Ce très beau livre nous invite à un voyage dans le monde viking. Si ce livre est centré sur la Normandie, il évoque aussi les pays d’où sont originaires les Vikings ou les autres contrées qu’ils ont colonisées. Georges Bernage, qui est le fondateur et le gérant des éditions Heimdal et a écrit, co-écrit et traduit de nombreux livres portant sur la Seconde Guerre mondiale et sur le Moyen Age, pour l’essentiel en lien avec la Normandie, fut l’élève de Lucien Musset. Il est déjà l’auteur, avec J. Mabire et P. Fichet de Vikings en Normandie, aux éditions Copernic en 1979.
Des illustrations fondamentales de par leur qualité et celle de leur légende
Ce voyage est particulièrement agréable parce que cet ouvrage est très abondamment illustré de photos d’objets, de maisons mais aussi de paysages normands et scandinaves, de plans, de dessins, d’images tirées de films ou d’extraits de bandes dessinées montrant toute la richesse de la civilisation viking et mettant en valeur différents styles, comme celui de Borre (880-900), de Jelling (900-950) ou celui de Mammen (950-1000) ou de Ringerike (1000-1050) ou présentant une typologie des épées de la période viking. Ces illustrations ne servent pas seulement à éclairer le texte, elles apportent de très précieuses explications : par exemple, la tapisserie trouvée dans la sépulture d’Oseberg, en 1904, est présentée avec une légende indiquant, outre la taille de l’objet : « la scène représente probablement une procession (…). On remarquera, en tête de procession, en haut à gauche, un personnage à pantalon large et coiffé d’un casque à cornes. Cette image a contribué à faire croire que les Vikings portaient de telles coiffures. En fait, brandissant des armes, il semble être un « danseur armé » (…) participant à un rituel religieux. » Des comparaisons très riches sont réalisées avec l’art carolingien.
Un texte très scientifique :
Néanmoins ce voyage se mérite, car ce livre est très précis et scientifique dans les connaissances qu’apporte le texte. Il s’appuie sur un plan en trois parties : « les Vikings et la Normandie » montre qu’il y a eu des raids scandinaves avant les Vikings dans la France actuelle dès l’An 500 de notre ère et présente la société viking, les runes, la vie quotidienne, les dieux. Les premières apparitions vikings sont datées de 820 selon les Annales royales, dites d’Eginhard, les premiers raids en Normandie commencent au milieu du IXème siècle et sont présentés grâce à une chronologie très précise et à des cartes localisant les lieux et expliquant les mouvements et les batailles. Suivant le modèle du « livre de la colonisation » islandais qui relate les premiers établissements des Vikings, Georges Bernage réalise, en utilisant les noms des localités, des hameaux et lieux-dits des Pays de Caux, de Bray et du Talou, « le livre de la colonisation » au nord de la Seine.
La deuxième partie « la formation de la Normandie, une colonisation continue » présente la colonisation du Plateau de Caux après que Rollon ait obtenu la cession d’un territoire de la part de Charles le Simple : il devient en 911, à Saint-Clair-sur-Epte, le sujet de Charles le Simple en échange de la défense de la Basse Seine contre les envahisseurs. Ensuite, le Bessin est colonisé par un comte viking qui part d’Angleterre puis les combats entre Vikings (Rollon annexe le Bessin), entre Vikings et Francs, entre Vikings et Bretons pour la possession du Cotentin montrent que la colonisation fut complexe, même si beaucoup de Scandinaves vivaient déjà sur ces territoires. Les îles scandinaves de la Manche ne sont pas oubliées. Les descendants de Rollon s’imposent en s’appuyant sur une administration de type franc, sur le soutien de Danois et Norvégiens venus d’Irlande et sur les Capétiens qu’ils aident dans l’accession au trône de France. L’assimilation se diffuse, même si l’auteur signale qu’il y a encore des marchés aux esclaves à Rouen à l’aube de l’An Mil. Les liens avec les Scandinaves ne se distendent qu’à partir de 1020, les Normands sont alors intégrés au monde franc.
La troisième partie est intitulée « les survivances scandinaves en Normandie après l’An Mil ». Si certaines sont bien connues – le monde maritime puisque la grande richesse des Vikings réside dans la supériorité technique de leurs bateaux – l’auteur montre toute la richesse du vocabulaire issu des Vikings à commencer par les points cardinaux : aux termes latins de septentrion, occident, orient et midi se sont substitués les termes vikings nordr, vestr, austr et sudr -, d’autres sont plus inattendues. Certaines activités ont en effet disparu des côtes normandes comme la pêche à la baleine ou les salines. Les Vikings ont légué leur architecture, certains aspects de leur droit comme le bannissement ou le « mariage à la danoise » qui a pour conséquence que les enfants des concubines sont reconnus officiellement : Guillaume Longue Epée, Richard Ier et Richard II sont fils de concubines et furent reconnus comme successeurs légitimes. Les noms de personnes scandinaves, l’originalité des matronymes, sont encore très présents dans la Normandie actuelle.
Des sources précises et actualisées
Les sources et la bibliographie, indiquées en fin d’ouvrages ou dans le cœur du texte, font appel aux grands textes traditionnels dans l’étude des Vikings, comme les Sagas islandaises et aux meilleurs spécialistes, y compris dans les ouvrages ou colloques les plus récents. Georges Bernage montre que tout fait source : les objets, les habitudes, la toponymie et que, pour expliquer la civilisation viking, des films, des bandes dessinées, sont utiles. En annexe, « les vestiges de la langue parlée par les Vikings » occupent sept pages et montrent l’importance du phénomène viking en Normandie et en France.
C’est à la fois un très beau livre pour une somme modique et un contenu scientifique actualisé que propose cet ouvrage.