Sophie Wahnich, historienne de la Révolution Française, expliquait dans une récente interview que les historiens avaient recommencé à s’intéresser et à mener des recherches sur les révolutions depuis 2010. D’ailleurs la révolution en tant qu’objet d’étude a fait l’objet du dernier numéro de la revue « Ecrire l’histoire » de décembre 2018. C’est dans ce contexte intellectuel que Camille Pascal, agrégé d’histoire, professeur à la Sorbonne et à l’EHESS, haut fonctionnaire publie chez Plon son premier roman intitulé L’été des quatre rois dans lequel il s’attache à décrire l’effondrement du régime de la Restauration en juillet 1830. L’auteur fait le choix de la littérature et de la fiction pour retracer les journées du 25 juillet au 16 août 1830 et tracer en parallèle le portrait d’un moment littéraire spécifique, celui de la naissance du romantisme en France. Cet ouvrage de 650 pages, très érudit est complété par une ample bibliographie finale. Deux grandes parties structurent l’ouvrage. La première intitulée « une longue partie de whist » est consacrée aux conséquences directes de la décision de promulguer les ordonnances ; la deuxième partie relate le départ de Rambouillet de Charles X et de sa cour et la fuite vers Cherbourg à travers la Normandie.
La première partie concerne les journées du 25 juillet au 1er août. Son titre « une longue partie de whist » fait référence aux règles du jeu de cartes, proche du bridge que pratiquait le roi Charles X. Celles-ci imposaient le silence absolu tandis que les joueurs abattaient leurs cartes en équipe et devaient bluffer. Silence, jeux de rôles, bluff, retournements de situation politique, c’est cela que l’auteur s’attache à démontrer.
La première action consiste à rebattre les cartes. Le roi ultramontain, attaché à la monarchie d’Ancien Régime prend les ordonnances qui suppriment en particulier la liberté de la presse. Elles visent principalement les députés libéraux. Cette décision a de nombreuses conséquences politiques qui sont ici décrites dans le détail. L’agitation et la contestation gagne d’abord les cercles libéraux. Le rôle de Thiers, journaliste, est d’abord mis en avant. La colère gagne Paris suffocant. Les batailles de rue sont décrites dans les moindres détails, certains sont parfois cocasses. Les soldats de la garde nationale assommés par la chaleur estivale sous leurs uniformes sont harcelés, soumis à une pression constante du peuple parisien. Celui-ci maîtrise les lieux et à plusieurs reprises il est fait référence à la guérilla urbaine que certains généraux avaient connue pendant les guerres napoléoniennes en Espagne (bataille de Salamanque).
L’auteur apporte beaucoup d’attention à faire le va-et-vient entre l’agitation populaire des rues et les manœuvres politiques feutrées des salons. En effet, le lecteur est le témoin des grandes manœuvres entre Thiers, Guizot, Casimir Perier, Talleyrand, les banquiers Laffitte et Rothschild, la famille d’Orléans au château de Neuilly. Il insiste beaucoup moins sur les stratégies des Républicains qui tentent d’affirmer leur pouvoir à l’Hôtel de Ville. Où l’on voit – si toutefois il fallait s’en souvenir – que les Libéraux n’aimaient pas l’idéologie démocratique républicaine, affichaient un mépris profond pour le peuple et que, pleins de la mémoire de la Révolution Française, ils se méfiaient profondément des grandes colères populaires qu’ils exploitaient pourtant à leur profit.
En contrepoint, Camille Pascal évoque de nombreux auteurs tels que Stendhal, Alfred de Vigny, Chateaubriand. Il fait référence à ce moment littéraire particulier qu’est 1830 et la naissance du romantisme. Cependant, l’accumulation de points de vue perd le lecteur et peut provoquer la confusion. Une scène est néanmoins particulièrement intéressante. Il s’agit du pillage de l’archevêché sur l’île de la Cité à proximité de Notre Dame de Paris. Le romancier montre comment cet épisode a inspiré Victor Hugo et la scène de son célèbre roman Notre Dame de Paris.
En parallèle, le silence du roi et d’une manière générale sa déconnection du monde qui l’entoure est omniprésent, toujours présenté en contrepoint des actions révolutionnaires ce qui amplifie l’effet de contraste. La cour est un petit monde où l’on cultive l’entre-soi, les rituels de l’étiquette et les activités quotidiennes de la messe et de la chasse à courre. Les questions d’honneur tels que les incidents avec le Duc de Marmont, le baron d’Haussez ou le Prince de Polignac semblent surannés dans le contexte insurrectionnel. Le roi apparaît toujours en total déphasage, ses réponses ne correspondent à aucun moment à la réalité du terrain déconcertant ainsi ses serviteurs, des généraux qui sont au cœur de la révolution parisienne et qui ne parviennent pas à être entendus. Le souverain se mure alors encore plus dans un silence avec la certitude d’avoir raison.
Dans cette cour, certains personnages sont dépeints avec beaucoup de soin. La duchesse de Berry est particulièrement attachante, elle pense vivre dans des romans, s’imagine en aventurière, commande la destruction de lettres d’amour de ses amants cachés aux Tuileries…. La Dauphine, fille de Marie Antoinette est alors absente, en cure dans une ville d’eau et son périple de retour est décrit. Son personnage prendra davantage de relief dans la seconde partie. Son époux l’héritier du trône est quant à lui peint comme un personnage fade, manquant d’intelligence, ne méritant pas le titre de roi, suscitant le mépris de son père. C’est d’ailleurs ce qui pousse ce dernier à l’obliger à renoncer au trône alors que lui-même vient d’abdiquer au profit du fils de la Duchesse de Berry, le duc de Bordeaux. Pendant ce temps-là, le duc d’Orléans négocie le titre à Paris.
La seconde partie est intitulée « le voyage à Cherbourg ». Elle évoque les suites de l’abdication du roi. Cette partie se concentre davantage sur la fuite du roi et de ses proches entre le 2 et le 16 août à travers la Normandie alors qu’ils doivent prendre le bateau à Cherbourg et fuir vers l’Angleterre. A de nombreux moments des références sont faites à la Révolution Française et aux précédentes émigrations des nobles du convoi. Le personnage de la Dauphine prend un relief particulier car à de nombreuses reprises l’auteur évoque ses terreurs d’enfant liées à la fuite de Varennes et à l’emprisonnement à la Conciergerie. Le voyage est là-aussi donné dans les détails. L’attention est portée sur le décor, la Normandie sous la chaleur (et parfois sous la pluie), la densité et la présence des nobles dans cette région, l’ambiance des routes bocageuses, des haies où se cachent les paysans qui observent le convoi royal, l’accueil reçu dans les fermes, les auberges, les villes et la surprise des paysans découvrant ce roi déchu. Dans cette ambiance de fuite on voit le roi et ses proches se dépouiller progressivement et difficilement de l’aura du sacre, des habitudes de cour et des convenances de l’étiquette. Sont décrites également les manœuvres combinées de Charles X et des Orléanistes. Charles X ralentit le convoi, veut conserver ses deux canons, envisage une révolte chouanne en Bretagne et en Vendée, négocie un exil dans d’autres pays que l’Angleterre. Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour faire gagner du temps dans l’ultime espoir que les parisiens le rappellent et que le projet orléaniste échoue. Pendant ce temps là, à Paris, Louis Philippe consolide son pouvoir financier et politique, les députés l’adoubent et Chateaubriand prononce un discours les fustigeant. Louis Philippe se fait sacrer à Paris et les commissaires Orléanistes essaient autant que faire se peut d’accélérer les mouvements du convoi en Normandie, de limiter les contacts avec les soldats et les nobles locaux, de surveiller jusqu’au départ à Cherbourg les membres de la famille royale vers l’Angleterre.
Mais en postface, l’auteur émet un constat sévère sur la nouvelle monarchie dont il vient de raconter la naissance. En effet, il décrit en écho la fuite pitoyable de Louis-Philippe lors de la révolution de 1848 alors qu’il n’a pas eu le droit à tous les honneurs et aux hommages reçus par son prédécesseur.
La multiplicité des angles de vue et des personnages, la longueur de certaines descriptions, l’aspect très évènementiel du récit peuvent déconcerter des lecteurs non avertis. Il n’en reste pas moins qu’ au moment où le XIXème siècle et les révolutions politiques, économiques, sociales et nationales redeviennent le cœur du programme d’histoire de Première, cet ouvrage permet d’apporter un regard complet et très évènementiel sur la révolution de 1830, son déroulement et les débats entre monarchistes ultramontains, orléanistes et républicains.