjuguer deux modes de transport exige un effort d’organisation important pour que les délais de livraison ne soient pas accrus. L’échelle européenne apparaît comme la plus appropriée pour le développement de ces transports multimodaux. La question du financement de ces équipements est cruciale (la lenteur de mise en exécution du Réseau TransEuropéen de Transport est un indice des difficultés de mise en œuvre et de financement). Un tel réseau va encore accentuer la métropolisation. Concernant la mobilité des Hommes, le recours aux transports alternatifs est compliqué dès que l’on s’éloigne des centres-villes. La mise en place de PDU (Plan de Déplacements Urbains) est adaptée aux centres-villes mais l’est mal au périurbain. Nos mobilités sont les enjeux cruciaux de l’aménagement des territoires. Ce numéro de Novembre sera d’ailleurs complété par un autre sur l’Aménagement des territoires en France à paraître, sous la plume de Nacima Baron-Yelles, début 2009.

Comme à l’accoutumée, le volume renferme des documents facilement exploitables en classe : Schéma Réseau TransEuropéen de Transport, répartition modale du transport de marchandises, consommation énergétique par secteur (graphique où on voit bien la part croissante des déplacements liés au résidentiel). Des études de cas (Amazon, Toupargel) peuvent servir de support aux cours de l’Option Découverte Professionnelle 3H proposée en classe de 3ème. D’autres documents retiennent l’attention : l’exemple du Havre, la carte des transports dans la Région transfrontalière de Bâle – Mulhouse – Fribourg. La fin du dossier documentaire est consacrée à des fiches sur les problèmes engendrés par la mobilité : étalement urbain de Limoges ou de Toulouse, effet TGV, place du TER dans la Région Centre, étude de cas sur les navetteurs… La diversité des exemples l’emporte. Le lien avec les décisions du Grenelle de l’Environnement n’est pas oublié, même si il semble actuellement que nombreuses des décisions prises l’an passé soient en sommeil.

Ce numéro de la Documentation Photographique se lit d’une traite. Antoine Frémont propose ici une parfaite synthèse sur les Mobilités : un outil qui m’aurait été bien utile pour l’écriture de mon article pour les Cahiers Pédagogiques consacré aux Mobilités.

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