Tête de chien et chevron d’argent sont deux jeunes chevaliers qui parcourent la France au début du XIIe siècle dans le but de participer aux différents tournois et vivre des rançons prélevées aux vaincus.
Un scenario original pour une œuvre ancrée dans le contexte du Moyen-Âge.
Un scenario original qui bat en brèche le mythe de l’honorable chevalerie.
Pouvait-on imaginer une œuvre de chevalerie sans qu’il y ait de roi, reines et autres princesses ? C’est pourtant bien le cas dans cet album centré avant tout sur deux chevaliers errants. Certes, on croise quelques familles nobles, mais le cœur du propos repose sur des personnages de plus basse condition.
Chevron d’argent est Josselin, fils cadet d’une famille noble et qui a choisi ce mode de vie itinérant pour ne pas entrer dans les ordres. Tête de chien est Jehan, le vrai héros ou plutôt l’héroïne de cet album, car il s’agit bien d’une jeune femme. Celle-ci se fait passer pour chevalier après avoir été formée comme tel par son père et parvient à vaincre des chevaliers plus grands et costauds qu’elle. Nos deux protagonistes sont accompagnés de Paulin, l’écuyer de Jehan, un jeune garçon débrouillard et à la langue bien pendue.
Autour d’eux gravitent une multitude de personnages très éloignés de l’idéal chevaleresque. On retrouve la noblesse de Joigny qui vit de rapines et fait appel à des mercenaires pour cela. Les chevaliers rencontrés sont à la fois de mauvais payeurs de rançons, mais aussi des joueurs invétérés qui n’hésitent pas à parier, y compris parfois contre eux-mêmes.
Un cliché demeure cependant dans cet album : celui du fameux « chevalier noir », dont l’identité demeure secrète. Mais, là encore, il s’agit d’un personnage très réaliste, voire cynique, et bien peu idéaliste.
Une fiction inscrite dans un contexte historique précis
Cette aventure est une pure fiction, et n’a pas pour vocation à retranscrire des faits réels. Ainsi, on ne trouve pas de trace historique d’une femme chevalier ayant participé à un tournoi. (même si une d’entre elles bien connue est restée célèbre pour avoir conduit les troupes françaises habillée en chevalier et a fait l’objet de nombreux ouvrages, y compris graphiques, depuis).
Cependant, l’album s’inscrit dans le contexte du règne de Louis le Gros, roi des Francs de 1108 à 1137. Ce dernier a en effet lutté une partie de son règne contre le brigandage perpétré par différents seigneurs. À cette époque, la primauté du Roi est encore contestée par les différents seigneurs. Ces derniers sont aussi fréquemment en rivalité, ce dont témoigne l’album.
La période de paix dans laquelle s’inscrit l’intrigue a favorisé le développement des tournois dont on date l’apogée aux XIIe – XIIIe siècles. Ils sont ici représentés sous forme de mêlées à cheval ou à pied. Les auteurs ont évité à raison de représenter des joutes qui apparaissent seulement à partir du XIIIe siècle.
C’est enfin un sujet qui a été peu exploité dans les œuvre centrées sur l’époque médiévale : tournois et joutes sont fréquemment inscrits dans les récits, mais n’en constituent que rarement la trame globale.
Une œuvre à la fois épique et réaliste
Le dessin et les couleurs aident d’ailleurs à cela : la fureur de la mêlée est bien retranscrite avec un graphisme dynamique et « adulte », qui fait parfois penser aux comics américains.
Les pages de début de chapitre détonnent par ailleurs, avec des dessin marqués par une couleur symbolisant un personnage et une esthétique particulière.
Tout cela aboutit à un ouvrage plaisant à lire : les 136 pages paraissent finalement bien courtes tant on est plongé dans l’intrigue. Bien que finalement assez prosaïque, celle-ci a été bien construite et s’avère haletante.